Ménandre fait partie des dramaturges grecs dont l'oeuvre a beaucoup souffert des outrages du temps et des vicissitudes du pouvoir politique. À ma connaissance, sur les plus de cent comédies qu'il aurait écrites (environ 105) seule
le Dyscolos (c'est-à-dire le Bourru) nous est parvenue à peu près complète et, dans une moindre mesure,
La Samienne, amputée " seulement " dans ses deux premiers actes et L'Arbitrage qui a des petites lacunes réparties sur les cinq actes.
Toutes les autres, dont
le Bouclier, sont à l'état de fragments et nous ne connaissons le déroulement des parties manquantes que par des sources extérieures qui parlent de la pièce. Ici, c'est plutôt le début qui est intact, les deux premiers actes étant quasi complets, mais dès le troisième, il y a de gros manques et les quatrième et cinquième sont presque entièrement perdus. On n'en a que la scénario.
Malgré tout, ce dont nous disposons nous permet tout de même de nous faire une idée du talent de dramaturge de Ménandre et son impact sur la comédie mondiale jusqu'à
Molière.
En effet, Ménandre possède un comique moins gras et assez différent d'
Aristophane, l'autre grand comique grec. Ce n'est pas de la franche rigolade, mais un scénario plus fin, plus scénique, une facture théâtrale qui sera repris pas
Plaute et Térence et qui, plus tard, d'influence en influence se perpétuera dans des pièces classiques comme
Les Fourberies de Scapin ou
L'Avare.
Ici, il est question, et les amateurs de
Molière ne s'y tromperont pas, d'un vieil avare, d'un héritage intéressant, d'un faux médecin déguisé, d'un mariage arrangé qui va se transformer en deux mariages, le tout agrémenté d'une manière de quiproquo et orchestré par un esclave malin et débrouillard, ça ne vous rappelle rien ?
Le titre de la comédie provient du fait que le fils de la famille dont il est question, Cléostrate, est parti se battre en Orient pour trouver la gloire et la fortune. Concernant la fortune, il a manifestement réussi à récolter un assez joli butin mais, pris dans une embuscade sur le chemin du retour, en matière de gloire, il semble n'avoir trouvé que la mort. Preuve en est qu'on a retrouvé auprès des cadavres mutilés et méconnaissables que son bouclier cabossé.
C'est donc son fidèle esclave, Daos, qui rentre au pays annoncer la mauvaise nouvelle, portant avec lui le butin et les esclaves amassés par Cléostrate. Cependant, tout prend un tour insolite lorsque les deux oncles du défunt, qui était déjà orphelin, se rendent compte que l'unique héritier mâle de la famille vient de succomber.
Or, dans cette Athènes-là, à l'époque, existait une loi qui autorisait le plus ancien homme de la famille à se marier avec la dernière héritière afin d'éviter la dilapidation du patrimoine familial. Si bien que la soeur de Cléostrate risque fort d'être obligée d'épouser Smicrinès, son vieil oncle acariâtre et radin en vertu de cette loi.
Je vous laisse découvrir les subtilités de la suite ainsi que ce que mettront en place Daos et Chérestrate, l'oncle cadet de Cléostrate, pour contrecarrer les plans de Smicrinès.
Il est évident que cette pièce souffre d'être lacunaire mais pour les amoureux de l'histoire dramaturgique mondiale, elle présente un grand intérêt car on y lit clairement la révolution stylistique imprimée par Ménandre et les rails sur lesquels il positionne les ressorts classiques de la comédie et qui fleurira, pour ne citer qu'elle, la Commedia del'Arte (notamment avec son personnage d'Arlequin). Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, dont il faut aussi parfois savoir se défier et se garantir au moyen du bouclier de votre propre appréciation, c'est-à-dire, très peu de chose.
P. S. : malgré l'état lacunaire de cette pièce, au travers d'une scène particulièrement drôle où Daos ne parle qu'en citant des répliques toutes faites prélevées dans les tragédies très connues de l'époque, Ménandre nous permet d'avoir accès à des citations de pièces d'
Euripide elles-mêmes disparues depuis lors et dont se sont les seules traces.