Dans un quartier animé de Montmartre, les terrasses sont bondées par cette belle soirée de juin. « Des hommes et des femmes riaient, s'apostrophaient, trinquaient, s'embrassaient, fumaient et parlaient fort ». Et soudain, tout se fige. Un hurlement déchire l'air, un corps s'écrase sur les pavés.
Un beau matin, très tôt, sur la plage de Saint-Jean-Cap-Ferrat, Franck Madion termine sa course de préparation à l'Iron man. Sur la « grève déserte, à peine éclairée par un soleil naissant », il découvre un noyé. Rien ne permet de l'identifier : nu, aucun bijou ni signe particulier, entièrement épilé, bout des doigts brûlé, qui est cet inconnu et comment est-il arrivé là ?
Le capitaine Grondin se promet de percer son anonymat et de le rendre aux siens.
Au début, le lecteur est un peu désorienté. Un premier chapitre qui commence par une chute de six étages. Chapitre suivant, il accompagne Franck Madion qui se prépare scrupuleusement pour l'exploit sportif dont il rêve. Mais ce n'est pas encore lui le héros de l'histoire. Qui alors ? Ce corps ballotté par les vagues ?
Ainsi, en quelques pages à peine, on est face à deux cadavres non identifiés. L'auteur nous livre une vision sévère de la société. Voici des gens qui profitent d'une belle soirée estivale aux terrasses du quartier des Abbesses. Si « le cri les a glacés », ils se reprennent bien vite. Les « charognards [veulent] être les premiers à prendre en photo la scène macabre. » La police interroge les habitants de l'immeuble : personne ne connaît la victime, « une fille très discrète, on se croisait rarement, comment voulez-vous que je sache comment elle s'appelle ? » La capitaine Balansart a un pincement au coeur, « il va falloir téléphoner à ses parents, les sortir de leur sommeil pour briser leur vie à jamais ».
A Saint-Jean-Cap-Ferrat, le tableau n'est pas plus humain. Certes, Franck Madion est choqué. Pas de la mort de cet homme, non. Mais « pourrait-il sortir assez tôt pour enfourcher son vélo de course ce soir ? Louper le boulot, rien de grave, mais perturber son programme de préparation, là , c'était le drame. »
Le maire, lui non plus, n'a pas une pensée pour le noyé, pour sa famille. La seule chose qui l'intéresse, c'est que sa plage ne soit pas fermée, les vacances des touristes pas perturbées.
Mathieu Menegaux nous introduit dans une grosse banque dont le directeur accueille de nouvelles recrues. Il leur parle d'un ton amical, qui paraît sincère, évoquant même, avec quelques trémolos, sa vie familiale, alors que pour lui, ces jeunes ne forment qu'une masse anonyme et que le premier mot de sa fille a été « Chuuuut ».
Les employés travaillent de l'aube à la nuit, n'ont pas le temps de manger, sont comparés à des « forçats (…) attachés à leurs bancs et qui rament ».
C'est une société robotisée et dépourvue de tout sentiment que peint l'auteur en arrière-fond. Pas besoin d'être comme le cadavre, nu et anonyme, pour
disparaître. le capitaine de police qui veut faire son travail consciencieusement et qu'on ne regarde pas, qu'on n'écoute pas, la jeune employée modèle, toute surprise d'avoir réussi en dépit de ses origines modestes et qui est prête à aller au bout de ses forces pour prouver son mérite, et tant d'autres. Eux aussi, ils disparaissent. On ne leur prête aucune attention, on ne connaît même pas leur nom. Ou bien on l'estropie.
C'est cet aspect qui m'a glacée. Mais, si l'auteur le développe avec brio, il ne s'en sert que comme décor. Son roman présente une histoire d'amour improbable, une enquête pleine de suspense. Comme ses autres ouvrages, «
Disparaître » est une oeuvre riche et passionnante, qui tient en haleine jusqu'à la dernière ligne et ne manque pas de laisser un goût d'amertume, d'injustice ou de révolte face à cette société déshumanisée.
J'ai adoré.