Tout le monde connaît l'histoire de "
Carmen", au moins l'opéra de Bizet qui fut, en grande partie, inspiré par la nouvelle de
Mérimée du même nom.
"Si tu ne m'aimes pas, je t'aime ; Si tu m'aimes, prends garde à toi !" : ces airs si connus, si identifiables sont devenus mondialement célèbres et l'opéra de Bizet s'est vu décliné en films, ballets et nombreuses... pubs. Au bout du compte l'oeuvre de Bizet a phagocyté la nouvelle de
Mérimée qui n'a pas connu un tel rayonnement mondial.
Pourtant dans le
Carmen de Bizet, dans cette histoire d'amour, de jalousie, de femme fatale et de meurtres il y a un élément qui a disparu "corps et biens" par rapport au
Carmen de
Mérimée : c'est la figure du narrateur, dont tout laisse à penser qu'il s'agit d'un alter ego de
Prosper Mérimée.
En relisant dernièrement cette nouvelle, écrite avec élégance, dans un français très cultivé (ce qui est la moindre des choses pour un auteur qui deviendra académicien), et comme je connaissais l'histoire et son dénouement, je me suis surtout intéressé au troisième personnage de ce drame, le narrateur, qui est tout simplement "zappé" (comme on dit aujourd'hui) dans l'opéra du même nom.
Le narrateur est
Mérimée, qui voyagea à ses risques et péril, dans l'Espagne du milieu du XIXe siècle, avec un guide armé. Ne rigolez pas : il était plus périlleux d'errer dans les sierras pauvres et accablées de soleil de l'Espagne d'alors que de filer en Papouasie aujourd'hui.
Au début de "
Carmen" le narrateur, féru d'Histoire, de géographie, d'architecture et de monuments explique qu'il recherche l'emplacement exact du champ de bataille de Munda (victoire de Jules César en 45 avant JC). Qui cela pouvait-il bien intéresser alors, à part un fin lettré, un amateur de vieilles ruines tel que
Mérimée, qui un jour futur sera le tout premier à faire sauvegarder, via la loi, tant de "vieilleries" aux yeux de ses contemporains ?
La rencontre du narrateur avec Don José, première rencontre où ils sympathisent, via d'excellents cigares et un bon repas offerts par le narrateur qui comprend que cet homme en fuite n'a rien et a faim, rend le narrateur plus "humain", moins "intello".
Ensuite le narrateur, redevenu rat de bibliothèque dans un couvent de Dominicains, se voit rattrapé par la "vraie" vie : coquine et suggestive description de femmes se baignant dans le fleuve, à Cordoue, rencontre avec
Carmen à laquelle il offre une cigarette "mêlant nos fumées nous causâmes si longtemps". Scène osée quand elle fut écrite, et encore plus osée à notre époque hygiéniste. le narrateur décrit avec volupté les délices du tabac (
Mérimée fumait), et ça tombe bien puisque
Carmen est cigarière.
Et c'est tout le charme de cette relecture de ce "
Carmen" : il s'agit d'un triangle amoureux. le narrateur, malgré tout son quant-à-soi, et toute sa bonne éducation, tombe, aussi, sous le charme puissant de
Carmen. Mais à la différence de Don José il n'ira pas jusqu'au meurtre. Don José qui, pour sa part, a été complètement "ensorcelé" par cet archétype de la femme fatale qu'est
Carmen.
Une très bonne relecture d'un texte qui se lit avec autant de plaisir qu'il y a presque deux siècles.
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