Vous aimez les bonnes
nouvelles, n'est-ce pas ? Bien sûr. Moi aussi, particulièrement quand elles me concernent !
Et les bonnes
nouvelles en littérature, ça vous branche ? vous kiffez (comme on dit en français contemporain) ? Je suis sûr que oui. C'est chouette, la nouvelle, c'est reposant. C'est tous les avantages du
roman sans les inconvénients : on va droit à l'essentiel, c'est net, précis, concis, on évite les longues descriptions, les digressions saugrenues ou ennuyeuses et les délayages narratifs ; la nouvelle c'est un petit bijou qui entre deux pavés, vous apporte une respiration, un peu d'air pur. D'autant plus qu'on peut aborder tous les sujets (amour humour drame, comédie, horreur, science-fiction, tout, je vous dis), et sous tous les formats (fable, conte, récit, chose vue, nouvelle à chute…) Les plus grands auteurs s'y sont essayés, et souvent avec bonheur.
Parmi les maîtres français de la nouvelle (dont le pape est
Maupassant),
Prosper Mérimée se place dans le peloton de tête. Il n'a écrit qu'un roman («
Chronique du règne de Charles IX » - 1829), mais il nous a laissé plus d'une vingtaine de
nouvelles, certaines étant presque des petits
romans («
Colomba », «
Carmen »), d'autres devenant des modèles du genre (« Mateo Falcone », « Tamango », «
La Vénus d'Ille », «
le Vase étrusque »…)
«
La Vénus d'Ille » parue en 1837, raconte l'histoire d'un garçon qui, à la veille de se marier, joue à la pelote (le jeu de paume, pour être précis) et pour être plus à l'aise met sa bague au doigt d'une magnifique statue de Vénus, fraîchement découverte quelques jours auparavant. le hic, c'est que la statue a replié son doigt et rend impossible la récupération de la bague. le mariage a pourtant lieu, mais, le lendemain, on retrouve le jeune homme mort dans sa chambre, comme étreint par un cercle de fer. Sa femme, terrorisée, raconte que la statue est entrée dans la chambre avant son mari, et que quand ce
luici est entré, elle l'a étouffé dans ses bras.
Pour écrire ce conte fantastique,
Mérimée a puisé à deux sources : sa propre expérience d'inspecteur archéologue (il venait d'être nommé l'année précédant la rédaction de la nouvelle), et le livret d'un opéra de Louis -Ferdinand Hérold, « Zampa » (dont je vous recommande l'ouverture) dont le thème est ce
lui d'une statue qui farde à son doigt la bague d'un jeune marié.
Si «
La Vénus d'Ille » est devenue un classique de la nouvelle fantastique, c'est sans aucun doute grâce à la progression dramatique installée par l'auteur : les indices sont disposés par étapes successives et font comprendre à l'auteur que le drame se prépare : lors de sa découverte, la statue casse une jambe à l'homme qui l'a déterrée. Elle attire la méfiance de beaucoup de personnes. Sur le socle, l'inscription « Cave amantem » (prends garde à celle qui t'aime) n'est pas des plus rassurante. le joueur espagnol qui a perdu la partie de pelote menace « Me lo pagaras » (Tu me le paieras)… le style de l'auteur est à l'unisson : froid et impersonnel, purement descriptif, il laisse les faits, dans l'exposition simple et sèche de leur déroulement, installer cette sensation d'angoisse ; et quand le drame est consommé, comme il y a de fortes suspicions mais pas de certification évidente d'un meurtre réel, le doute s'ajoute à l'angoisse, et
la peur s'installe : c'est la vengeance de la statue.
Ici, ce n'est pas tant la couleur locale qui joue, comme dans «
Colomba » ou «
Carmen », c'est l'appropriation d'un style particulier, le fantastique, qui fait de
lui un précurseur d'auteurs comme
Maupassant ou plus près de nous
Jean Ray.
Après les deux
nouvelles précitées, «
La Vénus d'Ille » est certainement le troisième chef-d'oeuvre de
Mérimée.