Prosper Mérimée est un grand maître de la nouvelle, un peu oublié de nos jours cependant.
La Vénus d'Ille, publiée en 1837, illustre l'intérêt de l'auteur pour la littérature fantastique.
La narration est à la première personne ; dans une longue lettre, le narrateur raconte sa visite à un antiquaire passionné d'archéologie, M. de Peyrehorade, qui vient de découvrir une magnifique statue antique, une Vénus d'origine romaine ; un maléfice semble planer sur ce bel objet depuis qu'un ouvrier qui a participé à l'excavation de la statue a eu la jambe cassée et que d'étranges phénomènes se produisent autour d'elle. le narrateur est convié aux noces du fils de ses hôtes qui doivent avoir lieu pendant son séjour.
L'écriture est chargée de mystère ; le suspense et la tension dramatique montent habilement en puissance entre l'effet d'annonce autour des réactions diverses devant la beauté ambiguë de la statue, les tentatives de traduction des inscriptions et les rappels de légendes antiques.
Il y a dans cette nouvelle, une véritable petite étude de moeurs assez savoureuse.
Mérimée mêle à son récit des réflexions intéressantes sue le mariage et sur la situation de la belle fiancée, une jeune fille intelligente et raffinée, épousée pour sa dot par un jeune homme incapable de reconnaître ses grandes qualités ; l'auteur développe un vrai talent pour les descriptions colorées et pittoresques, pour les digressions détaillées, une certaine distance objective, un détachement critique voire un humour certain.
J'ai particulièrement apprécié la description de la noce, le parcours en calèche sous les acclamations. le contraste est frappant et toujours présent dans le récit entre la véritable érudition du narrateur, un archéologue parisien, et l'amateurisme m'as-tu-vu de l'antiquaire roussillonnais. Tous les personnages sont, par ailleurs, finement travaillés malgré la brièveté du texte ; hormis ceux dont j'ai déjà parlé, je peux ajouter que le fils de famille est particulièrement sot, imbu de sa personne et imprudent, que sa mère est une bonne bourgeoise de province à l'esprit étroit et méfiant.
Quant au narrateur, j'ajouterai simplement qu'il est un double intra-diégétique de
Prosper Mérimée qui lui prête sa concision, son sens aigu de l'observation, son détachement, son style factuel, son esprit cartésien et logique et, enfin, ses propres doutes ; à ce titre, je me demande s'il faut voir dans le dénouement une quelconque morale…
En ce qui concerne le côté purement fantastique, il est important de remarquer que le dédoublement de l'objet étrange est particulièrement subjectif : en effet, le narrateur n'est pas vraiment témoin des évènements surnaturels et il ne les subit pas personnellement ; il est troublé et intrigué. Il nous livre donc ses réflexions notamment sur la symbolique de l'échange des anneaux, sur le choix du fiancé porté sur un bijou trop voyant, sur les doigts de la statue.
Il y a quelque chose de dérangeant dans le simulacre de culte païen envers la Vénus, la manière dont, malgré les à priori de la mère du marié, elle est en quelque sorte associée aux festivités du mariage et surtout, dans les allusions grivoises de l'antiquaire qui la compare à la mariée. Il y a souvent un effet miroir entre la jeune femme et la statue, une constante comparaison et opposition en filigrane.
Ce fut un réel plaisir de relire cette nouvelle !