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Peut-on séparer le blanc du jaune sans tout monter en neige ?

Disons-le d'emblée, et parce que sa réputation précède l'ouvrage : oui c'est une lecture malaisante, mais parce que son auteur, Montherlant est un écrivain malaisant, pour un tas de raisons.

Oeuvre de friction. Dans cet ouvrage, on ne peut s'empêcher, depuis sa parution d'ailleurs, d'y voir le point de vue de l'auteur. Pourquoi n'admet on pas qu'il puisse s'agir simplement d'une oeuvre de fiction ? Et, à l'inverse, pourquoi le fait pour l'auteur et ses défenseurs de se cacher derrière l'alibi, la licence littéraire n'a jamais convaincu ?

Montherlant a, toute sa vie, suscité la polémique, son oeuvre jugée géniale par certains et surfaite par d'autres, ses pièces de théâtre, autrefois à succès, semblent aujourd'hui oubliées et ce qui fait sa discrète postérité est cette série de romans “les Jeunes Filles”.

Le personnage d'anti-héros de Pierre Costals est un séducteur méprisant, suffisant, qui entretient des correspondances avec plusieurs jeunes femmes totalement raides de lui. le roman est d'ailleurs en grande partie épistolaire, ce qui est à porter au crédit de l'oeuvre. le lecteur est ainsi témoin de ce courrier des fans où les déclarations les plus enflammées se heurtent au silence, au dédain, et aux outrances misogynes d'un personnage qui croit avoir tout compris.

Certes Costals avec honnêteté décourage, tente de dégriser les élans de ses admiratrices, mais d'autre part il joue aussi avec les sentiments de Solange et la manipule pour arriver à ses fins, sachant très bien où finira l'affaire : “c'était ce menton un peu lourd qui lui permettrait un jour de la quitter le coeur léger.”

Cependant Costals a des idées arrêtées sur tout, cela parfois avec la complicité du narrateur (suivez mon regard). Surtout, Costals se trompe en essentialisant l'état amoureux, et en le rattachant à un sexe ou l'autre. Par exemple, à Andrée qui écrit “vous ne savez pas ce que c'est que la volonté d'une femme”, Pierre Costals répond : “je vous mets en garde, aussi, contre votre croyance au pouvoir du désir et de la volonté. Vous savez mon opinion sur la maladresse des femmes : une de ces maladresses me paraît être leur foi dans l'efficacité de l'insistance.”

Or, l'état amoureux n'a pas de sexe. On peut avoir bien sûr, avec toute la nuance requise, une discussion sociologique, historique, culturelle sur le conditionnement des genres, sur le rose et le bleu, les poupées et les camions etc, ce que d'ailleurs reconnaissons-le, Montherlant n'ignore pas, faisant parfois allusion aux problèmes liés à l'éducation des femmes et à leur place dans la société des années trente, regrettant que celle ci ne permette pas leur émancipation, notamment vis à vis des hommes.

Pourtant on ne peut pas réduire à une dimension sexuée les comportements amoureux. Dans le reproche adressé par Costals dans la citation plus haut, il n'y a pas de stigmate spécifique à un genre ou à l'autre dans “efficacité de l'insistance” me semble-t-il, les hommes ne sont pas en reste dans ce domaine. Et cela, je crois, Roland Barthes, lorsqu'il livra Fragments d'un discours amoureux, l'avait bien compris, chacune et chacun se retrouve dans les tourments, les élans de la passion, indifféremment du genre. Barthes, qui au demeurant n'était pas tendre avec Montherlant, jugeant notamment : «Je relisais précisément ces jours-ci une oeuvre bien “littéraire” : La Reine morte : texte anachronique, bouffon de pose littéraire, singeant le classique comme un film de Sacha Guitry la Révolution».

Les “portraits de femmes” ne sont finalement pas si caricaturaux. Je veux dire qu'elles n'ont pas à rougir d'être amoureuses et qu'elles font preuve d'une introspection souvent lucide, toujours exigeante et intelligente, notamment Andrée, le véritable souffre-douleur du personnage principal. Consciemment ou malgré lui, Henry de Montherlant démiurge est derrière chacun de ses personnages féminins et peut-être malgré lui, leur fait honneur aussi. Alors certes on a parfois envie de secouer Andrée, de lui dire “lâche l'affaire” pour autant, ai-je envie de dire, minute papillon ! Il faut parfois passer par chaque étape d'une passion, et la colère, l'illusion, le déni, se mentir à soi-même, s'accrocher, se fabriquer un peu d'espoir et mal interpréter certains gestes, certaines paroles, sont aussi des passages, sinon obligés, du moins qu'on peut tous comprendre, parce que c'est trop tôt pour renoncer, parce qu'on a rien d'autre à quoi s'accrocher, parce qu'une chimie secrète se forme dans notre cerveau reptilien et qu'il faut laisser décanter tout ça etc…

Mais de là à théoriser, comme le fit en d'autres occasions Montherlant, sur une faiblesse congénitale, un péril civilisationnel ou l'avènement d'une société de “midinettes” qui “émascule la France”, on préférera croire à la mauvaise foi plutôt qu'à la crédulité, pour ne pas insulter l'intelligence d'un auteur qui s'est assez fourvoyé lui-même dans des écrits jugés collaborateurs, après la victoire de l'Allemagne nazie en 1940…

Les écrivaines elles-mêmes semblent en désaccord sur l'appréciation de cet ouvrage, dans le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir est intraitable sur la misogynie de l'auteur des Jeunes Filles, de leur coté Marguerite Yourcenar ou encore Amélie Nothomb saluent le génie littéraire.

Sur l'oeuvre littéraire, intrinsèquement, d'abord le style est très bon, l'écrivain ne manque pas d'humour ; par exemple une scène d'anthologie au cours de laquelle Montherlant se moque du public bourgeois assistant à un concert de musique classique, portant sur la société galante parisienne de son époque un regard souvent juste mais cynique. Ainsi, il vilipende les moeurs de son temps, le mariage, la famille et son obligation procréatrice qu'il juge très sévèrement : “c'est toujours la même chose. Faire des enfants, puis ne savoir qu'en faire.”

Néanmoins, on ne peut pas s'empêcher de lire aussi cette oeuvre à la lumière de la biographie de l'écrivain (c'est le moment #balancetonporc) car lorsqu'on constate cette acerbité envers les femmes on s'interroge, est-ce qu'elle peut être le reflet de ses propres peurs ? Quand on a peur on peut vite détester, rabaisser, pour tenter vainement de garder le dessus sur des injonctions sociales qu'on ne peut honorer. Montherlant en effet a fuit, jusqu'à son suicide en 1972, à la fois le mariage et la paternité, est-ce uniquement la marque d'un désir absolu de liberté ? Si l'on en croit les confidences indiscrètes de son ami l'encombrant Roger Peyrefitte (qui rappelait à un Jean d'Ormesson exaspéré leurs aventures en Thaïlande en direct sur le plateau de Bernard Pivot), l'académicien français, que ses biographes ont présenté à demi mot comme homosexuel, avait en fait des pulsions pédérastiques qui n'avaient hélas pour ses victimes, rien d'inassouvies, cela lui en aurait même coûté un oeil ; il entretint du reste, des rapports étroits avec un certain Gabriel Matzneff… J'en veux pour preuve cette citation pour le moins étrange dans le bouquin : “J'ai mis ange au féminin. En effet, puisque les anges sont de purs esprits, je ne vois pas pourquoi on les représenterait exclusivement sous forme mâle, sinon pour satisfaire la pédérastie inavouée du genre humain.” du “genre humain”, ben voyons, c'est celui qui dit qui est… Montherlant essayerait-il de se dédouaner de ses propres penchants pédo-criminels en les attribuant au “genre humain” tout entier ?

Il n'en reste pas moins, pour conclure, que l'auteur provocateur a bien du, face à la persistance de la critique sur son livre, se défendre en expliquant “c'est un livre composé de gags à la Charlot, un livre comique, au second degré, ce que le public n'a peut-être pas vu.” L'auteur disait encore «la recette la plus sûre pour faire une oeuvre de valeur, c'est de recueillir sur le papier, tout chaud, ce qui gicle de vous” … peut-être bien, mais l'envie de poursuivre cette saga avec des opus aux titres, plus lourdeaux que finement ironiques, tels que “Le Démon du bien”, “Les Lépreuses” ou encore “Pitié pour les Femmes” ne me démange pas vraiment.

Cette critique restera t-elle, comme les nombreuses lettres d'Andrée à Pierre Costals, “sans réponse” ? Qu'en pensez-vous ?
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Il est des livres dont le nom de l'auteur évoque bien quelque chose mais qui me semble t-il sont tombés en désuétude", ce roman de H de Montherlant premier tome de la série Les jeunes filles, me parait en faire partie. Et bien je trouve cela fort dommage....
Années 1925, Pierre Costals est un écrivain célèbre. Il vit de sa plume, a du succès auprès des femmes, fréquente peu les salons mondains, bref mène la vie aisée d'un jeune bourgeois parisien où l'écriture est primordiale et la gent féminine fort présente. Sa notoriété littéraire lui vaut des lettres passionnées de ses admiratrices. Parmi elles des jeunes femmes, encore jeunes filles, plus toutes jeunes, pas forcément jolies, C'est ainsi que nous découvrons mademoiselle Thérèse Pantevin, jeune fille dévote écartelée entre son amour pour Costals et sa vocation religieuse.
Andrée Hacquebaut, bientôt trente ans, est elle une jeune fille cultivée, préférant les occupations intellectuelles à celles qui lui permettrait de sortir de la misère décente dans laquelle elle vit. Elle vient une fois de temps en temps à Paris et ne cesse de vouloir le rencontrer…
Ce dernier répond parfois à leurs missives enflammées, usant souvent du silence, il attise ainsi leur passion .Véritable pourfendeur de la gent féminine où seules les plus jolies, bêtes de préférence ou les filles de joie trouvent grâce à ses yeux, Costals démonte la psychologie féminine et les regarde à travers un prisme déformant ...Rien n'échappe à sa verve ironique .mordante, caustique. Pour lui Les Jeunes Filles sont comme ces chiens abandonnés, que vous ne pouvez regarder avec un peu de bienveillance sans qu'ils croient que vous les appelez, que vous allez les recueillir, et sans qu'ils vous mettent en frétillant les pattes sur le pantalon. »
Un roman au ton certes misogyne mais fidèle portrait de la société de l'époque où pour seul avenir la jeune fille n'avait que celui de son futur époux,…
Jubilatoire à souhait, un pur bonheur de lecture.
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Les auteurs de romans d'amour sont les premières victimes de leur sentimentalité. Pierre Costals, le personnage central des Jeunes Filles, serait-il le représentant précoce –quoique plus complexe et psychologiquement plus profond- d'un Marc Lévy ou d'un Guillaume Musso ? Ses talents à mettre en scène les flux et reflux amoureux de ses personnages déchaînent les fantasmes de lectrices pour lesquelles l'amour n'est encore qu'un rêve parsemé de préjugés romantiques et bourgeois. Thérèse et Andrée vivent ici ou là, dans des coins perdus de province et, à l'aube de la trentaine, elles ne connaissent rien de plus de l'amour que ce que Pierre Costals, par le biais de ses romans, veut bien leur en montrer. Passionnées par désespoir, elles assaillent l'écrivain de lettres dans lesquelles toute l'infamie de leur existence transparaît, espérant susciter chez leur lecteur sinon l'amour, au moins la compassion débordante dont il fait preuve dans ses romans.si Thérèse, dévote et larmoyante, et Andrée, intellectuelle au moral solide, ne se ressemblent pas dans leurs caractères, elles sont en revanches aussi laides l'une que l'autre. Ce détail semble suffire à Pierre Costals qui, déjà bien occupé par ailleurs avec d'autres amantes -jeune fille, maîtresse et prostituée-, dédaigne longtemps de leur répondre, malgré l'abondance de leurs courriers. Et puis, il consent enfin à donner signe de vie au moment où l'engouement de ses lectrices allait s'éteindre, relançant mieux que jamais leur ardeur et les précipitant, de fait, vers une ruine douloureuse.


La forme fluide de ce roman se montre passionnante et fait s'alterner à un rythme rapide les lettres envoyées par Pierre, Andrée ou Thérèse, parfois entrecoupées d'annonces matrimoniales, de dissertations d'écrivain et de narration plus classique, venue à point nommé pour éclaircir et relancer la tension des échanges épistolaires. Cette forme éclatante s'accompagne d'un fond délicieux qui n'échappe pas à une virulente cruauté nietzschéenne. Alors que les années 30 valorisaient le mariage, Henry de Montherlant signe un acte de mort à la conception bourgeoise du couple. Plus encore que la laideur et le désespoir de ses lectrices, ce sont les fantasmes dans lesquels se repaissent Andrée et Thérèse qui dégoûtent Pierre Costals. Parle-t-on alors davantage de méchanceté que de fatigue ? Pierre Costals ne fait-il finalement pas preuve de charité en essayant de guérir deux femmes perdues de leurs illusions ? Celles-ci croient ne pouvoir assurer leur bonheur qu'à la condition de s'allier à un parti convenable ou passionné ; il semble plutôt temps qu'elles essaient de décoller par la propre force de leurs talents. Leur souffrance est un instrument d'instruction. Même s'il ne semble pas s'en rendre compte, Pierre Costals cherche à faire grandir ses maîtresses en leur donnant à croire en elles-mêmes, bien que son ambivalence nourrie d'une passion intarissable pour la nouveauté et la diversité des visages humaines le pousse lui-même à courir sans cesse après une forme d'idéal négatif : celui de la femme passive, dénuée de tout sentiment et de tout intellect.


Henry de Montherlant se promène d'ambivalences en contradictions pour tracer des portraits nuancés de ses personnages. le sentiment amoureux et la notion de couple passent au crible d'idées qui apparaissent comme un savoureux mélange d'influences nietzschéennes et de prémisses kunderiens. le premier réapparaît dans sa façon de considérer la relation amoureuse à la manière d'une annexion(« On ne devrait jamais dire à quelqu'un qu'on l'aime, sans lui en demander pardon ») et le deuxième se laisse présager dans la mélancolie que ressent Pierre à chaque fois que, choisissant momentanément une femme, il comprend devoir se priver de toutes les autres qu'il aurait pu choisir de manière tout à fait égale (« Ce monstrueux hasard à la base : l'homme qui est forcé de prendre une compagne pour la vie, alors qu'il n'y a pas de raison pour que ce soit celle-là plutôt qu'une autre, puisque des millions d'autres sont aussi dignes d'être aimées »). Si Pierre Costals rejette la notion de couple bourgeois, ce n'est pas par avarie mais au contraire par excès d'amour : amour de soi-même, et amour de l'altérité en général. Amour de la vie demandant une plénitude et une pleine disposition de l'individu, plutôt que restriction des possibilités et enfermement dans une routine d'idées et de comportements menant à terme le dépérissement de l'individu : « Tout ce qui crée des rencontres mérite encouragement, même quand il s'agit de rencontres à fin sentimentale, et malgré tout ce qu'elles supposent de niaiserie et de médiocrité ». On retrouve également le cynisme joueur d'un Oscar Wilde dans les piques lancées par Pierre Costals. Lorsque le second écrit : « Chacun de ces restaurants du Blois évoquait pour Costa des souvenirs contradictoires : heures d'ivresse, quand il y était avec une femme qu'il n'avait pas encore possédée, heures d'embêtement mortel, quand il y était avec une femme à lui », on retrouve un peu des idées du premier : « J'aime bien tout savoir de mes nouveaux amis, et rien de mes anciens ».


Pierre Costals et ses Jeunes filles sont des amis aux passions et à l'audace stimulantes, dépassés par les fluctuations de leurs désirs, maintenus par les idées qu'ils brandissent pour se justifier. Henry de Montherlant, brillant manipulateur, sait aussi maintenir son lecteur en haleine en dispersant sa série en plusieurs volumes qu'il faudrait découvrir presque aussitôt…

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Ah, Les Jeunes Filles... ! Je garde un délicieux souvenir de cynisme provocateur à la lecture de ce roman dans lequel Montherlant faisait une analyse jubilatoire de la psychologie féminine.
Costals, écrivain parisien libertin, cynique, désabusé et séducteur est l'objet d'adoration des jeunes filles qui, comme de juste, rêvent de trouver le grand amour et de convoler en justes noces.
Malheureusement pour elles, elles trouvent en la personne de Costals un homme totalement allergique à l'idée même d'amour et de mariage, qui joue avec leurs sentiments avec un cynisme redoutable.
Montherlant décortique avec brio et beaucoup de justesse psychologique la complexité des sentiments qui agitent les protagonistes de l'amour à la pitié en passant par l'amitié et pose la question de la possibilité de l'amitié dans les rapports hommes-femmes… On n'est pas loin de Bridget Jones !
En 1977, Jean Piat prêta brillamment ses traits à Pierre Costals dans une interprétation teintée d'ironie désabusée.
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Avec ce premier roman Les Jeunes filles, je commence ce cycle de quatre livres, autour du personnage principal, Pierre Costals, écrivain dont j'hésite à dire qu'il serait un double ou porte-parole de l'auteur. Les propos sont d'une rare misogynie, mais pourtant dénués de malveillance : le personnage de Costals n'est pas à l'honneur pour autant. le maître mot est "lucidité", et c'est ce qui rend ce roman sympathique, bien que le discours masculiniste y soit résolument de mise. Je ne suis du reste pas surprise, en lisant la biographie de l'auteur.

De quoi est-il question ? L'auteur parisien Pierre Costals entretient deux relations épistolaires dans ce roman avec deux jeunes filles, ou femmes : Thérèse Pantevin et Andrée Hacquebaut ; il passe toutefois la majeure partie de son temps à ne pas répondre à leurs lettres enflammées, et mène ses propres affaires sentimentales, sans se gêner plus que ça. Thérèse n'existe que par les lettres, elle a une nette tendance à une forme de masochisme mystique et Costals l'enjoint de se consacrer à Dieu. Andrée est un peu plus proche de lui, elle vient parfois à Paris et le rencontre, ils ont une relation amicale qu'elle voudrait trouble, alors qu'il s'évertue à lui prouver qu'il ne l'aime pas.

Les personnages féminins sont cliniquement décrits, même si par certains aspects, les émois d'Andrée peuvent être touchants : on sent bien qu'elle s'est trop engagée affectivement dans cette relation pourtant unilatérale pour renoncer, car elle perdrait trop. Quatre ans durant, elle a cherché à le convaincre qu'elle ferait son bonheur, voire qu'il l'aime sans s'en rendre compte, et lui de son côté a tenté de repousser les avances de la jeune femme, principalement parce qu'il ne la trouve pas belle et ne la désire pas.

Le problème moral posé est en soi passionnant : est-il cruel en refusant une liaison qui ne le tente pas, alors même que lorsqu'il essaie d'être le plus clair possible sans la blesser, elle ne veut pas l'entendre, et continue de plus belle à faire le siège, allant jusqu'à s'offrir de façon gênante ? S'il était vraiment un sale type, ne profiterait-il pas d'elle pour la laisser ensuite ? le fait que ces échanges soient évoqués sous forme de lettres, intercalées avec des chapitres narratifs, est divertissant, je me suis laissé prendre à leur histoire, et même si j'avais fortement envie de secouer Andrée, je me suis demandé si elle n'allait pas finir par avoir gain de cause...

Costals montre un autre visage de lui-même lorsqu'il rencontre Solange Dandillot, une jeune fille envers qui il se sent violemment attiré, bien qu'il ne partage rien intellectuellement avec elle, au contraire d'Andrée. Pourtant, ils sont subjugués l'un par l'autre, même s'il garde la main et la contrôle sans vraiment la comprendre ; leurs premiers rendez-vous font des étincelles.

C'est finalement un personnage complexe que Costals, père célibataire, amant épisodique fidèle à ses "amies" et généreux, écrivain qui veut préserver sa paix et sa liberté, mais aussi misanthrope souvent écoeuré par les travers de ses semblables. A travers la quête de jouissance de Costals, mais aussi son observation lucide des caractères qui l'entourent, Montherlant dévoile qu'il est autant romancier que moraliste. C'est finalement un roman d'une forme un peu datée, mais intelligent, souvent drôle car empreint d'un humour caustique, qui me plaît suffisamment pour me tourner vers la suite.
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C'est par la lecture de ce premier tome des «Jeunes Filles» que je découvre son auteur Henry de Montherlant.

Je dois avouer que je ne connaissais pas cet académicien français et si mon ami jeeves_wilt n'avait pas insisté pour que je le lise, il serait probablement encore inconnu pour moi aujourd'hui. Merci donc à lui car je découvre une plume magnifique pour exprimer l'ambiguité des relations humaines, en particulier entre les hommes et les femmes.

«Les jeunes filles» est un gros pavé, en parti roman épistolaire, fragmenté en quatre opus. Celui-ci est le premier, dont il conserve le titre, et les suivants sont Pitié pour les femmes, le démon du bien et enfin Les lépreuses.

Pierre Costals en est le personnage principal. C'est un écrivain célèbre, séducteur et qui par sa notoriété est amené à entretenir, discrètement, de nombreuses relations avec les femmes. Parlant d'amour dans ses romans, le lectorat féminin de Costals est conséquent et certaines d'entre elles n'hésitent pas à lui écrire.

Ce premier tome nous présente ainsi les lettres de quelques-unes de ces lectrices à Costals et les difficultés pour l'écrivain d'entretenir ces relations épistolaires. En effet, on découvre un homme qui ne répond pas régulièrement à ces lettres, ou bien qui va user d'un certain cynisme dans ses réponses, toujours à la limite du respect, face à des femmes qui l'idéalisent à travers ses écrits. Je suppose un personnage qui redoute de souffrir et qui peut apparaître odieux en voulant se protéger, il est bien difficile en effet pour moi de cerner son caractère à la fin de ce premier tome...

L'auteur met en évidence les maladresses de chacun, actes manqués ou mal interprétés entre hommes et femmes, qui engendrent des situations malheureuses ou qui peuvent faire souffrir.

Une belle lecture en tout cas qui incite à lire la suite...
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Écrire les relations entre les hommes et les femmes, rien de plus délicat ! Montherlant est un maître en la matière : jamais faux, toujours drôle, voire cynique, il se pose en observateur des moeurs d'un temps pas si éloigné du nôtre.

Dans ce premier volet, Costals, jeune parisien bourgeois, est l'homme à femmes des années 1920 : écrivain à succès de romans pleins des sentiments qu'il n'éprouve pas, séducteur des jolies filles à papa, volontiers taquin ou odieux avec les moches, qu'elles soient dotées ou rentières ; bref, Costals collectionne les conquêtes éphémères et les femmes dans chaque port.

La rançon du succès, c'est que Costals reçoit des lettres enflammées de provinciales bigotes et/ou fanatiques de son oeuvre : recluses chez leurs parents, ces jeunes filles désoeuvrées, vouées à épouser un autochtone pas franchement doué ni séduisant, déversent des pages de fantasmes. Mais Costals y répond rarement, et s'il le fait, c'est avec pitié, moquerie, condescendance ou méchanceté : c'est selon son humeur du moment.

« Les jeunes filles sont comme ces chiens abandonnés, que vous ne pouvez regarder avec un peu de bienveillance sans qu'ils croient que vous les appelez, que vous allez les recueillir, et sans qu'ils vous mettent en frétillant les pattes sur le pantalon. »

Grotesque, cruel, drôle, vérace ; en un mot : excellent ! Montherlant ne mérite pas le placard ni l'oubli. Plus qu'un roman, Les Jeunes Filles regroupe récits, lettres, petites annonces matrimoniales et réflexions de l'auteur sur les hommes et les femmes : ensemble ils composent une oeuvre à la narration originale, multipliant les angles de vue et les portraits.

Costals est révélateur d'une manière de vivre : peut-on être heureux à deux ? Faut-il être absolument égoïste et ne dépendre de personne pour satisfaire son bonheur ? Les hommes vivent le mariage comme une perte de liberté et d'autonomie ; les jeunes filles sont, elles, symptomatiques de la condition féminine : éduquées pour appartenir à l'homme, leur personnalité et leurs désirs se fondent dans leur destin de femme servile.

Si Montherlant donne à voir une société misogyne, il est néanmoins dans le vrai, n'en déplaise à certains lecteurs. Même si les femmes se sont aujourd'hui plus émancipées, Montherlant reste actuel sur bien des aspects sans être caricatural : les jeunes filles rêveuses, qui se font des films sur les sentiments de l'autre, courent après les illusions de l'amour. Il creuse trop les personnages pour permettre à la caricature de s'infiltrer dans ses romans : à lire avec délice !

Trois volumes sont à suivre !

Lisez la critique sur mon blog :
http://www.bibliolingus.fr/les-jeunes-filles-1-4-henry-de-montherlant-a80136606
Lien : http://www.bibliolingus.fr/l..
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Je viens de terminer "les jeunes filles" de Henry de Monterlant qui m'avaient scandalisée lors de ma première lecture à 15 ans.

Ma conclusion est que je l'avais lu beaucoup trop jeune et n'y avais pas compris grand-chose, si ce n'est la goujaterie du héros.

Je n'y avais pas vu la dérision et la perspicace analyse de la psychologie masculine (et féminine) par l'auteur, qui, pour un peu, irait jusqu'à la misandrie presque davantage que vers la misogynie.

Il y aurait ici beaucoup à dire : Montherlant, quand même, quelle pointure : style, réflexion, élégance jusque dans la gaudriole... du grand art, même s'il n'est pas allé au bout de son analyse en ce qui concerne les femmes ( le mariage certes, comme seule carrière possible en 1930. Mais voulaient-elles l'homme comme fin ou l'homme comme moyen de la seule réalisation de soi permise ? )

Et de fait, on voit bien l'amoureuse Andrée Hacquebaut confondre fin et moyen. Quoi de plus naturel ?

L'homme (ici un écrivain à la mode, snob, libertin quoique conventionnel et un peu grotesque) tourné vers le monde et ses vanités (vanitas vanitatum, et omnia vanitas) et la femme, avide, ne lâchant pas de vue son objectif, tournée vers la réalisation de soi avec une marge de manoeuvre très étroite : contracter mariage, seule carrière possible à part celles de vieille fille ou de prostituée : faire un mariage honorable pour garder la tête haute.

Hommes et femmes tous deux conformistes et obéissant aux pressions sociales, les premiers par vanité, les seconds par instinct de survie.

Mais il n'y a pas que cela.

On sent le jansénisme dans cette oeuvre plus sévère qu'il n'y paraît, et un mysticisme certain.

Le mysticisme semble l'affaire des femmes, même si elles se trompent d'objet. L'homme ici ne connaît la vie spirituelle que par les livres et l'érudition, par le "on-dit". Les femmes le vivent ; les deux amoureuses de Costals le vivent : l'une un peu givrée de religion ; l'autre, plus estimable que l'objet de son amour car elle va au bout de la réalisation de soi, jusque dans l'anéantissement. Elle seule risque et ose, c'est au fond de l'abîme qu'elle atteint la grandeur malgré la chute, malgré l'humiliation. le péché originel, c'est d'avoir commis l'erreur fondamentale de confondre Dieu et sa créature, d'avoir divinisé l'homme. Que l'on soit croyant ou athée, il ne faut jamais confondre la partie et le tout, l'univers et son infinitésimale manifestation.

Costals lui, personnifie l'impuissance à vivre, à risquer, à s'oublier. C'est un obsessionnel de soi-même, amoureux de son image. Costals, être inachevé, qui SAIT, mais ne SENT pas (c'est Montherlant qui le dit). Costals est un castrat de l'affect.

Costals et Andrée Hacquebaut sont des prototypes : deux intellectuels, l'un dans le monde mais fasciné par les vertiges de la vie spirituelle dont il a peur et qu'il contemple en miroir chez la femme ; l'autre, retirée du monde dans sa nuit intérieure et attirée par la "normalité" qu'elle prête au monde. Encastrés l'un dans l'autre comme le Yin et le Yang.

Voici une oeuvre de haute volée qui dépasse de beaucoup les rapports femmes/hommes.

Ajout le 4 décembre 2022 :

Stupéfiant : Montherlant s'est inspiré dans ses quatre romans de la série des Jeunes filles du livre de Roberto Arlt paru en 1933 "La danse du feu" ("El amor brujo).

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Avec cette oeuvre, j'ai découvert la plume de Henry de Montherlant. Il s'agit du premier tome d'un roman épistolaire et psychologique, étudiant le comportement d'un libertin sévissant à la fin des années 1920 en France. le personnage masculin est fort antipathique, dénué de toute morale, de sentiments et d'émotions. Son seul but semble être l'enrichissement de son tableau de chasse. C'est un consommateur de chair fraîche, comme pouvait l'être avant lui le Dom Juan de Molière à qui il ressemble beaucoup. Il faut dire, qu'écrivain reconnu, adulé même par la gent féminine, il surfe sur la vague de ses succès littéraires et qu'il est aidé dans sa tâche de séducteur par les fantasmes de demoiselles déjà "vieilles filles" intellectuelle franchement laide, à ses yeux, pour l'une d'elles ou totalement hystérique et dévote pour l'autre. Malgré des invitations sans équivoques à se glisser dans le lit de l'homme de lettres, le héros reste de marbre, se montrant parfois parfaitement odieux et goujat, soufflant le chaud et le froid, par plaisir et cruauté, et préférant séduire une fille plus jeune, très belle mais totalement idiote et pas particulièrement sensuelle.
Montherlant étudie les rapports amicaux entre hommes et femmes et fait dire à son héros qu'il n'a jamais rencontré une femme qui fut à la fois belle et intelligente... ce qui peut initier de très longs et intéressants débats!
Un livre merveilleusement bien écrit mais qui présente quand même parfois des longueurs et donne aussi envie de souffleter le séducteur impénitent et de secouer les "dindes" qui, sans doute énuclées, s'offrent à lui. Un roman qui ne grandit ni l'homme, chasseur insatiable, ni la femme proie idéale à cause de sa sottise.
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Un écrivain célèbre et libertin est assailli par des femmes. Un grand cycle romanesque et un des sommets de la misogynie.
Mais c'est tellement drôle...
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