Je souligne la qualité de l'objet livre. Une belle police, des pages au cadre grisé. Bref une présentation qui rompt avec la banalité de tant d'ouvrages.
Je suis peu friand des ouvrages « utopistes », de ces écritures de lendemains organisés, d'émancipations corsetées. Les transformations possibles du monde ne sauraient être abordées dans une logique fermée et auto-engendrante, sans place pour l'action collective et individuelle. Je partage le point de vue d'
Isabelle Garo développé dans
Marx et l'invention historique (Editions Syllepse, Paris 2012) « les moyens ne sont pas une transition vers des fins distinctes qui en actualiseraient les promesses, ils sont des médiations coextensives à la détermination progressive de ces mêmes fins au cours du mouvement même de leur réalisation, au point d'en être l'origine et la matrice en même temps que la résultante »
Bien sûr, ce positionnement est anachronique en regard du siècle de l'auteur. Je ne garderais donc que la charge critique, cette pensée révoltée contre l'air de son temps, des évidences affirmées au nom de Dieu, du Roi, ou de tout autre motif, et en particulier contre la propriété privée « des possessions usurpées sur le fonds qui devait indivisiblement appartenir à l'humanité entière » ou « Pourquoi restreindre le bien public par la chose du monde la plus capable de le détruire, par une propriété qui incline si facilement l'homme à l'usurpation ».
Etienne-Gabriel Morelly disserte, entre autres, sur la liberté, la dépendance, la bienfaisance « la véritable bienfaisance est la fille de l'amour de notre être, dégagé de toute crainte, de toute espérance erronée ou frivole ? »
Je souligne la belle préface de
Stéphanie Roza. En particulier l'inscription du
Code de la nature dans les débats philosophique de son siècle « Toutefois, son apologie de la religion naturelle et de la raison, ainsi que la violence avec laquelle il dénonce l'institution catholique, ne peut laisser le moindre doute quant au fait que notre auteur se situe dans la camp éclairé, et que c'est de cette position fondamentale qu'il attaque les thèses de
Montesquieu ». Elle insiste aussi sur le rapport à la propriété « Son utopie, en tant que construction théorique d'une société sans propriété privée, incarne sans doute ce qu'un intellectuel des Lumières pouvait produire de plus radical et de plus cohérent à la fois. »
Oui, comme l'a écrit mon ami Nicolas, il ne faut pas « abandonner le patrimoine, ne pas laisser de côté toutes ces théorisations qui ne sont pas seulement révélatrices d'une époque mais aussi permettent de mettre à jour des filiations, ici avec Babeuf mais surtout avec Fourier pour construire une histoire de cette pensée de la construction de mondes idéaux ».