Voici un ouvrage fort savant sur l'univers des odeurs et des parfums qui va vous faire voyager dans l'espace (Occident et Orient) et dans le temps (de l'Antiquité à nos jours).
Cet essai de
Brigitte Munier est très érudit dans le sens fouillé, documenté et complet.
Son seul bémol tient au fait qu'il traite d'un univers particulièrement précis :
Brigitte Munier utilise donc bien souvent un vocabulaire très spécifique, difficile à maîtriser pour un néophyte , ce qui complique parfois la compréhension. de plus, si elles viennent illustrer son propos, l'évocation de scènes mythologiques viennent parfois alourdir ce qu'elle souhaite faire passer.
Cela dit, une fois ces termes intégrés, je dois dire que "Odeurs & Parfums en Occident" m'a beaucoup appris, et m'a également fait réfléchir car certains points sont abordés sous des angles que je n'avais jamais considérés.
J'ai beaucoup apprécié toute la partie relative à l'histoire du parfum dont je vous ai fait un condensé ci-après, si vous souhaitez en savoir plus.
Bien que maintenant évident suite à cette passionnante lecture, je n'avais jamais rapproché l'univers du parfum du monde divin.
Enfin, j'ai découvert grâce à ce livre que les odeurs déterminent nos relations sociales, qu'elles ont été un justificatif de l'intolérance et du racisme (noirs, juifs, nazis...), qu'elles jouent un rôle dans le cadre de la mémoire olfactive en sollicitant nos émotions, de l'ampleur de ce que l'on appelle la manipulation olfactive via un marketing, qui tente d'agir sur nos comportements, ou encore qu'il existait des cartes olfactives des villes dont le rôle est d'identifier des zones précises.
Cet essai répond à toutes ces pistes de réflexion et bien d'autres encore!
Et pour aller plus loin, on peut se demander ce que sera
le parfum de demain? : Un parfum que l'on transpirerait?(référence à la sueur des Dieux), ou qui effacerait les effets de l'âge? (référence à l'obsession qui existait déjà à l'antiquité).
Pour ma part, je pense que l'homme doit accepter le caractère insaisissable du parfum, le laisser s'évaporer car c'est justement son caractère éphémère qui nous offre un moment de beauté fugace mais plein de sens et d'émotions.
Quoi qu'il en soit, je ne résiste pas à vous citer la phrase de
Patrick Süskind qui donne tout son sens à cet essai : "Qui maîtrise les odeurs, maîtrise le coeur des hommes"
Merci aux éditions du félin ainsi qu'à Babelio, qui une fois de plus m'a permis de partager avec vous un moment de lecture très instructif pour qui souhaite découvrir la face cachée des odeurs & de leurs vies à travers les siècles.
Comme je vous l'ai proposé plus haut, voici maintenant un bref aperçu chronologique de l'histoire du Parfum et de son usage en Occident:
L'odorat fut un sens longtemps relégué en bas de l'échelle de nos sens, car gouvernant nos émotions, il nous renvoyait à notre animalité.
Freud va même jusqu'à dire que la civilisation a pu naître parce que l'homme a renoncé à son sens de l'odorat! Toutefois, on notera que dès le 18ème siècle, se développent des expressions qui mettent ce sens en valeur en l'associant à l'intelligence (par exemple avoir le nez fin ou encore évoquer le flair du détective).
Dans l'Antiquité,
le parfum (associé à l'âme) est sensé être réservé aux Dieux et être utilisé à des fins religieuses, thérapeutiques (pour les malades)et/ou purificatrices. Mais la fascination provoquée par ces odeurs enivrantes va conduire "le mortel" à en user également dans son quotidien.
Le parfum ainsi détourné de son but principal dédié au divin, certains penseurs vont condamner son usage profane, à fortiori si les ingrédients utilisés sont issus de parties génitales d'animaux (castoréum, ou encore le musc). Mais, rien n'y fit, l'ouverture de la route du parfum était née et les conquêtes menées en Orient ne firent qu'accroître le goût et les pratiques du parfum à l'usage profane.
C'est la chute du monde romain qui va entrainer un déclin de l'utilisation des parfums en Europe alors qu'elle se poursuivra en Orient (creusé des plantes aromatiques et épices les plus prisés). L'Occident vivra alors au coeur des mauvaises odeurs!
Il faudra attendre les 11ème et 13ème siècle avec les croisades pour voir renaître l'art du Parfum en Europe. En effet, les chevaliers ramenèrent alors ambre, musc et eau de rose...qui sont redécouverts.
A cause de l'épidémie de peste noire du 14ème siècle, on verra se développer une peur de l'eau . On ne se lave plus, la puanteur règne et les pratiques d'hygiène se centrent sur
le parfum aux vertus purifiantes. Ainsi, avec un paroxysme au 17ème siècle (irrespirable!), les parfums solides et les eaux parfumées alcoolisées connurent alors un grand succès.
le parfum donne alors l'illusion d'une véritable hygiène, mais reste un luxe non accessible à tous.
Au 18ème siècle, la mode va préférer des odeurs plus légères aux accents floraux au détriment des parfums jusqu'alors lourds et capiteux destinés à masquer les mauvaises odeurs environnantes. C'est la naissance et le succès de l'eau de Cologne. On va peu à peu réintroduire l'eau dans la toilette, mais malgré tout, les français restent sales. Les parfums sont utilisés à 2 fins distinctes : la pharmacie dans un souci de désinfection, et la parfumerie mettant en avant des senteurs naturelles et fraiches opposant ainsi la bourgeoisie qui utilise ces nouvelles fragrances et l'aristocratie toujours attachée aux parfums lourds et musqués.
C'est au 19ème siècle que Napoléon sépare officiellement les pharmacies des parfumeurs. Ainsi privé de son argument médical, les parfumeurs vont mettre en avant les parfums comme outil d'élégance, de beauté...ce qui va entrainer une distinction sociale par l'odeur. de même, le développement de la chimie va entrainer l'émergence de l'industrie cosmétique, qui elle-même va créer un marketing vantant les secrets de beauté et de jeunesse des nouvelles formules cosmétiques élaborées à base de molécules de synthèse.
De nos jours, le végétal est de moins en moins présent dans nos parfums. L'introduction de la chimie au coeur de la parfumerie va permettre de considérablement enrichir la palette de création, d'avoir à disposition une matière première stable, en grande quantité, toute l'année, ce qui va permettre de réduire les coûts et donc de la rendre accessible au plus grand nombre. Dès lors
le parfum est partout : dans l'espace privé (corps, linge, maison,voiture...), public(magasins, parkings...), au travail(pour augmenter la productivité des ouvriers).
Le succès commercial d'un parfum va dépendre :
- de son nom (objet d'études de marché) qui peut faire référence au sacré (dont le but est de transformer la femme en déesse), à l'exceptionnel ou à un univers poétique ;
- de sa capacité à renouveler sa modernité en actualisant son image ;
- la forme du flacon qui doit nourrir l'imaginaire et être précieux comme son contenu.
Le livre évoque beaucoup plus de choses encore tout aussi passionnantes abordées sous des aspects assez inédits. Bonne lecture!