Pour l'athée moderne, l'autonomie du monde est un fait sinon un dogme, car sa propre liberté, rarement contestée en fait, est logiquement injustifiable s'il n'existe que du déterminisme matérialiste. Mais, dans ce cas, le sentiment de l'injustice par rapport à la cruauté de l'univers est non seulement injustifiable - s'il n'y a pas de droit, de quel droit se plaindre ? - mais inexplicable. Pourquoi le monde m'a-t-il secrété pour souffrir et mourir ? Et comment pourrais-je y déceler un scandale si rien n'a d'intention ni de sens, et que je sois moi-même une partie de cet univers qui se fabrique pour se faire souffrir en vain ?
On peut penser avec le savant et philosophe prussien Emmanuel Kant (1724-1804) que le décalage, sinon la contradiction, entre l'indifférence amorale de l'univers et la révolte morale de la conscience humaine ne peut se comprendre que si la seconde indique un au-delà du monde.
Toute ma carrière à l'université, auprès de la plupart de mes collègues et de mes étudiants, j'ai vécu dans cette atmosphère de condescendance vis-à-vis de mes croyances. Le 23 mars 2016, un Iranien a endommagé à coups de barre de fer le jaquemart, l'horloge à automates de la cathédrale Saint-Jean à Lyon (XIVe siècle) : "Trop magnifique, elle distrayait les croyants [musulmans] dans leur prière !" Quelques entrefilets dans les journaux locaux. Le type en garde à vue quelques jours, puis relâché. Pense-t-on que si un chrétien s'en était pris à quelque minaret ancien à Qom ou Téhéran, l'affaire n'eût pas fait le tour du monde, et que le coupable n'eût pas fini sans main ou sans tête ?