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On peut toujours compter sur Joyce Carol Oates pour troubler son lecteur et l'entraîner dans des contrées mystérieuses et inconnues. Et "La légende de Bloodsmoor" ne fait pas exception à la règle.

On peut aussi toujours compter sur Joyce Carol Oates pour faire naître la malaise et pour créer une ambiance à nulle autre pareille. Et "La légende de Bloodsmoor" ne fait pas exception à la règle.

Un peu à l'image du démarrage de cet avis, l'écriture de Joyce Carol Oates - que j'affectionne tout particulièrement - peut se faire un peu répétitive, d'autant qu'elle use volontiers comme ici d'une narration déstructurée sur le plan temporel, ce qui donne un beau puzzle d'art à 2000 pièces. Ca tombe bien, ce sont mes préférés.

M. et Mme Zinn ont cinq filles, dont l'une est adoptée. Ils ne sont pas dans un bateau mais dans un château en Pennsylvanie. Courant sur vingt ans, pendant la seconde moitié du XIXème siècle, la chronique bourgeoise de leur foyer va occuper les quelques 700 pages de ce roman à tendance fantastique qui explorera notamment avec talent le domaine du spiritisme, un sujet qui personnellement me met mal à l'aise et me fait courir des frissons le long de la colonne vertébrale.

Tel un hommage affiché au légendaire "Tour d'écrou" de Henry James, l'autrice brode une saga dramatique avec un sens de la description esthétique parfaitement maîtrisé - j'y vois un réel hommage cette fois à la plume d'Edith Wharton, cette autre très grande femme de lettres américaine.

Difficile de parler de ce roman, il est complexe, riche, dense et ses personnages sont multiples. A commencer par les cinq soeurs, toutes très différentes de tempérament et d'aspirations. Comme elle en a l'habitude, Joyce Carol Oates utilise ses protagonistes pour dévoiler, explorer et tenter d'expliquer les moeurs américaines. "La légende de Bloodsmoor" est un remarquable exercice stylistique dans la veine gothique dont les éléments fantastiques constituent seulement la partie émergée de l'iceberg.

Une chose est sûre, je peux compter sur Joyce Carol Oates pour m'étonner et me fasciner encore et toujours.


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Quand j'ai commencé à lire La légende de Bloodsmoor, ce bouquin me paraissait davantage une chronique familiale du siècle dernier. Enfin, je veux dire l'autre siècle dernier, le 19e. Et, effectivement, on y rencontre un clan tissé serré et, très rapidement, on suit dans leurs aventures cinq soeurs, les filles de l'inventeur Zinn et de Prudence Kiddemaster, elle-même fille d'un riche et important magistrat. Toutefois, leurs mésaventures les fait glisser dans la légende. Dès les premières pages, un mystérieux narrateur (ou une narratrice) évoque le terrible drame qui se produira sous peu, y allant de remarques sages mais qui ne semblent pas tout à fait désintéressées. Dans tous les cas, la cadette Deirdre, adoptée, se fait enlever. Un pareil enlèvement n'aurait peut-être pas soulevé autant d'attention s'il avait concernée une vilaine fille mais, surtout, s'il n'avait été exécuté de manière si originale : le rapt s'est fait dans en mongolfière ! Et à l'intérieur du domaine familial de Bloodsmoor, rien de moins. Ce roman n'est pas un des plus connus de Joyce Carol Oates mais il a sa place parmi ses grandes fresques.

L'arrivée de ce ballon hors-la-loi (j'aime beaucoup l'expression !) sème l'émoi mais, pendant toute ma lecture, un doute persistait. Un tel procédé me semblait si farfelu et la description de l'événement ne fut racontée que par les autres soeurs, seules témoins du drame. Et si elles ne disaient pas tout ? Deirdre n'était que leur soeur adoptive… Et pourquoi la version des faits diffère-t-elle d'une soeur à l'autre ? Mais bon, après un pareil choc, il est normal que le cerveau joue des tours. Toutefois, si l'événement n'était que le fruit de leur imagination…

Dans tous les cas, la vie continue. On retrouve bien la trace d'une certaine Deirdre des Ombres, une sorte de diseuse de bonne aventure qui donne des spectacles en Nouvelle-Angleterre. Il y a un certain air de ressemblance mais elle semble trop âgée… Vraiment ? Pendant ce temps, les préparatifs du mariage de l'aînée, Constance Philippa sont précipités mais le mal est fait. le tragique accident aura des répercussions sur les autres soeurs. D'ailleurs, sitôt mariée, l'aînée disparaît. Pareillement pour la deuxième, Malvinia, qui tombe sous le charme d'un acteur et le suit dans ses tournées à travers les États-Unis. Éventuellement, Octavia et même Samantha suivront leur destinée loin de Bloodsmoor et de leurs parents. Et cela, jusqu'à une finale qui les réunira toutes et qui n'est pas exempte de rebondissements que, même moi, je n'ai pas anticicipés.

Les péripéties des soeurs à travers les États-Unis deviennent une excuse pour faire découvrir ce nouveau pays. En effet, au-delà de l'intrigue, il y a toute l'atmosphère d'une époque révolue. Celle d'une Amérique qui vient de terminer de panser ses plaies, celles de la Guerre de Sécession. À moment de l'histoire, elle entre dans une période de reconstruction, de prospérité, d'industrialisation et de progrès de toutes sortes. Les métiers et occupations de chacun des personnages (inventeur, magistrat, membre de l'élite bourgeoise, acteur, etc.) permettent d'en connaître différents pans. Bref, c'est un voyage dans le temps que nous propose l'auteure.

Une légende comme celle des filles Zinn ne saurait être sans quelques autres personnages de soutien qui, parfois, volent la vedette. Par exemple, Edwina Kiddemaster, grante-tante et vieille fille, gardienne des traditions, de la morale et de l'étiquette. Elle a d'ailleurs commis plusieurs ouvrages comme son Guide de conduite pour les jeunes chrétiens. Délicieux ! S'ajoutent la famille élargie, le notaire, le fiancé, les amies, etc. Cette galerie me faisait un peu penser aux personnages que l'on retoruve chez Charles Dickens. En quelques mots, par la manière dont ils sont présentés, un trait physique, une expression, on les cerne et les visualise rapidement.

Ainsi, La légende de Bloodsmoor peut compter sur une intrigue originale et des personnages passionnés et passionannts. Mais ce n'est pas tout. Il y a également le style de Joyce Carol Oates. Il n'y a qu'elle pour concocter un rapt en ballon et trouver cela horrible et gracieux à la fois. Ce sont ses mots, ou plutôt ceux d'Octavia alors qu'elle relate l'événement. Donc, on ne tombe pas dans les drames historiques à l'eau de rose où une femme éplorée attend le secours de son sauveur. C'est un roman résolument moderne avec des personnages féminins forts mais qui ne sont pas exempts de défauts. J'aime bien penser que Oates s'amuse de ses personnages, à leurs dépens, incluant ceux qu'elle préfère – surtout ceux qu'elle préfère ! Chacune des cinq protagonistes vit des aventures effroyables mais incroyables également. Des drames et des moments comiques, voire grotesques.

En terminant, La légende de Bloodsmoor est un bouquin un peu volumineux et, à suivre autant d'héroïnes vivre autant de péripéties… ouf ! Vers le milieu, je disais : «Je sais, je sais, elle aussi s'en ira et connaîtra des hauts et des bas…» Heureusement, le ton léger et le sens de l'humour particulier de Oates aident à passer au travers.
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La Légende de Bloodsmoor, comme le titre et la photo de couverture peuvent le laisser présager, est une saga familiale inscrite dans les Etats-Unis du 19ième siècle, aristocrate et puritains, tels que l'on ne les voit pas si souvent, habitués qu'on est à la Conquête de l'Ouest, l'immigration et une certaine sauvagerie.
Quatre filles toutes différentes les unes des autres grandissent dans cette vaste famille, au regard de tout le comté. le père est inventeur, la grand-tante acariâtre.

Avec ces quatre filles, dont l'une se fait subitement enlever par une montgolfière et ne reviendra plus, on est transportés dans tout le pays et tous les milieux, rencontrant occasionnellement des célébrités de cette époque. C'est une vraie fresque historique qui nous entraîne également dans les obligations faites aux jeunes filles, le comportement qu'elles se doivent d'avoir, l'éducation, la tenue vestimentaire et en ça, on retrouve le côté féministe de l'auteur (moi j'entends ce mot de manière positive, hein?) dont les héroïnes refusent cette aliénation.
Comme toujours, les romans de Joyce Carol Oates ont cette part de mystère lugubre qu'elle n'hésite pas à pousser à ses confins, mais également une tension dans le récit qui incite toujours à tourner et tourner les pages. c'est un roman dense, long par certains moments, mais prenant et intéressant.
Il a un très léger côté "les Quatre Filles du Docteur March" pour adultes, aussi pour cette couverture de quatre filles posant sur la photo - d'ailleurs très ressemblantes avec la description qui est faite des filles dans le livre -, mon édition des Quatre Filles du Docteur March à moi avait aussi les quatre filles dessinées, dans cette même pose, sur la couverture.

Bef, pas le plus connu de JCO mais à lire aussi.
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J'avais lu Bellefleur avant, et m'étais laissée emporter , comme d'habitude par JCO.. que je lis régulièrement, mais à petites doses, elle écrit vraiment beaucoup!
Là, quel talent! Et quelle documentation, aussi, dans les thèmes historiques abordés, théâtre, engouement pour le spiritisme , multiples inventions dont celle de la chaise électrique . le titre français est particulièrement bien choisi, car ce n'est pas l'histoire de la famille Zinn qui nous est racontée. Mais bel et bien sa légende, la narratrice, apôtre de la bien pensance, a bien sûr ses personnages préférés, et ne raconte que ce qu'elle veut bien raconter! Et c'est là que se manifeste l'humour ravageur de JCO qui a du bien s'amuser dans son pastiche et ce roman à plusieurs niveaux .
Car enfin, et même si cette narratrice essaie de nous noyer sous les détails comme pour nous faire oublier la dure réalité, qu'advient-il de ces soeurs, ça vaut quand même le résumé, je tente le spoiler..enfin, j'ai tenté mais pas encore compris, désolée...

L'aînée, Constance Philippa, s'enfuit le jour même de son mariage, et reviendra à la réunion finale de lecture du testament de la sainte tante( on pourrait en reparler, de celle-là, cette sainte nitouche qui s'avale des flacons de laudanum pour garder le moral!)- en travesti.
La deuxième, Malvinia, se sauve aussi , rencontre un Mark Twain légèrement sur le retour , et devient actrice, connue d'abord, puis beaucoup moins; En tout cas, complètement allumée, et sa haine des hommes donne une scène d'anthologie où le pauvre Twain manque de perdre son " appareil de reproduction" scène que la narratrice a bien du mal à raconter tant elle se proclame ignorante des termes à employer!
La petite dernière, Samantha, semble la plus saine d'esprit, elle se tire aussi, bien sûr, mais pour vivre le parfait amour avec un employé de son père. Shocking!!
Quant à Octavia, j'avoue que les chapitres la concernant sont mes préférés. Les descriptions des pratiques sexuelles sadiques que lui fait subir son mari sans que jamais elle ne moufte, et comment elle finit par l'étrangler bien involontairement sont d'une férocité fort réjouissante. Même la mort de son fils, petit caractériel sadique comme son père, ne manque pas d'humour..
Et enfin, Deidre, la brebis galeuse, l'adoptée , devenue médium sous l'influence de la célèbre Mme Blavatsky , quel retournement de situation...
Et j'en oublie, bien sûr, les parents sont loin d'être tristes!

Oui, quel talent d'écriture! Avec, pour moi, dans ce roman, les défauts de ce talent, on n'en sort plus!! Chaque petit détail en amène un autre, chaque histoire une autre, et on sent que si JCO pouvait encore détailler encore un peu plus chaque personnage, elle y prendrait le plus grand plaisir. Il y a vraiment beaucoup ( trop?) de notes...
Cela n'empêche pas évidemment le plaisir, renouvelé pour l'instant à chaque fois pour moi , pris à la lire

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Une lecture absolument formidable ! Je connaissais le nom de Joyce Carol Oates depuis des années, je connaissais son côté prolifique, l'épaisseur de plusieurs de ses productions, mais du coup, je n'avais pas encore osé en ouvrir un jusqu'à "La légende de Bloodsmoor".
En entrant dans le livre, je suis un peu agacée par l'usage répété de l'italique pour certains mots, mais je comprends que cela reflète le ton de la narratrice (très bien-pensante, on l'imagine même facilement prononcer ces mots d'un accent emprunté et même se cacher les yeux d'un geste dramatique à certaines occasions !).
Puis se dévoile la saga des filles Zinn dont le destin sera atypique pour l'époque - sauf pour Octavia. Je ne dirais rien de plus pour ne pas gâcher l'histoire. Une grande et belle étude de moeurs sur le XIXe siècle américain, savoureuse, qu'on devine très bien documentée, sur le ton du pastiche, avec beaucoup d'humour. Je ne me suis jamais autant amusée en lisant la description de la mort d'un personnage, aux pratiques nocturnes très différentes de ce qu'il prêche dans la journée ! Ce qui n'empêche pas la narratrice de le trouver très digne et très religieux.
Cette lecture m'a enthousiasmée ! Et quand j'ai vu passer sous mon nez ce matin le dernier opus de Oates ("Folles nuits"), j'ai sauté dessus et je ne le lâche plus en attendant avec impatience l'heure de prendre le train et de plonger dedans.
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La légende de Bloodsmoor est le second volume de la trilogie gothique de Joyce Carol Oates, après Bellefleur.

USA, fin 19eme. La famille Zinn, famille d'aristocrates sur le déclin, cherche à marier ses 5 filles. Qui ne l'entendent pas forcément de cette oreille…
D'autant que quand Deirdre, la 5ème, se fait enlever en ballon par un inconnu au nez et à la barbe de tout le monde, c'est le début de la fin pour la famille…

Une plongée dans une Amérique aristocratique sur le déclin. Des moeurs dépassées, une société qui vit dans un mirage, avec ses rentes, ses habitudes… et Dieu. Il est partout. Mais vraiment partout.
Et une Amérique post guerre de Sécession qui voit venir le XXème siècle avec crainte et incertitudes.

Cette chronique familiale est rapportée par une vieille fille puritaine qui commente la déchéance de chacun des membres de la famille. C'est parfois drôle, et le stratagème « véritables chroniques mais en fait pas du tout » marche bien. D'autant que cette narratrice reste un mystère… qui est-elle ? Elle apporte un dynamisme certain au récit, qui, disons-le, ne raconte rien (si on résume, en deux pages c'est fini). Il ne se passe pas grand chose, malgré tout la narratrice fait une histoire de chaque anecdote. Elle en profite pour tout mélanger, faire des focus, des flash-back, des prolepses tuant au passage le suspense, commente ses personnages, manque de s'évanouir tant c'est affreux Mon Dieu... un vrai cinéma !

Bref, une narration et un écriture splendides, accompagnant la chute de cette famille. 600 pages de discours narrativisé, très peu de dialogues et inclus dans la narration : c'est grandiose, une vraie fresque, mais très dense et pas facile à lire. J'ai bien mis 15 jours pour avaler cette briquette.


Enfin, on retrouve évidemment dans ce second tome des thématiques gothiques (ambiance, sentiments exacerbés et autres motifs typiques du genre), avec un entre-deux réel-surnaturel : le monde des esprits s'intègre dans ce récit, contre toute attente. On plonge dans un étrange-merveilleux particulier, sans que jamais on ne sache quoi penser. C'est réussi.


J'ai préféré Bellefleur, pour son côté fantastique et la plongée dans la folie des personnages, mais ce 2nd volume renforce l'idée que cette trilogie est un monstre à trois têtes époustouflant.
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/j..
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Etoiles Notabénistes : ******

A Bloodsmoor Romance
Traduction : Anne Rabinovitch

ISBN : 9782253163015

Deuxième volet de la trilogie qu'elle rêvait de consacrer au "roman gothique", Joyce Carol Oates resserre un peu ici la trame de l'intrigue, qui pouvait passer un tantinet relâchée à certains lecteurs ne connaissant ni son univers, ni sa façon d'écrire et tombés dans "Bellefleur" comme la petite Alice dans le terrier du Lapin Blanc . Mais le thème principal n'en demeure pas moins, ici aussi, la "fin" d'une famille (précisons toutefois que le final de "Bloodsmoor" n'a rien de la mini-apocalypse enregistrée dans "Bellefleur") et que, si le roman s'arrête, c'est que parce que sa chroniqueuse avait tout simplement décidé de le faire cesser au 31 décembre 1899, date d'ailleurs de la mort du fondateur de ladite famille, John Quincy Zinn.

Resserrement aussi autour des personnages principaux, ici les quatre soeurs issues de l'union de John Quincy avec la fille et héritière unique du Juge Godfrey Kiddemaster, qui fut un temps Gouverneur de la Cour Suprême de l'Etat, à savoir, dans l'ordre de leur naissance : Constance Philippa, la taille fine mais les épaules trop larges pour une femme, toujours mal à l'aise dans son corps et dans tous ces falbalas (parmi lesquels l'horrible crinoline) que nécessitait la mode de l'époque ; Octavia, la plus douce, la meilleure peut-être des filles, plutôt dodue mais jolie et, sans tomber dans un bigoterie épiscopalienne déplacée, toujours soucieuse de ses responsabilités de chrétienne ; la splendide et malicieuse Malvinia, la plus belle de toutes, sans aucun doute, mais aussi la plus passionnée qui, née au XIXème siècle, est déjà une créature du XXème siècle même si, à la fin du roman, elle finit par rentrer dans le rang ; et enfin Samantha, aussi intellectuelle et douée pour les mathématiques et la physique que son père, ce génial inventeur dont de grands noms, tel Edison, viennent (trop) souvent solliciter l'avis, la seule à être dotée d'une crinière rousse que tout le monde estime un peu voyante dans l'enfance mais qui, Samantha ayant grandi, contribue à faire d'elle, avec ses yeux verts et son minois pointu sans oublier sa peau laiteuse, l'une des plus jolies du quatuor.

Pour des raisons qui s'éclairciront plus tard, Mr. et Mrs Zinn ont adopté une jeune orpheline, la petite Deirdre Bonner, fille d'un employé du juge Kiddemaster, que la fièvre typhoïde a rendue, à onze ans environ, orpheline de père comme de mère. Chose curieuse, et qui entraînera au début le lecteur sur une fausse piste, Deirdre ressemble beaucoup à Malvinia. Mais il est clair que les soeurs Zinn, en dépit de tous leurs efforts, ne parviendront jamais à intégrer ce petit phénomène de timidité (qu'elles prennent pour de la froideur) et qui restera pour eux trop étrange pour faire partie des leurs.

Une par une, les soeurs Zinn quitteront le foyer paternel. Trois de façon discutable : Deirdre on ne sait trop comment (je laisse au lecteur le soin de décider ce que représente ce mystérieux ballon de soie noire venue l'enlever contre son gré ) pour devenir la célèbre medium "Deirdre des Ombres" ; Malvinia en s'enfuyant avec un acteur de théâtre célèbre, de passage dans la région, et qui deviendra à son tour une comédienne très applaudie sous le pseudonyme de "Malvinia Morloch" ; et Samantha, bien plus tard, en faisant de même avec Nahum, le timide assistant de son père. Octavia sera la seule, semble-t-il, à se faire une vie relativement "normale" - là aussi, au lecteur d'en juger et je lui promets d'étonnantes découvertes, notamment en ce qui concerne les habitudes sexuelles de son très rigoriste époux - en épousant un veuf calviniste, Lucius Rumford, dont elle aura trois enfants (deux qui périront dans des circonstances sur lesquelles je vous laisse vous faire, une fois de plus, votre avis personnel ) et le petit dernier, Lucius Quincy, qui survivra en délaissant peu à peu son premier prénom pour ne conserver que "Quincy" (courez savoir pourquoi : vous ne le regretterez pas. ) Quant à Constance Philippa, son cas est si particulier, si délicat à traiter que j'abandonne à l'auteur le soin de vous en entretenir en vous indiquant au passage un usage assez inattendu des mannequins de couturière que chaque maison aisée possédait à cette époque, faits sur mesure pour chaque fille à marier et pour la maîtresse des lieux .

Si la folie débridée, somptueuse du magnifique "Bellefleur" paraît ici un peu plus retenue, si la splendeur et la mégalomanie des Kiddemaster n'ont pas sa flamboyance, jusqu'ici sans égale dans l'oeuvre de leur auteur, il n'en reste pas moins que "La Légende de Bloodsmoor" tient dignement sa place à ses côtés, tant ce roman est parcouru, hanté, visité par un cortège d'esprits (ceux qui "protègent" ou "torturent" la pauvre Deirdre). Toujours malicieuse mais aussi soucieuse d'étayer ses chroniques, Oates y fait même intervenir en silhouettes des spiritualistes très connus de cette fin de siècle (le medium Daniel Dunglas Home ou encore Conan Doyle, le si pragmatique créateur de Sherlock Holmes) et, toute en chairs dodues et en bijoux clinquants, et même en esprit, l'irremplaçable Mme Blavatsky, créatrice de la secte des Théosophes, dont Deirdre se sépare tranquillement lorsqu'elle sent venu pour elle le jour de voler de ses propres ailes.

L'Esprit et sa puissance, deux thèmes qui ont toujours intrigué Oates et qu'elle traite ici sur un mode moins déjanté mais aussi, trouveront certains, moins royal que dans "Bellefleur" : la chute finale par contre est aussi surprenante, selon moi, que celle de "Bellefleur", et révèle une finesse qui démontre ce qu'est possible de produire l'esprit humain puisqu'il semble vraisemblable que John Quincy Zinn (parfois surnommé, sur la fin de sa vie, "J. Q. Z.", et, si vous prononcez à l'américaine, cela vous arrachera un sourire, du moins je l'espère) ait établi une théorie qui, au XXème siècle, deviendra extrêmement célèbre, pour le meilleur comme pour le pire.

Le Mal, le Bien, tous deux se mêlent à nouveau dans ce roman : ont-ils jamais cessé de le faire d'ailleurs ? Leur est-ce d'ailleurs possible ? L'un engendre l'autre et vice versa. Et c'est i-né-vi-ta-ble.

Tout cela, qui éclatait comme un fabuleux feu d'artifice dans l'incomparable "Bellefleur", ne retrouvera pas, en tous cas à mon humble avis, toute sa puissance dans "Wintherturn" qui, en bonne logique, est pourtant le dernier volet de la série. Par contre, "Maudits", que nous avons déjà chroniqué, parvient à restituer les fastes oniriques, faunesques, glauques, fantastiques autant que réalistes, imprévus autant que visibles comme un bouton d'acné sur le visage, ainsi que les incessantes préoccupations d'Oates : qui sommes-nous ? Et ne sommes-nous que cela ? Et le Temps ? Qu'est-il ? Pourquoi use-t-il la bonne volonté de certains alors qu'il renforce celle des autres ? Est-il un ou plusieurs ? Et, dans cette hypothèse, ces temps sont-ils parallèles ou-et perpendiculaires ? Et où se situe l'être vivant dans tout cela ? Et son esprit ou son âme - comme il vous plaira de l'appeler ?

Pour cela, je tiens personnellement "Maudits" comme appartenant à la trilogie gothique originelle, ce qui transforme celle-ci en une tétralogie qui débute et s'achève sur deux chefs-d'oeuvre somptueux et quasi-impériaux. Ne boudez donc pas votre plaisir. ;o)
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Dans ce roman gothique moderne, on assiste à la chute d'une famille prestigieuse et richissime, mais surtout à la déconstruction de l'idéologie puritaine catholique et bourgeoise des États-Unis du 19e siècle! Les soeurs Zinn, cinq jeunes filles pourtant bien éduquées, s'écartent de la voie qui avait été tracée pour elles – soit un mariage arrangé avec un vieil aristocrate fortuné – pour vivre à leur manière, à la plus grande indignation générale!

Au cours de leurs "scandaleuses" mésaventures, les soeurs rencontrent des personnages connus, comme Madame Blavatsky ou Mark Twain. Des mystères inquiétants et des secrets de famille agrémentent le récit fragmenté de leur "déchéance". Pour finir, la narration à la fois très ampoulée et débordant d'une ironie hilarante donne un ton parfait à cette saga familiale grinçante et très divertissante!
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Deuxième volet de la "trilogie gothique" de Joyce Carol Oates, après Bellefleur, péniblement lu l'été dernier.

Il s'agit d'une trilogie en ce sens que les oeuvres ont indéniablement quelques points communs, elles sont situées historiquement à peu près au même moment (la fin du XIXème siècle, même si Bellefleur s'étalait sur un temps bien plus long, remontant plusieurs générations en arrière), et surtout partagent quelques éléments communs : de larges familles dont les membres appartiennent à ce que l'Amérique a de plus proche d'une aristocratie : des WASP, riches industriels, de la côte est; de grandes demeures (manoirs, châteaux), et une intrusion du surnaturel, de l'inexplicable.



Mais si j'ai peiné sur Bellefleur, j'ai en revanche lu rapidement et avec plaisir La Légende de Bloodsmoor . Peut-être parce que j'ai désormais accepté le "pacte", et que je sais que j'y trouverai quelque chose de très différents de ce que j'ai adoré chez Oates dans Petite soeur, mon amour ou Blonde, par exemple; mais aussi parce que la narration de ce deuxième volume m'a semblé beaucoup plus fluide, beaucoup plus élégante, assez proche sur certains points de la narration de Nous étions les Mulvaney, qui m'avait ébouriffée. En effet, comme dans les Mulvaney, le "germe" de toute l'histoire qui va suivre est contenu dans un seul élément, "tragique" et imprévisible. Cet élément, ici, l'enlèvement de la jeune Deirdre Zinn par une montgolfière noire, nous est annoncé dès les toutes premières pages, mais sa description, et sa "genèse" sont l'objet de toute la première partie, soit une bonne centaine de pages.

Mais ce qui fait tout le "sel" de cette narration, c'est la présence d'une narratrice, narratrice anonyme, omnisciente, mais dont le jugement moral sur tout ce qui se déroule sous ses yeux est tellement biaisé par ses préjugés qu'elle interprète les évènements qu'elle décrit à l'opposé de l'interprétation qu'en fait un lecteur du XXIème siècle.



Cette narratrice va, par exemple, trouver absolument normal que, "par soucis de chasteté", un mari demande à sa jeune épouse de porter son corset, ses jupons, sa chemise, et un capuchon opaque sur la tête, chaque soir, au moment où il vient dans le lit conjugal. Là où elle décrit une scène de perversion sexuelle, et là où nous la lisons comme telle, son jugement est si voilé qu'elle conclut, au contraire, en louant la chasteté de ces deux époux chrétiens...

Cette narratrice qui incarne le puritanisme extrême des américains (dans ce milieu et à cette époque, cela va sans dire), est une figure essentielle du roman. C'est elle qui nous amène à comprendre à quel point ces préjugés, cette morale protestante, cette pudibonderie pèse lourdement sur les cinq jeunes filles de la famille Zin, et nous comprenons mieux leurs choix à la lumière de ce joug qu'elles ne peuvent endurer.



Concernant l'intrigue du roman, je préfère ne pas la résumer, c'est un dessin du destin de chaque fille Zin, toute ayant bien sûr une histoire extraordinaire, le plus souvent en parfait désaccord avec la pesante morale de l'époque... C'est assez jubilatoire à lire, on finit par se prendre d'affection pour les héroïnes, notre affection étant bien sûr proportionnelle à la désapprobation de la narratrice pour le comportement de ces femmes qui choisissent, l'une après l'autre, de s'extraire du destin tout tracé qui est celui des jeunes filles de la bonne société : accepter un mariage qui arrangent leur famille, et se soumettre ensuite à l'entière autorité de leur époux.

J'ai une dernière observation, qui concerne la traduction du titre : le titre original est A Bloodsmoor romance, qui me semble bien plus proche de l'atmosphère créée par l'auteur dans ce roman, que La légende de Bloodsmoor.

La "romance", mot qui existe aussi en français, n'est pas une "légende"; il s'agit plutôt d'une fiction populaire et sentimentale, ce qui convient parfaitement à l'histoire racontée. le destin de la famille Zin n'a rien de légendaire, en revanche !

... et le "a" en anglais, ne devrait pas être traduit par "la". "a", c'est "une", une parmi les autres.

Enfin, "Bloodsmoor", région imaginaire inventée par Oates, est assez intéressante aussi : "blood", tout le monde le sait, c'est le sang. Et le "moor", c'est la lande, comme le Dartmoor, parc régional naturel du sud de l'Angleterre, avec ses paysages désolés, sans arbres, juste constitués de rochers affleurant, d'herbes rases et de quelques buissons épineux...

"Une Romance du Bloodsmoor" aurait été à mon avis plus proche du titre original, et il est presque dommage que la tradition littéraire ne permette pas la traduction des noms propres, car "Une Romance de la Lande Sanglante", ça, c'est du titre gothique !!
Lien : http://exigeante.canalblog.c..
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Troisième texte des romans gothiques de JC Oates et encore une fois j'ai été embarquée dans une sacrée histoire.
La ou les légendes de Bloodsmoor : nous sommes en 1789 et JC Oates va, à travers la voix dune étrange narratrice de nous narrer la vie de cinq soeurs.
Les filles de Mr Zinn, inventeur de son état mais aussi époux de Prudence Kiddemaster, fille d'un riche et important magistrat de Bloodsmoor.
JC Oates va nous parler de l'Amérique à la veille du 20e siècle, le livre se termine en décembre 1899.
Cette société américaine qui panse ses plaies de la Guerre de Sécession et tente de rentrer dans la modernité, grâce à des changements sociétaux (place des femmes dans la famille et dans la société), technologiques (le père est inventeur et peut créer une chaise et une brosse à dents électrique...).
Le portrait des cinq soeurs est l'occasion de faire le portrait très différents de femmes.
La cadette, Deirdre, dernière fille de la famille mais une enfant qui vient d'être adopté et qui va disparaître mystérieusement à bord d'un dirigeable en soie noire. Est elle cette célèbre Deirdre des Ombres, célèbre et efficace médium. L'occasion de faire une description de ce milieu spiritualiste de cette époque.
Constance Philippa, l'aînée qui va elle aussi disparaître le jour de ces noces et qui réapparaîtra très transformée.
Malvinia qui va s'enfuir avec un acteur célébre et deviendrait une actrice de music hall et du théâtre. Mais a t elle assez de talent pour faire une réelle carrière ?
Octavia, devenue une paisible femme au foyer dans un château et une mère avec un petit monstre de fils et un mari aux moeurs sexuelles étranges.
Samantha, la plus jeune qui rêve de devenir inventeur comme son père.
Et il y a aussi une foison de personnages secondaires, qui jalonnent ce roman intense : une grande tante, à mystères et qui réunira toute la famille pour l'ouverture de son étrange testament, qui dévoilera la ou les légendes de la famille, un grand père qi rêve d'être toujours le patriarche de la famille, Pip, un chimpanzé qui scrute tout ce petit monde, Mr Zinn, inventeur et souvent dans les étoiles face à ces femmes...
"Les quatre filles du docteur March" à la sauce Oates, avec beaucoup de mystères, une nature inquiétante, des descriptions parfaites de lieux (château, campagne, atelier, scènes de spiritualisme..) des personnages historiques connus qui rencontrent des membres de la famille (Mme Blavatsky, Mark Twain).
C'est aussi surtout le portrait de femmes dans une Amérique qui change et va passer un siècle, avec toutes les évolutions et bouleversements que cela induit.

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Blonde

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