Pauvre d'amis puissants, riche d'ennemis invincibles, Madame Anselme ne connaissait pas les notables de la ville. Cyprien ne s'était pas assis avec eux sur les bancs de l'école. Elle, elle n'avait pas fréquenté leurs femmes, n'avait pas participé à leurs tombolas de bienfaisance, n'était pas invitée à leurs garden-parties. D'instinct, elle savait que, devant un adversaire intraitable, la seule bonne stratégie est le repli sur soi. pourtant, dans ce coin de terre, l'honneur bafoué, la virginité volée, l'insulte pointant le clitoris d'une mère, le coup de langue, sont vengés par la machette ou le poison. madame Anselme aurait pu recourir à ces armes ou, plus simplement, aurait pu se mettre au service d'un personnage haut placé qui, lui, commanderait à ses sbires de la venger. Mais, Madame Anselme, en femme de grande dignité, sait que les mots créent des faits, alors elle cultive la métaphore, voie détournée pour traduire le sens profond de la vie. Dans ce coin de terre, la parole est parabolique, elle s'apparente au délire, obéit à une logique qui lui est propre. Par le biais de la parole, on finit par établir un compromis avec la réalité. La possibilité de reculer les frontières de la souffrance est infinie. C'est tout cela qui explique que Madame Anselme prit cette saison de déboires avec sagesse. Elle savait que les jours passent, viennent d'autres jours.
Il revenait au bercail transformé, mûri, enrichi par l'expérience d'un voyage, le long d'une grande route semée d'années perdues, de saisons oubliées, de rencontres sans lendemain. Il revenait et tous ses souvenirs remontaient à la surface, recouvrant les vacarmes du présent. ce retour ne s'est pas effectué sans heurt. Mais une fois les obstacles franchis, effeuillée la fleur de lotus conseillère de l'oubli, écartés les sortilèges de Circé, il revenait à la rencontre de son passé, de sa jeunesse, bouquet éphémère, arraché au vent effeuilleur. La ville des cailles n'avait point changé, sa magie cependant l'avait quittée. aujourd"hui Denys était revenu. L'errant, le vagabond était de retour. Mais il était un étranger dans la demeure familiale. dès le lendemain de son arrivée, il commença à s'ennuyer dans ce lieu auquel depuis si longtemps, le long de la pierraille de l'errance, son coeur aspirait.
Les Grands Débats - L… comme Lecture : L'amour des lettres
Dimanche 23 septembre 2018 de 15h00 à 16h00
Dany Laferrière - Nathalie Crom
« La lecture est une félicité qui se mérite » disait le grand écrivain haïtien Emile Ollivier. Un grand lecteur, Dany Laferrière, partage ses grands moments de lecture et reviennent sur les auteurs qui lui ont procuré cette fameuse félicité. Les livres sont-ils un rempart contre la bêtise ? Un outil de liberté ?