C'est un livre qui se lit page par page (il y a un chapitre par page), en prenant la page que l'on veut, sans que cela donne la sensation de rompre l'unité de l'ensemble, sans doute parce que l'auteur a considéré que c'était le moyen le plus pertinent de lire aujourd'hui un livre lorsqu'on est tout le temps dérangé. Et c'est vrai que l'on peut lire ce livre bout par bout sans que l'on ait l'impression de perdre quoi que ce soit au passage, comme si chaque page (chaque petit chapitre), à l'instar d'une miniature de Vermeer, était un îlot en soi, un monde complet, suffisant à lui-même, sans que l'on ait rien à ajouter. La prose quasi-hypnotique de l'auteur (comme quelqu'un qui vous parlerait à voix basse de façon monocorde en vous regardant dans les yeux à la manière d'une confidence), lequel nous explique la manière dont il voit le réel, ajoute à cette sensation lénifiante de rester toujours dans la même matière tout en faisant varier à chaque page les effets. Curieusement, ce type d'écriture me fait penser à ces peintures aborigènes australiennes, dont on ne sait objectivement ce qu'elles représentent, mais dont on perçoit un sens que l'on ne peut toutefois entrevoir que par la seule intuition.
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Il n'y a aucune objectivité en ce monde : c'est par cela qu'il faut peut-être commencer. Il n'y a rien d'objectif -aucune valeur, aucun principe, aucune idée - parce que, en toutes choses, il n'y a que la réalité incontournable, inqualifiable de notre être.
Nous croyons que les choses sont objectives parce que nous oublions que c'est nous qui les voyons. Il n'y a donc rien d'objectif puisque les choses n'existent qu'en tant qu'il y a un être qui les voit et les considère. Et cet être c'est nous : c'est donc de nous qu'il faut partir pour essayer de comprendre quelque chose.
Comme nous considérons les choses comme objectives, nous les prenons au sérieux, ce qui précisément n'est pas sérieux, car en faisant semblant d'oublier que c'est nous qui voyons les choses, c'est nous en fin de compte que nous ne prenons pas au sérieux, comme si nous étions quelque chose de négligeable, alors que nous sommes un être à part entière, ce que nous devrions de prime abord considérer.
Certes, en tout ce que nous voyons, nous oublions que c'est nous qui regardons à l'instant même ces choses. Et comme nous sommes une multitude d'êtres sur terre, il y a donc autant de manières de voir le monde à notre façon, de sorte qu'il n'y a en toute rigueur aucune vue objective mais une multiplicité de points de vue.
Autrement dit, il n'y a aucune chose en soi que nous puissions voir mais une indéfinité de perspectives : nous croyons que nous sommes tous dans un monde unique et objectif alors que nous sommes chacun dans le monde éclairé par notre angle de vue.
Pourquoi proclamons-nous à tout va que nous croyons ou non en Dieu alors que nous ne savons même pas de qui nous parlons en la matière ? Pourquoi parler de Dieu comme si nous L'avions rencontré, alors que nous ne savons absolument rien à Son sujet ? Pourquoi parler d'une réalité que nous ne connaissons pas et que nous ne faisons qu'imaginer dans notre esprit? C'est une incongruité. C'est nous l'immensité. Si tout le monde bavarde sur cette question de Dieu, c'est pour contourner ce fait – à la fois simple et terrifiant - que nous ne se savons même pas au départ qui nous sommes : pour éluder l'énigme de notre propre identité. C'est nous le grand secret.
Le plus simple - le plus dur - est de comprendre que la réalité est ce que nous sommes en propre. Nous sommes tellement habitués à objectiver les choses, à les voir hors de nous que nous ne nous voyons pas : nous voyons tout sauf nous-mêmes. Nous voulons sans cesse nous rendre quelque part sans réaliser que nous y sommes. Nous voulons toujours agir alors qu'il ne s'agit que de rester là, de contempler la beauté de notre propre regard.
Ainsi donc, en prenant au sérieux nos affaires, nous prouvons que nous ne sommes pas sérieux dans le fond. Si nous l'étions vraiment, nous nous considérerions d'abord en propre : nous prendrions éminemment au sérieux ce que nous sommes, plutôt que d'accorder une importance exagérée à ce qui nous arrive, un crédit illimité à ce que nous sommes conduits à penser.
C'est du reste pour cela que l'être sérieux est souvent amené à sourire, à rire même, comme s'il prenait les choses à la légère, presque en dilettante, car il sait qu'il n'y a dans le fond de stable que l'être que nous sommes depuis toujours.