Je ne marche plus !

introduction
Dans quelques heures, j’aurai quitté le groupe La République en marche. Je ne poursuivrai pas cette aventure. J’ai fait partie de ces 308 députés devant qui ont ouvert en grand les portes de l’Assemblée nationale en juin 2017, j’ai partagé leur rêve de faire souffler un vent nouveau sur un monde politique en bout de course. Nous portions ensemble cette aspiration à transformer le pays, cette envie de bouleverser les pratiques et ce culot de plaquer nos vies professionnelles pour croire en ces possibles. Mais je ne marche plus !

Le compte à rebours est enclenché. Depuis trois mois, l’intention a grandi. Depuis quatre jours, ma décision est prise. Il fallait trouver le bon moment, ce sera aujourd’hui. À contretemps, diront certains, obsédés par les stratégies politiques. Je le fais au contraire par conviction, parce qu’il n’y a plus d’autres solutions. Il me faut trouver les mots justes, parce que je dois la vérité. De déceptions ressassées en brouillons de lettres de démission, mes explications se sont précisées. Et je suis prêt. Cet après-midi, je donnerai à l’un de mes assistants parlementaires, basé à Angers, le signal de faire partir le mail que j’adresse à mes collègues du groupe LREM. Après coup, mon collaborateur me confiera avoir tremblé comme une feuille, au moment d’appuyer sur la touche « Envoi ».

Je pars après avoir fait tout mon possible, depuis que j’ai rejoint l’aventure En Marche, dès janvier 2017, pour que nous réussissions ensemble à porter haut l’écologie. […] Il est impossible pour moi de ne pas mesurer l’écart qu’il nous reste à combler pour être à la hauteur des enjeux climatiques, écologiques et sociaux. Nous ne sommes malheureusement au bon rythme sur aucun des grands chantiers de la transition. C’est un échec collectif.

Voilà ce que je leur écris. Je ne « claque pas la porte », je ne pars pas « avec fracas ». Tout se passera correctement. Ma colère est froide et triste. Contre nous, contre moi qui n’ai pas réussi à convaincre, contre ceux qui ont cherché à ce que l’on échoue. Ce n’est pas une défection. Si je me rends, c’est uniquement à cette évidence. Ce combat de ma vie, l’écologie, le gouvernement ne le partage pas, ou en tout cas pas assez. Et l’entend si peu. Je prends acte d’un désaccord, d’un écart qui s’est irrémédiablement creusé. Certains trouveront sans doute qu’il est facile de quitter le navire. Non, ce n’est pas facile. Il m’a fallu du temps pour regarder la réalité en face. Et la réalité, c’est qu’au cours des dix-huit premiers mois de ce quinquennat trop peu de choses ont changé. Le rejet de solutions à portée de main, l’incapacité à placer l’écologie au cœur de notre matrice nouvelle, la tentation, toujours, de s’arrêter au milieu du gué. Pour l’écologie, je ne pouvais pas continuer. D’autres encore me soupçonneront de viser une autre aventure sous une autre étiquette. C’est faux. Mon choix n’est guidé par aucun calcul, je n’ai en tête aucun ailleurs.

Quelques heures avant de rendre publique ma décision de quitter le groupe LREM, j’adresse un long message à Emmanuel Macron. Depuis que j’ai été élu député de la 1re circonscription du Maine-et-Loire, nous avons entretenu cet échange par SMS ou via la messagerie Telegram, même dans les moments difficiles. Surtout dans ces moments difficiles. Il m’est déjà arrivé de lui confier, sans détours, mes doutes et mon découragement. Ses réponses m’ont, à chaque fois, convaincu que le combat méritait encore d’être poursuivi au sein de la majorité. Cette fois pourtant, c’est devant le fait accompli que je le place. Mon départ s’est imposé et je veux le rendre irréversible. « J’ai tout tenté sans succès, rester n’a plus de sens. C’est une décision difficile et irrévocable. » Je lui promets que « je serai toujours au côté de la majorité pour voter des avancées, que mon respect est inchangé ».

J’ai aussi mis mes proches dans la confidence. Ils ont suivi chaque étape de ces deux dernières années, l’espoir qui fut le mien en participant à la campagne d’Emmanuel Macron au début de l’année 2017, mes questionnements puis mes déconvenues. Il était logique que je leur annonce, en premier, cet épilogue. Sans doute l’avaient-ils anticipé autant que moi. De retour à Angers pour le week-end, je retrouve mon fils cadet qui traîne dans la cuisine de notre appartement. Je rentre de Paris, dépité par l’entêtement du gouvernement à faire voter sa bancale loi dite « anticasseurs » et par une nouvelle capitulation concernant l’indemnisation des victimes de pesticides. La mine grave, je lui glisse que j’ai quelque chose à lui annoncer. « Ah ça y est, tu te décides à quitter LREM ? », me devance-t-il immédiatement. Et le voilà qui me décoche, désarmant de naturel et de clairvoyance : « Eh bien, il était temps ! » Derrière lui, sur la porte du frigo, figure toujours un post-it aimanté, annoté par son frère aîné. Le lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidentielle, il m’y avait écrit toute sa fierté de fils : « Bravo pour vous, pour nous, pour la France. Sois fier d’être de ceux qui font. Je t’aime. »