Voici un très beau roman aux multiples facettes, une rencontre étonnante avec le monde des marais, un espace de tourbières et de marécages où vivent et se reproduisent de nombreuses espèces d'oiseaux.
Un titre à la mesure de cette nature, «
là où chantent les écrevisses », est une façon imagée de désigner tel point ou telle avancée, dans un milieu minéral, un labyrinthe humide fait de canaux comme autant de caches pour les déserteurs.
L'habileté de l'écrivaine
Delia Owens, est d'avoir choisi Kya, une petite fille pour incarner dans sa chaire, l'histoire d'une famille ruinée, qui peu à peu se fracasse sous la violence sans fin d''un père à la dérive, et d'une mère Ma qui finit par tout larguer.
L'absence de Ma, Kya l'éprouve à six ans, un matin, les tendres odeurs du matin auront disparu , un matin, puis un deuxième matin, puis à jamais.
La peur, et l'angoisse imprègnent sa vie de tous les jours, malgré son frère Jodie le dernier à quitter le navire.
"Jusqu'au jour où la douleur qu'elle avait au coeur s'écoula comme l'eau dans le sable."
"Kya posa sa main sur la terre mouillée et vivante et le marais de vint sa mère."
Ce livre est un guide de survie, et une magnifique traversée de l'enfance. Owens en bâtissant l'histoire de Kya nous délivre un très belle vision de la nature, une découverte d'une sorte de forêt primaire sertie de marais et d'êtres inconnus ou si rares que nos yeux pourront imaginer ou frémir dans cet espace aquatique.
Kya a l'intuition très tôt que sa vie sera liée à sa capacité de devenir autonome, gagner sa vie avec la complicité de Jumping et de Mabel, car le jour où ses cueillettes de moules, permettent de payer son essence c'est la lumière qui revient dans sa cabane et sa farine de Maïs qui caramélise pour la nourrir. Cet apprentissage de la débrouillardise est délicieusement racontée.
Sa survie est aussi liée à sa connaissance intime de son environnement, sa lucidité à ne suivre aucun étranger, à ne donner prise à quiconque, faire comprendre qu'elle n'a besoin de personne ni pour se vêtir ni pour manger, distillant des nouvelles factices de Pa et de Ma.
Sa rencontre avec le jeune Tate de 4 ans plus âgé, va tisser avec lenteur une relation inaltérable. Kya prendra du temps à s'exprimer. Ce tandem est la grande réussite du livre.
Delia Owens réussit à nous éblouir d'une magnifique amitié d'enfant.
Tate après lui avoir ouvert les bienfaits de la lecture et du savoir, puise dans son sens pratique de l'environnement, de la faune et de la flore, pour l'initier à toutes les sciences et à la biologie.
Quand vient se greffer l'accident de Chaise Andrews, Kya a les armes pour ne pas être emporté par les conséquences de ce drame.
Roman initiatique dans lequel je me suis identifié totalement, et où j'ai ressenti l'authenticité de l'histoire, et la réalité humaine des deux principaux acteurs. L'incursion de la poésie est aussi une très subtile idée, pour prolonger l'expression des sentiments de Kya.
J'ai souvent repensé au livre "La fille du roi des marais", beaucoup plus sombre et soutenu par un suspens angoissant.
A ceux qui ne connaissent pas le bonheur de ramasser des plumes, et de les peindre allez y. Il faut toucher ces plumes de la main ou avec de l'aquarelle pour sentir la beauté et la douceur de cette ouateuse peau d'oiseau.