La lecture étant avant tout pour moi un loisir, et un moyen de me détendre, je ne lis qu'occasionnellement des témoignages, enquêtes ou récits de vie, préférant, de loin, la fiction. Mais, de temps à autre, j'aime aussi me documenter sur des sujets qui m'intéressent ou m'interpellent. Et la masse critique non fiction de Babelio est idéale pour cela, il faut le dire. Et ce livre est l'un des très rares qui avaient attiré mon attention lors de la MC de février.
Imaginez que vous venez d'aller faire quelques courses dans votre supermarché et que vous en avez profité pour acheter deux ou trois décorations de fête pour l'anniversaire de votre enfant.
Imaginez qu'en ouvrant l'un des sachets contenant des petits chapeaux pointus, une feuille mêlant notre alphabet et quelques idéogrammes chinois, tombe du sac.
Imaginez que vous la ramassez. Dans la plupart des cas pour la jeter à la poubelle sans l'ouvrir, cette feuille étant sans doute un avertissement écrit dans plusieurs langues et indiquant d'où vient le produit (de Chine bien souvent) et que les éléments que contient le sachet ne conviennent pas aux jeunes enfants.
Mais là, non, vous l'ouvrez et remarquez qu'il s'agit en réalité d'un appel au secours, écrit aux risques et périls de son auteur, un homme ou une femme étant interné dans un laogai (entendez par là un camp de travail forcé chinois, l'équivalent des goulags soviétiques) pour des raisons idéologiques, politiques ou religieuses.
Et bien cette histoire n'est pas une fiction, elle est arrivée en 2012 à Julia Keith, une ménagère américaine qui venait de déballer un lot de décoration d'Halloween acheté pour quelques dollars deux ans auparavant. Et au lieu de faire l'autruche, de glisser cette information sous le tapis, elle a décidé de faire connaître cette missive, point de départ d'une enquête menée par
Amelia Pang, journaliste d'investigation d'origine ouïghoure et chinoise. Et je dois dire que ce que révèle ce livre fait froid dans le dos mais n'est aussi, malheureusement, ni nouveau ni rare.
Nous, consommateurs occidentaux, savons bien que ce que nous achetons à bas prix ne provient pas d'usines où les personnels sont correctement traités ou payés, et nous doutons aussi, dans une certaine mesure, que ces produits peuvent être confectionnés dans des prisons situés à l'autre bout du monde. Mais nous préférons nous taire, fermer les yeux (et je m'inclus dedans bien entendu).
Et je trouve, justement, que c'est l'une des grandes forces de ce livre :
Amelia Pang ne se cantonne pas de raconter l'histoire de ces camps de travail (qui peuvent s'assimiler à des camps de la mort) mais balaie toutes les étapes et tous les acteurs participant, bien souvent à leur corps défendant et sans le savoir, au fonctionnement de ce système. du « travailleur » obligé au consommateur, elle détaille minutieusement chaque partie grâce à un travail d'enquête fouillé, documenté et précis. Il n'y a qu'à voir le glossaire en fin d'ouvrage pour se rendre compte à quel point cette enquête fut menée sérieusement, en vérifiant les sources.
Et puis, aussi, elle parvient à captiver son lecteur en alternant les chapitres sur les laogais, ses dérives, leur conception, le rôle (actuel et futur) du consommateur dans cette chaîne avec des chapitres consacrés à Sun Yi, l'auteur du message trouvé dans le kit de décoration de Julia Keith.
Avec ce livre, vous avez entre les mains une enquête foutrement bien menée, passionnante, foisonnante, qui ne peut que vous faire vous poser des questions sur vos propres façons de consommer.
Samedi dernier, je suis rentrée dans un magasin où j'avais repéré une veste. J'avoue avoir réfléchi à deux fois avant de l'acheter, j'avais encore ce livre en tête. Et je dois bien admettre que, désormais, je ne jetterai plus les petits papiers avec des idéogrammes chinois sans les avoir à minima ouverts et parcourus avant.
En bref, une lecture très intéressante, très instructive. Je loue, encore une fois, le travail minutieux de l'auteure. Ne vous fiez pas à sa couverture colorée qui attire le regard, ce qui y est raconté est bien plus sombre, je dois aussi mettre en garde sur certains passages de torture (et oui, pour ceux qui en douteraient encore, on n'est pas aux pays des licornes magiques ici) qui ont été pour ma part assez difficiles à lire (mais, lorsqu'il ne s'agit pas de fiction, je suis assez sensible aux scènes pénibles, arrivant parfaitement à les imaginer, allant jusqu'à ressentir parfois physiquement de la douleur).
Un grand merci à Babelio pour la masse critique ainsi qu'aux éditions du Globe pour l'envoi de ce livre.