Voilà un livre qui mérite d'être lu !
Jean-Paul Picaper, germaniste, a enseigné à l'université de Berlin Ouest avant les années 67-68 et décrit par le menu les opérations d'infiltration de la Stasi à l'Ouest. L'objectif était de pourrir Berlin-Ouest de l'intérieur, de déstabiliser le système au point qu'en fin de compte les habitant de Berlin Ouest auraient « spontanément » demandé leur rattachement à la RDA!
Les 100 premières pages sont particulièrement intéressantes car elles donnent une analyse détaillée de l'opération qui a donné naissance à mai 68.
La Stasi avait infiltré de longue date les milieux étudiants et l'université où régnait une propagande incessante sur les thèmes classiques de l'Est comme le pacifisme et la dénonciation de la RFA comme machine à recycler les anciens nazis. Mais le plus intéressant est l'utilisation de thèmes hétérodoxes comme la « libération » des moeurs et le soutien à des mouvements d'apparence libertaire comme l'opposition extraparlementaire (APO), ce qui était bien loin de l'idéologie dominante dans l'austère RDA.
Les libertaires étaient l'arme idéale pour déstabiliser l'Ouest : ce sont des professeurs qui ne veulent pas rentrer dans le rang qui subissent un harcèlement constant, comme celui-ci qui fut entouré d'une ronde de filles aux seins à l'air dans son amphi pour l'empêcher de faire cours.
Blague d'étudiants direz-vous ? Non.
Nous en arrivons à l'affaire de la visite du Shah d'Iran à Berlin-Ouest en 1967 qui va servir de détonateur. Les membres du Parti communiste iranien étaient réfugiés à Berlin-Est et voulaient faire un carton. Mais c'est surtout la Stasi qui voulait que la manifestation dégénère pour discréditer la police de l'Ouest et attiser la colère étudiante. le policier Kurras qui tue (au hasard) l'étudiant Ohnesorg au cours de la manifestation contre le Shah était un membre de longue date de la Stasi, et le restera jusqu'à la fin de la RDA.
Dès lors, le cycle de la violence pouvait s'enchaîner : les responsables étudiants attribuèrent la responsabilité de l'assassinat à la presse Springer et les manifestations violentes se succèdèrent. le long des 200 Km de route entre Berlin-Est et la RFA, la RDA organisera une haie d'honneur du FDJ, les jeunesses communistes allemandes, pour honorer l'étudiant Ohnesorg, victime du "fascisme", en fait victime de la Stasi et de ses amis gauchistes.
Pain béni : un excité va attenter à la vie de Rudi Dutschke, ce qui va mobiliser les manifestations étudiantes en Europe, à Paris notamment.
Mais le plus intéressant est le récit de Bettina Rohl, la fille d'
Ulrike Meinhof, qui est partie en guerre contre les dérives de sa mère et celle des anciens gauchistes de la Bande à Baader.
Elle dénoncera particulièrement le comportement criminel de
Joschka Fischer, qui deviendra plus tard ministre de la RFA. Elle dénonça également les aventures pédophiles de Cohn-Bendit qui furent pour la première fois publiées dans la revue gauchiste dirigée par son père (qui a depuis reconnu ses erreurs), et qui étaient en fait, selon elle, un opération de diversion : Cohn-Bendit a rédigé cet article juste après la manifestation qui suivit la mort de sa mère, le 10 mai 1976, à Francfort. «Parce qu'un peu de massage d'âme en public était considéré comme une diversion nécessaire à cause de la tache honteuse que représentait la manifestation Meinhof», où un policier avait été grièvement brûlé, tentative de meurtre que Bettina Rohl impute à
Joschka Fischer. Par cet écrit, Cohn-Bendit aurait voulu «faire doucement et pieusement oublier la violence de la démonstration Meinhof».
Ces mythes ont la vie dure, puisque ces mensonges sont repris dans le film sur La bande a baader tourné en 2007, sans aucune prise en compte des révélations tant de Picaper que de Bettina Rohl. Naturellement, le livre de Bettina Rohl, So macht Kommunismus Spass n'est traduit dans aucune langue étrangère... Je me demande bien pourquoi. Pas vous ?
Enfin, précisons que c'est
Hugues Keraly, proche de l'OAS en 68, qui révèle sur son site SedContra, que Cohn-Bendit, avec lequel il a fait le coup de poing "contre le pouvoir gaulliste", est venu à Paris avec l'argent de la Stasi pour propager l'incendie déclenché à Berlin. Il fallait faire tomber
De Gaulle, ce en quoi il reçu l'aide services américains comme le raconte
Vincent Jauvert dans L'Amérique contre
De Gaulle : Histoire secrète, 1961-1969. 68 ce fut l'union sacré de l'extrême-droite, de l'extrême-gauche (où se formait les héritiers de la grande bourgeoisie qui ont depuis pris le pouvoir) pour abattre le gaullisme. Tout cela est très bien expliqué dans Néo-fascisme et idéologie du désir : Mai 68 : la contre-révolution libérale libertaire
Pour le reste, le livre décrit en détail le fonctionnement de la Stasi, l'affaire Guillaume... de l'espionnage plus classique, comme dans les films, sauf que c'est réel!
On regrette le style de l'auteur avec parfois des phrases lourdes, voire incompréhensibles et des raccourcis à la gloire de la démocratie libérale à l'américaine sans rapport avec le sujet: la pourriture d'un système ne donne aucun brevet de vertu au système opposé!