Nicolas Bornand traverse une mauvaise passe : licencié de son poste de correcteur la semaine passée, il s'est fait voler sa voiture la veille et se prépare à se rendre à l'enterrement de son plus vieux pote, Lionel. Au cours de la cérémonie, la veuve lui confie que le décès de son conjoint lui parait suspect et lui demande d'enquêter sur les circonstances de sa mort. Nicolas accepte et rencontre l'entourage de Lionel : ses amis, ses ennemis ses collègues, ses maîtresses et ses "copains d'avant". Les deux amis ont étudié dans le prestigieux Lycée Henri IV et ce sera donc l'occasion pour Nicolas de faire remonter les souvenirs potaches de cette époque et de repenser aux professeurs, surveillants et camarades de classe croisés dans l'établissement.
J'ai trouvé Nicolas, le protagoniste de ce roman éminemment sympathique. Unijambiste et un brin déprimé, il garde ses réflexes de militant soixante-huitard et porte un regard grinçant sur la société actuelle, notamment sur son fils qui a bon profil de « marcheur ». Cette enquête sur cet ami un brin maniaque est une sorte de parenthèse désenchantée, une aventure imbibée aux accents nostalgiques. Le récit se déroule sans impression de cassure et est agrémenté de jeux de mots, de références littéraires et cinématographiques, de constats lucides et parfois cyniques. Seul regret, les dernières pages sont décevantes, surtout pour un roman qui jusque-là se singularisait par son humour et sa candeur.
Mon premier Pouy, un avant-goût d'une oeuvre qui s'annonce attrayante.
P.S.: Extrait d'un portrait de l'auteur publié dans Libération et qui nous renseigne sur ce roman :
"Le pire, c’est qu’il n’a jamais vraiment voulu écrire. Sa passion première, c’est le cinéma, expérimental surtout. Il en a fait une thèse après des études au lycée Henri-IV (où il était en classe avec Patrick Modiano et le fils de Maurice Thorez),"
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J'étais de plus en plus envahi par cette curieuses intuition d'un danger qui rode en ricanant. Impossible de savoir pourquoi. C'était simplement dans l'air. La mort du pote. Ma décision de m'en mêler. Les gothiques dans mon immeuble, tout ça. Le diaphragme qui se serre. La boule. Surtout qu'il y avait longtemps qu'il ne se passait plu rien dans ma vie. Avant mon accident, il s'en passait beaucoup. Pour m'occuper, pour me rassurer aussi, j'ai repris mes vieux réflexes de militant, ceux d'avant, quand il fallait prévoir la possibilité d'être hors la loi sans trop se démasquer, J'ai été cherché du scotch double face et deux vieux numéros du Monde. J'ai étalé les deux journaux par terre, ouverts en se chevauchant, et je les ai striés longitudinalement avec le scotch. Et puis, en serrant bien, je les ai roulés. Avec çà, j'avais une matraque assez dissuasive, j'avais déjà testé. Je me souvenais précisément des attaques d'Occident contre l'Institut d'Art, rue Michelet, que nous défendions avec l'énergie du désespoir, tout ça pour protéger une bande de nanas de la simili haute qui y faisaient des études pour incollables, une fois mariées, sur les styles Louis XV, Louis XVI et Moncul sur la commode.
(...) j'en avais profité pour siffler la moitié de la bouteille de vodka. Et je n'étais absolument pas bourré. Du coup, j'ai pensé au proverbe irlandais : la réalité n'est qu'une hallucination provoquée par le manque d’alcool.
Quand, lors d'un de ces jours de juillet étouffants où nous n'étions pas encore partis au bord de la mer, je disais à ma mère : "maman , je m'ennuie !", elle me répondait : "profites-en, t'as de la chance !"
Lionel était un cavaleur fini, mais simple et généreux. Pas le genre à promettre la lune. Il la prenait, c’est tout.
Elle s'est levée gracieusement, elle était toujours fringuée pareil, mortifère avec des trous partout. J'ai senti son parfum, un truc genre patchouli, ça m'a rappelé brusquement des nuits d'été où il n'y avait plus que cette odeur sur la peau de nos jeunes amies. Dès qu'elle est entrée dans l'appartement, elle a retiré sa veste de fantôme et s'est assise sur le canapé. Sa blouse de lin blanc. Tout à coup, une lointaine ressemblance avec Patti Smith. Elle a voulu un thé. J'ai mis un sacré temps à dénicher les sachets d'Earl Grey dans le placard de la cuisine.
Marc Villard nous raconte les différents procédés d'écriture pour les livres écrits avec Jean-Bernard Pouy.