L'essai articule phénoménologie et philosophie des mathématiques dans un ensemble cohérent et pertinent. La solution proposée à la querelle de l'idéalisme et du réalisme est originale, puisqu'il s'agit ni plus ni moins de défendre un réalisme nomologique et un idéalisme sémantique, que cela soit en général ou, plus particulièrement, en mathématiques. Partant de la doctrine husserlienne autant que de textes métamathématiques, Pradelle va étudier longuement les implications de cette thèse. On interprète ainsi les idéalités à la lumière de concepts comme l'intention, la visée, la noématique, etc. L'essai est ainsi à la fois général et spécifique.
Après une introduction qui présente les propositions classiques sur la nature de la vérité (thomisme, Frege, etc), l'essai entend étudier ce qu'il s'agit d'entendre par "constitution" en phénoménologie. S'agit-il véritablement d'un engendrement ? Selon Pradelle, il faut plutôt interpréter la constitution phénoménologique comme le dévoilement d'une légalité structurale dont le sujet est dépositaire. En d'autres termes, il s'agit seulement de rendre représentable : apparaît ici les prémisses de l'idéalisme du sens mais, aussi et malgré tout, d'un réalisme, au sein même de la phénoménologie. On insiste ensuite sur l'idée de régionalité en phénoménologie générale : il n'y a même aucune région paradigmatique mais plutôt une pluralité irréductible des types ontiques. La généralisation des concepts thématiques revient plutôt à la modification de ces concepts. L'analogie est donc autorisée, mais dans certaines limites. Il n'y a pas d'objet en général kantien : la généralisation intervient toujours dans un second temps. S'ensuit une analyse de la rex extensa comme fil conducteur qui n'est pas un archétype de la constitution transcendantale en général.
Après la défense rigoureuse d'un holisme du sens pour les visées, la question qui se pose ensuite est de savoir si, comme le prétend
Derrida ou Marion, l'objet mathématique est un objet épuisable et déjà réduit. Pradelle va le contester en défendant un écart entre l'implicite et l'explicite. Pour le comprendre, il faut saisir que la notion d'attribut comprend deux choses distinctes : les caractères de l'idée et les propriétés établies ultérieurement. Les composantes logiques du concept ne sont pas les propriétés qui échoient aux objets correspondants. En bref, la définition n'est pas la propriété. Là, apparaissent pleinement l'idéalisme du sens et le réalisme nomologique. Conformément à la régionalité phénoménologique, les idéalités catégoriales ont ainsi une structure d'horizon spécifique. le sens typique vide excède le sens singulier remplissant. S'ensuit une analyse des strates phénoménologiques, et l'on découvre qu'il y a des stades de purification relatifs en mathématiques. La spécificité de la structure d'horizon des idéalités catégoriales se manifeste donc par le fait que celles-ci n'ont plus grand chose avec le modèle spatial qui servait de fil conducteur.
C'est alors le moment d'examiner les antinomies de la théorie des ensembles, et l'on insiste sur l'idée qu'il faut partir d'un ensemble déjà donné pour éviter la contradiction (on doit apporter des restrictions à la théorie pour éviter le paradoxe de Russel). La conclusion est la suivante : l'existence mathématique est le corrélat d'un chantier de théorisation en devenir. Les mathématiques reviennent à une pensée proprement intentionnelle des relations.
Après ces analyses, notre devoir est de distinguer omnitemporalité et atemporalité, omnisubjectivité et asubjectivité : les objets idéaux sont omnitemporels, pas intemporels. Toute idéalité
demeure suspendue à la possibilité de sa disparition sémantique : s'il est possible d'appliquer rétroactivement les mathématiques nouvelles aux mathématiques anciennes, il n'est pas possible pour celles-ci de supporter celles-là. Il y a historicité. Les échafaudages co-appartiennent à la vérité.
Pradelle va ensuite s'opposer à une conception agrégative et donc finitiste des ensembles, d'où il s'ensuivrait une confusion entre appartenance et inclusion, s'éloignant dès lors de
Husserl sur ce plan. On insistera également, dans le chapitre suivant, sur l'idée qu'il n'y a pas de degrés de généralité mais des palliers de formalité.
Retournant sur un terrain plus phénoménologique, il s'agira d'explorer l'aspect totalement imbriqué de la stratification de la constitution : s'il faut procéder du haut vers le bas, on sait que le bas est subordonné au haut. Il y a un double processus phénoménologique. Cela pose des difficultés de méthode, mais surtout la relativité des strates. Il y a un oubli relatif, une espèce de suspension, des strates supérieures. Il en découle un principe de contextualité et un polyphilosophisme caractérisé : on aura du pragmatisme pour la morphologie des systèmes de signes, du constructivisme récursif pour la morphologie des lois d'itération, de l'idéalisme pour les systèmes déductifs, du constructivisme intuitionniste pour la logique de la vérité relativement à la validité des principes logiques, etc... Chaque strate phénoménologique a ainsi sa propre version du corrélationnisme. La constitution des idéalités n'est pas seulement l'acte d'amener à l'évidence donatrice ce qui a été visé comme sens. Il y a une opposition entre l'intension vide et l'évidence donatrice à chaque stade.
La fin du livre en explore les conséquences.