Paris Anecdote

Il y a à Vannes, en plein coeur du Morbihan, quelques petites mains qui, tout au long de l'année, trient inlassablement, qui départagent le bon grain de l'ivraie, qui séparent le carton du papier à fin de recycler, qui entassent, qui empilent, qui échafaudent de hautes piles de cartons à bananes dans un hangar où le trésorier à l'installation avait traqué et rebouché toutes les dangereuses fissures sources d'humidité.
Et puis, deux week-end par an, c'est le délice de la lectrice, le bonheur du lecteur.
A deux pas de la Tour du Connétable, la fourmi sort de son atelier et 50 à 60.000 ouvrages de toutes sortes sont mises en vente.
C'est la fête du livre, de tous les livres ...
Et cette année, au fond d'une caisse, m'attendait ce petit opuscule daté de 1865, écrit par Alexandre Privat d'Anglemont : "Paris Anecdote" !
Ce livre est affaire de journaliste.
C'est un long recueil de près de 350 pages d'une série d'articles parus préalablement dans les pages du journal parisien "Le Siècle".
Au milieu du XIXème siècle, quelques statisticiens patentés, messieurs Parent Duchatelet, Jonnès et Fregier estimaient à 70.000 personnes de tout âge le nombre de celles qui ne savaient pas comment manger, ni où coucher.
Comment font-elles ?
C'est leur secret !
Alexandre Privat d'Anglemont est venu rôder, a promené sa curiosité dans un gros pâté de maisons connu sous le nom de Mont-Saint-Hilaire qui était le point culminant du Quartier Latin, l'extrême limite du pays de la science et de la montagne Sainte-Geneviève.
Et il prévient :
"Paris a usé toutes ses facultés d'étonnement.
Laissez-moi vous dire ce que j'ai vu, ce qui m'a été dit, ce que j'ai observé !
Attendez-vous à voir du laid, mais ne lâchez pas trop la bride à votre imagination !
Il ne sera ici question ni de voleurs, ni d'assassins, ni de tapis francs*".
D'anglemont n'a rien à dire des classes dangereuses, "il laisse cela aux gens sérieux qui écrivent de gros livres que personne ne lit, mais que déjà l'Académie couronne" !
Ici, dans son livre "Paris anecdote", tout se passera en famille, au sein de la pauvreté honnête et travailleuse.
Derrière les professions avouées, se cache l'ingéniosité parisienne :
Mme Lecoeur loue des voitures à bras qui font la fortune des marchands de quatre saisons ...
Mme Brichard, sa voisine, vend des artichauts cuits ...
le père Salin, lui, fabrique des asticots pour le pêcheur parisien et le rossignol de la bourgeoise ...
La mère Maillard achète tous les rogatons, c'est à dire tous les morceaux de viande laissés dans les assiettes des restaurants ...
Le père Chapellier est "boulanger en vieux", fabricant de chapelure et de croutons pour la soupe ...
Jacques Simon est berger en chambre, Mlle Rose éleveuse de fourmis et le père Matagos est "happeur" de chats, qui livre une tête de lapin avec chaque livraison de félin afin que les amateurs de gibelotte ne se méfient pas ...
Voulez-vous faire fortune ?
Oui, n'est-ce pas ? Eh bien !
Ayez une spécialité, soyez un spécialiste :
"Il n'y a pas de sot métier, il n'y a que de sottes gens" !
Dans ce recueil de vies et de débrouilles, le dicton populaire en vient à prendre tout son sens.
Le gaspillage de notre époque aussi !
D'étonnement en sidération, Alexandre Privat d'Anglemont a immortalisé dans ce livre, "Paris anecdote", tout un petit peuple laborieux, honnête et fier d'entrepreneurs quelque peu atypiques, pourrait-on dire en guise de léger euphémisme !
C'est un régal de lecture, de petite Histoire revisitée et d'étonnement reporté de pages en pages.
Et peut-être ce livre est-il aujourd'hui aussi précieux, de ce que nous rappelant hier, il nous parle certainement d'aujourd'hui et de demain ...

*estaminet ou cabaret mal famés

Savez-vous ce qu'est un arlequin? Je ne parle pas de la commedia dell'arte, mais d'autres choses qu'on offrait pour quelques sous à nos ancêtres pauvres qui ne pouvaient pas trouver d'autres nourritures.
Cela et bien d'autres, vous le découvrirez en lisant cette compilation d'articles écrits par un homme du milieu du 19e siècle et qui vivait à Paris à cette époque.
C'est fascinant à lire et permet de comprendre comment certaines personnes vivaient en ce temps là.
Parce qu'en dehors des puissants, des écrivains ou des artistes dont on nous raconte les histoires qui ont fait L Histoire avec un grand H, il y avait le petit peuple qui menait sa vie comme il pouvait sans pour autant perdre sa bonne humeur et sa joie parfois.