A travers les destins croisés de deux personnages en marge,
Shannon Pufahl est parvenue à capter avec élégance et subtilité la bascule de l'Amérique des années 1950 vers la modernité. 1956. La guerre de Corée a pris fin, la guerre froide s'intensifie, la contemplation des essais nucléaires dans les étendues désertiques du Grand Ouest attirent les badauds, les autoroutes achèvent leur construction, la société de consommation naît.
Muriel et son beau-frère Julius sont à l'étroit dans la société très normée des années 1950. Elle, 21ans, vient de quitter son Kansas natal pour la Californie, fraichement installée à San Diego avec son mari Lee. le désenchantement face à sa vie maritale creuse son sillon à mesure qu'elle commence à s'émanciper, misant en secret sur des paris hippiques puis explorant des aventures amoureuses inédites. Julius, renvoyé de l'armée pour homosexualité, la fascine par sa liberté, des salles de poker de Las Vegas aux bars miteux de Tijuana. Il inspire Muriel car il lui permet d'imaginer le monde plus grand et plus excitant que ce qu'elle vit avec Lee. Leurs vies se croisent, convergent, divergent mais partagent secrets et intentions voilées.
Shannon Pufahl explore avec justesse le courage d'être soi au mépris des conventions, le risque de vivre sa vie comme on l'entend, libres et ardents comme les chevaux du titre ou la jument rebelle que Julius offre à Muriel avant de fuir au Mexique, loin de l'enfermement d'une vie étriquée. La narration place le lecteur en poursuites parallèles, alternant des chapitres centrés sur l'un puis l'autre, au plus près des personnages. J'ai parfois un peu décroché, ou plutôt les émois et aspirations des personnages n'ont pas totalement imprimé ma lecture. Et c'est la qualité d'écriture de l'auteure qui m'a à chaque fois ramené dans le récit et vers l'élan vital qui pousse les personnages à s'émanciper.
En fait,
Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents est avant un roman d'ambiance qui repose sur la quête de soi très contemplative plus que une intrigue dument charpentée. Shannon Dufahl déploie une prose très maitrisée, délibérément lente, nourrie de métaphores évocatrices. Elle excelle dans les descriptions impressionnistes des lieux, entre lyrisme et précision, avec un souci du détail et de la concision qui immerge totalement le lecteur : bars gays clandestins, salles de jeux illégales, hôtels crasseux, champs de courses poussiéreux et surtout, Las Vegas au début de l'empire du jeu donnent naissance à des passages absolument somptueux, parfois fiévreux, souvent ouaté d'interdits, toujours empreints de mélancolie.