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Critique de Charybde2


Merveilleux de causticité, d'humour, de tendresse et d'allant, un polar en forme de somme politique provisoire, où la vengeance est bien glacée, l'avidité bien déchaînée, et l'amour bien présent, même s'il porte ses propres complexités.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/06/23/note-de-lecture-maldonnes-serge-quadruppani/

De la trilogie Krachevski (« Y », « Rue de la cloche », « La forcenée »), qui marquait son entrée en fiction entre 1991 et 1993, aux plus récents « Loups solitaires » (2017) et « Sur l'île de Lucifer » (2018), ancrés dans l'actuel Limousin de son coeur, en passant par sa trilogie Simona Tavianello (« Saturne », « La disparition soudaine des ouvrières » et « Madame Courage ») de 2010-2012, orchestrant une vision affûtée – et pourtant non dénuée d'humour et de sensualité – d'une certaine Italie d'aujourd'hui, Serge Quadruppani a toujours su mêler avec une immense adresse les trames de la grande échelle criminelle, capitaliste et géopolitique avec celles d'un monde en plus petit se nourrissant d'autobiographie, réelle ou supposée. C'est pourtant plus particulièrement l'atmosphère spécifique de « Colchiques dans les prés » (2000), roman explicitement inscrit ici dans la bibliographie du narrateur principal, Antonin Gandolfo, qui en profite justement pour ironiser sur la tendance du lectorat à vouloir démêler le vrai du faux dans ses romans, atmosphère toute irriguée de braquages anciens et de vengeances inassouvies, qui sert d'amorce à la vaste fresque condensée en moins de 300 pages par ce « Maldonnes », publié en mai 2021 chez Métailié.

Multipliant les allusions, sans jamais gêner, bien au contraire, l'implacable déroulé polyphonique (en plus du corps principal du roman d'Antonin Gandolfo, il faudra compter soigneusement avec les récits croisés de Guillaume Lepreneur et d'Olga Nicotra) de ce thriller atypique, Serge Quadruppani convoque au détour des lignes aussi bien Gustave Flaubert (et certain faubourg de Salina) que Carlo Emilio Gadda, Elsa DorlinSe défendre ») que Giorgio Agamben (avec « une politique qui dévoile ses acteurs dans leur vérité nue »), ou Giuseppe Tomasi di Lampedusa que Giorgio Scerbanenco, et nous invite subrepticement à une véritable visite guidée de la Bibliothèque Italienne qu'il dirige chez Métailié depuis 1999, mobilisant lorsque nécessaire, par clin d'oeil joueur ou par instrumentalisation narrative, Andrea Camilleri ou Carlo Lucarelli, Giuseppe Genna ou Gioacchino Criaco, Massimo Carlotto ou les Wu Ming. Armé d'une merveilleuse causticité, il nous entraîne par de remarquables chemins détournés dans les méandres du capitalisme tardif et de sa rage punitive longtemps après les faits (l'affaire Cesare Battisti n'est peut-être pas si loin, non plus que les réflexions indispensables sur ce que fut la lutte armée dans les années 1970), en des territoires ignorés où la vengeance glacée et l'avidité brute ont plus que jamais droit de cité, où les sociétés financières luxembourgeoises ont plus à voir qu'on ne croit avec la dérive continentale conduisant des Beati Paoli de Luigi Natoli aux mafieux de Leonardo Sciascia – voire de Francis Ford Coppola (dans l'auto-parodie contemporaine du selfie généralisé) -, où « le dominant ne saurait chercher d'excuse dans la soumission du dominé », même s'il s'agit, encore et plus que jamais, de « contrecarrer les récits dominants ». Que cette rude balade dans les chemins de traverse soit conduite avec l'humour des « trous » mystérieux demeurant dans la fiche Wikipédia d'Antonin Gandolfo et avec la tendresse qui pointe jusqu'aux possibilités de fins alternatives au roman, ultime clin d'oeil à celles de « Colchiques dans les prés », ne rend que plus puissant et plus nécessaire ce polar en forme de somme provisoire.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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