Le poète dont parle Jean Roscoff, s'appelle Willow, le saule pleureur: par association d'idées, Willow weep for me,
Billie Holiday, qui est morte parce qu'elle était noire et qui nous fait sangloter avec son Strange fruits.
Ce Willow dont Roscoff a vu la photo, est né dans un quartier huppé de Noirs américains, a étudié à Howard University, l'Université des Noirs que Coleman, le héros de la Tache, refuse d'intégrer, puisqu'il a choisi de se déclarer blanc.
Rien de tout cela dans le Voyant d'Etampes. Willow est noir ou métissé, ce qui revient au même dans les années 50 dans l'Amérique du Maccarthysme. Comme les Rosenberg, il est communiste. Il fuit donc en France, connaît
Sartre, les filles, les boites de jazz. Et termine sa vie en ermite à Etampes, où il se tue comme Camus sur une route ( la route photographiée sur la couverture, on voit bien l'impact )
Problème : non seulement Roscoff ne mentionne pas dans son livre que Willow est noir, car c'est la poésie et le jazz qui lui semblent intéressants, mais en plus, s'il en avait parlé, on lui aurait reproché son désir malsain d'appropriation culturelle, et, ça, c'est vraiment pas joli, joli, « confisquer la voix » d'un « racisé ».
Racisé, concept puritain pour ne pas nommer la couleur, et qui pourtant ne parle que de la couleur, pas du statut social. Ce sont les non-blancs.
Car Second problème, soulevé par
Abel Quentin, citant la petite mamie souriante, Peggy MacIntosh, née dans un milieu très favorisé, auteur d'une « étude » déclarant que les blancs, tous les blancs, se considèrent comme la norme, ont tous un statut social plus élevé, bref le suprématisme blanc n'est pas à discuter. White privilège. Tous les blancs sont racistes par définition, surtout inconsciemment. « Y compris l'ouvrier agricole languedocien payé une misère n'était plus un damné de la terre, il ne pouvait plus prétendre n'avoir rien : il jouissait du privilège blanc. »
(Réflexion personnelle : comment remédier à ce péché originel? )
La fille de Roscoff lui explique que cela ne suffit pas : sa copine est woke, et pratique une approche intersectionnelle : « femme non racisée et lesbienne, je suis à la fois agent d'oppression, parce que blanche, et victime d'oppression, parce que femme et homosexuelle » .
L'un rachetant l'autre, si elle est victime quelque part, c'est mieux. (Deuxième réflexion personnelle : l'homosexualité masculine serait elle un cumul de deux oppressions ? )
Inutile de redire la descente aux enfers de Jean Roscoff, 123 babeliotes s'en sont fort bien chargé.
Cependant une troisième question, avec dimension plus qu'intersectionnelle : les féministes peuvent elles admettre dans leur giron ( enfin façon de parler) les trans ? Non, dit la nouvelle puritaine autocrate et raciste (contre les vieux hommes blancs, surtout, elle les connaît, les blancs, leur lutte SOS raciste, leur marche des beurs, on ne lui fait pas, à ELLE !) car pour elle, ce qui compte, pauvre
Simone de Beauvoir, ce n'est pas de devenir femme , c'est d'être née avec des organes féminins indiscutables. « Les trans risquent d'être les chevaux de Troie du patriarcat masculiniste pour infiltrer le forum » Transphobie. (troisième réflexion personnelle : de plus, ils perdraient quand même 30 % de leur salaire en devenant femme , mais bon.).
Se greffe un quatrième problème, posé par Roscoff : comment faire admettre à un musulman la reconnaissance du genre ? Sans faire le jeu ( Cf notre époque) de l'islamophobie ? Ça non plus, c'est pas beau.
Le débat fait rage et même les hyper-féministes sont obligées de trancher ( Non, pas comme dans le film de Marco Ferreri : « la dernière femme » !) : puisque les violeurs sont souvent paupérisés et racisés », mieux vaut en oublier la pénalisation.
Le bémol que je ferai, c'est que
Abel Quentin, peut-être par peur d'être ostracisé comme son héros Jean Roscoff, a volontairement ridiculisé ce dernier : il radote ses faits d'armes militantes d'il y a presque 40 ans, et me fait penser en cela aux assertassions inévitables parlant du colonialisme dès qu'il s'agit de l'Afrique. Un peu tard pour s'insurger, c'était il y 62 ans. Roscoff, antihéros alcoolique, ça, on admet, mais prêt à tout pour donner raison à ses détracteurs, un parodie de vieillesse radoteuse et finie, une suite de répétitions inutiles, car les woke s'en battent l'oeil de SOS racisme.
Nous y sommes, nous les papys et mamies antiracistes. Depuis le début, un racisme antiraciste dénoncé par
Franz Fanon, nous broie. Rien n'est drôle entre les sanglots de
Billie Holiday, le vrai racisme qui tue, et les certitudes qu'il y a des critères moraux intangibles, que la nouvelle Inquisition n'a pas besoin de preuves ; elle a besoin de l'aveu du futur supplicié. Woke, le racisme new âge, ou musique d'assignation identitaire ? Nous y sommes.
Pas de quoi rire.