Résumé.
Au début du XXe siècle, un petit orphelin, Fred Barthélemy rencontre Flora, une jeune marchande de poisson dont il tombe amoureux. Les deux enfants sont assez vite recueillis par un couple d'anarchistes de Belleville, Victor et Rirette, amis très proches de la bande à Bonnot. Fred fait son éducation politique auprès de Delesalle, un libraire anarchiste et apprendra le russe avec des émigrés fuyant la répression tsariste. Cette connaissance lui épargne la boucherie de 14 car il est envoyé par l'armée comme observateur de la révolution russe. Au contact de
Lénine, Zinoviev, Kamenev, Trotsky et Staline, il est horrifié de la manière dont son idéal est trahi. Rentré en France au moment du Front populaire, il participe activement à la guerre d'Espagne dans les rangs des libertaires et des anarchistes qui finiront pour la plupart sous les balles des bolcheviques. Il passe la seconde guerre mondia
le prisonnier en France dans le camp de concentration de Gurs et est libéré en 1945 sans avoir eu ni procès ni condamnation, ni réhabilitation d'aucune sorte. A la fin de sa vie, il exerce la profession de bouquiniste sur les quais de Paris.
Mon avis.
Michel RAGON aurait pu intituler son livre "
Les perdants magnifiques", si ce titre n'avait pas déjà été utilisé par
Leonard COHEN ; il aurait été plus proche de la vérité. Car ces hommes ne furent pas réellement vaincus, mais bel et bien trahis !
J'ai adoré ce roman qui tend parfois vers l'essai politique !
Un destin exceptionnel, une vie qui en contient dix et qui permet à
Michel Ragon de brosser une fresque magnifique sur le mouvement anarchiste et libertaire. En compagnie de Fred, le lecteur croise le prince
Kropotkine (initiateur avec Bakounine du mouvement en Russie), le rebelle anarchiste ukrainien Mackhno, les espagnols Durruti et Pestana, etc. Beaucoup, notamment les libertaires, mais aussi les socialistes révolutionnaires, contribuèrent fortement à l'avènement aux pouvoirs des Bolchéviques, contraints et forcés par les événements, puis furent trahis et exterminés. Frédéric BARTHELEMY, personnage central du roman, n'a pas existé,
Michel RAGON s'est servi des anecdotes de deux anarchistes qu'il a eu la chance de rencontrer, de nombreux témoignages d'acteurs de ces événements historiques, et d'une solide documentation. Même s'il a romancé, et parfois interprété, RAGON ne rapporte que des faits avérés, toujours judicieusement commentés.
Quelques morceaux choisis :
"L'histoire a été accaparée par des imposteurs et elle est écrite pas d'autres imposteurs."
"Il ne peut y avoir de communisme viable que dans le partage de l'abondance. Or la Russie ne partageait que la pénurie."
"L'armée rouge et la Tchéka*, voilà les deux réussites de la révolution d'Octobre."
"La France, l'Angleterre, l'Autriche, tous les pays qui échappaient encore à la dictature, s'endormaient dans leur déclin. Leurs dirigeants ne remarquaient rien, ne comprenaient rien. Ou bien alors, comme le lapin fasciné par le serpent qui le dévorera, ils se laissaient ensorceler par les sirènes."
"Les politiciens deviennent amnésiques dès que
L Histoire ne fonctionne pas selon leurs voeux."
"Que longtemps encore règne sur le monde ta bienfaisante lumière" titrait l'Humanité du 26 novembre 1949**."
"On le*** condamna donc finalement à mort, seulement pour avoir mal pensé. Mais pour Staline, comme pour Hitler, ne s'agissait-il pas là du mal suprême ?".
* L'ancêtre du KGB.
** Pour l'anniversaire de Staline (18 décembre).
*** Nicolaï Boukharine.