Michel Ragon4.38/5
163 notesLa mémoire des vaincus
Résumé :
Qui est Fred Barthélemy, dont Michel Ragon nous fait une biographie si passionnante ? Qui est Flora, la petite fille de ses amours enfantines, devenue marchand de tableaux célèbre et richissime ? La Mémoire des vaincus mêle personnages réels et personnages inventés en une vaste fresque où l'histoire, le mythe, le romanesque et l'autobiographie se conjuguent.
Dans le cours du roman, communisme, anarchisme, fascisme apparaissent dans leur complexité, d...
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« La conscience de l'anarchie »
Contre toutes les oppressions, la vie de Fred Barthélémy traverse le XXe siècle et son histoire comme une étoile filante.
Véritable viatique de l'utopie en marche et du mouvement libertaire, le livre de
Michel Ragon est une fresque sociale passionnelle qui balaie l'histoire du regard des laissés-pour-compte. Pour ne pas oublier et espérer.
« Il suffit de quelques uns pour que
la mémoire des vaincus ne sombre pas dans le néant. »
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Magnifique fresque qui nous permet de découvrir de l'intérieur la Grande Histoire.
Grâce à un personnage fictif, anarchiste et libertaire, l'auteur nous fait vivre et rencontrer des personnes bien réelles qui ont participé à écrire les grands faits du XXème siècle.
Depuis la Commune de Paris en passant par la Première Guerre, la Révolution Russe, le Front Populaire en France, la Guerre d'Espagne, la Seconde Guerre Mondiale jusqu'à mai 68, vous découvrirez, à travers le parcours de cet homme,
L Histoire en marche en étant au plus près des évènements.
Je n'en dirai pas plus et préfère, si vous voulez en savoir plus, vous renvoyer vers la magnifique critique faite par Hardiviller sur cet ouvrage et qui m'avait incité à le lire.
Ce livre me renvoie juste à
Robert Margerit qui sur le même principe d'un personnage inventé, nous fait découvrir et participer à la Révolution Française, n'hésitant pas comme dans ce présent ouvrage, à nous faire asseoir à la table de personnages illustres.
Si vous aimez
L Histoire, la petite et la grande, alors....
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C'est avec beaucoup de respect et avec beaucoup d'empathie que
Michel Ragon a ecrit cette biographie romancee d'un homme (fictif? avatar de quelqu'un qui a reellement existe et dont il cache le vrai nom?) qu'il nomme Fred Barthelemy et qui represente a lui tout seul la trajectoire des anarchistes au XXe siècle. Et il a reussi a m'inoculer cette empathie.
C'est une histoire de luttes populaires, de reves et d'ideaux qui ont marque la realite europeenne et occidentale pendant pres d'un siècle. Des bombes de la Bande a Bonnot jusqu'a l'apres Mai 68, en passant par la revolution russe d'Octobre, la guerre civile espagnole, les emprisonnements et deportations de la deuxieme guerre mondiale, et les efforts pour publier une presse libertaire tout le long du siècle.
C'est la memoire de gens qui ont lutte pour une meilleure societe et qui ont ete vaincus par l'histoire. Vaincus? Ceux qui luttent, qui n'arretent pas de lutter, peuvent-ils etre jamais vaincus? Pas vraiment, ils renaissent a chaque fois de leurs cendres, comme le phenix. Et ces vaincus continuent peut-etre leur lutte par l'entremise du livre de Ragon: la lutte pour une memoire non diabolisee. La memoire de societes revees, de revolutions qui ne purent jamais etre menees a terme mais a chaque tentative conquerant de nouveaux esprits, de nouveaux lutteurs.
Autour de ce Fred Barthelemy fictif Ragon fait vivre nombre de personnages historiques reels. Des libertaires francais oublies comme Paul Delessalle, Rene Valet,
Louis Lecoin (je les cite pour que leurs noms soient ecrits encore une fois, ils meritent bien ca) et des figures comme
Lenine, Trotsky,
Victor Serge, la feministe avant l'heure que fut
Alexandra Kollontai, le meneur de paysans ukrainiens Makhno ou l'espagnol Durruti. Il raconte l'acharnement des communistes contre les libertaires, acharnement que nous comprenons aujourdh'ui quand nous savons que ce qui se targait d'etre une dictature du proletariat n'etait que la dictature d'un parti.
Ragon a ecrit un beau livre. Je me repete: il a reussi a me faire partager son empathie pour son (en fait ses) heros. Dans cet etat d'esprit je clos ce billet avec des mots de
Leo Ferre:
Les anarchistes
Ils ont un drapeau noir
En berne sur l'espoir
Et la melancolie
Pour trainer dans la vie
Des couteaux pour trancher
Le pain de l'Amitie
Et des armes rouillees
Pour ne pas oublier
Qu'y'en a pas un sur cent et qu' pourtant ils existent
Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous
Joyeux et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout.
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Avec Michel Ragon , les " vaincus " de l'histoire ont trouvé leur mémoire ( la formule n'est pas de moi ) . Le terme de vaincu me défrise ( " les trahis " est certes moins accrocheur mais " les perdants magnifiques " me conviendrait ) , il n'en reste pas moins que le texte nous met devant l'évidence qu'un parcours libertaire ne se résume pas comme le dit Crazinath à " poseur de bombe ou assassin de personnalités " .
La devise républicaine " liberté , égalité , fraternité " ainsi que le souligne paulotlet contient des idées qui ne sont pas contradictoires : peut-il y avoir liberté sans égalité , et sans fraternité , l'égalité et la liberté n'ont-elles pas de limites ?
Bien sur le personnage de Fred Barthélemy est une fiction mais non sans chair réelle ..... il se dit sur la toile en cherchant bien qu'il serait une sorte de mélange entre Henry Poulaille et surtout Marcel Body ( avec le B et le Y de Barthélemy ) .
Pas forcément objectif , le rédacteur de ces quelques lignes , vu les opinions affichées sur son profil , j'en conviens , mais ni Ragon , ni les libertaires ( en général ) , ne font de prosélytisme , ne cherchent à convertir à une doxa , ne se réclament de la perfection . Ragon le dit ainsi , dans ( La voie libertaire ) : la voie libertaire n'est pas confortable . Elle est , puisque minoritaire , la voie de la solitude et du doute ...... dés lors pourquoi aiguiller les autres sur ce chemin inconfortable ? Il est mieux de suivre sa voie et si d'autres ont de l'empathie avec votre démarche , accompagnons-les fraternellement en les laissant libres de se tromper en prenant les raccourcis ou les chemins buissonniers de leur choix . C'est un peu dans cette optique que Ragon nous relate la vision des " vaincus " ( décidément , j'ai du mal avec ce terme ) .
En début de livre Fred par sa faim de lecture copine avec un vieux bouquiniste , ce n'est pas à vous , babéliotes , qu'il faut expliquer ce que cela représente de chance et de bonheur ! ..... sur ses vieux jours Fred devient libraire , il transmet à ceux qui le fréquentent , ce que les livres lui ont donné .... un bon parcours d'autodidacte convaincu de l'acquisition des connaissances par ce biais .
Ayant moyennement apprécié " Un si bel espoir " de Ragon , c'est babélio qui m'a mis sur la piste de " La mémoire ... " , comme un juste retour des choses , je me trouve doucement contraint de vous inciter à lire ce livre et s'il vous convient , d'en faire autant . La lecture des 12 pages du prologue vous diront à peu de peine si le livre , entre vos mains , vaudra la peine que vous en poursuiviez la lecture . La première de couverture ( illustrée avec le tableau " il quarto stato " de Guiseppe Pelizza da Volpedo , s'il vous attire l’œil attisera votre appétence . Enfin , si le goût de l'histoire , la véritable , pas celle des " vainqueurs " vous tente , l'affaire est dite .
La citation de Péguy : " L'idéal c'est quand on peut mourir pour ses idées , la politique , c'est quand on peut en vivre " , illustre clairement l'engagement libertaire et donne raison à la critique de Crazynath . Il est tout de même , convenons-en , préférable de survivre à ses idées ..... ne serait-ce parce que se réalisera sans doute , l'utopie ou une de ses heureuses variantes , rêvons-en pour nous ou souhaitons-le pour les prochaines générations ..... " Nous aurons tout dans dix mille ans " disait dans un excès de pessimisme Ferré la mauvaise graine .
Les meilleurs livres ont quelques fois des imperfections et celles qui me viennent à l'esprit sont le peu de mots , voire les silences à propos de certains contemporains de l'histoire , tels qu'Emma Goldman , Louis Lecoin , et d'autres figures de l'anarchisme et de trop nombreuses lignes consacrées à des vauriens tels que Doriot et autres traîtres à la cause du communisme-libertaire ; Traîtres est le juste mot car si se tromper est permis , tromper les autres est moins glorieux . Ragon , relativise cela , il montre mais sans condamner , nous laissant juges de le faire ou pas et à l'instar d'Ivo Andric semble avoir semblable pitié envers ceux qui font le mal comme envers ceux qui le subissent .
Veuillez me pardonner d'une si longue critique ( dont je ne suis pas coutumier ) et si vous n'aimiez pas ce livre , je reçois volontiers les griefs , donc ne vous en privez-pas .
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"Y en a pas un sur cent, et pourtant ils existent, la plupart fils de rien ou bien fils de si peu, qu'on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux -les anarchistes !" chantait Ferré, et c'est ce qu'illustre cette épopée de l'anarchisme en France, de la bande à Bonnot à Mai 68.
Ce roman est une biographie de Fred Barthélémy (personnage fictif), gamin de Paris qui va traverser l'Europe et le XXe siècle au gré des révolutions. Fervent anarchiste, il va croiser les grands noms de l'Histoire, de Moscou à Barcelone, mais également les écrivains et peintres de l'entre-deux-guerres.
J'ai adoré ce roman, qui fourmille d'informations sur le mouvement anarchiste, son idéologie et ses principaux représentants, et propose une interprétation libertaire de l'Histoire. Et même si cette interprétation diverge parfois de la mienne, j'ai apprécié l'enrichissement qu'elle m'offre.
Mais ce roman décrit également la France ouvrière de la première moitié du XXe siècle, entre l'usine, les bals, les dimanches en famille, et pose la question du militantisme quand on n'est pas un professionnel de la politique, mais que l'on rêve d'autogestion et de liberté.
Nul besoin d'avoir des connaissances approfondies en Histoire pour plonger dans ce livre, tant l'écriture de
Michel Ragon est didactique sans jamais être pesante : on apprend à chaque page. Et difficile de lâcher ce récit qui, bien que sobre, vibre de sincérité, et nous place du côté des perdants de l'Histoire -pourtant initiateurs de quelques uns plus grands événements du XXe siècle, mais promptement effacés de la mémoire collective. L'auteur rend donc un hommage passionné et passionnant à tous ces anars qui "ont tout ramassé, des beignes et des pavés, (qui) ont gueulé si fort qu'ils peuvent gueuler encore, (qui) ont le coeur devant et leurs rêves au mitan, et puis l'âme toute rongée par des foutues idées" (
Léo Ferré).
Un roman hautement recommandable, pour qui souhaite s'ouvrir un peu plus l'esprit, et préserver et transmettre cette mémoire des si beaux vaincus.
Salut et fraternité.
Et très grand merci à Hulot pour m'avoir fait découvrir ce livre.
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Je vais te raconter une histoire, dit Igor. Une histoire que j'ai vécue. Une histoire que les historiens de la Révolution ne retiendront pas car elle leur paraîtra immorale, absurde, anti-historique, quoi ! Juste après Octobre, dans les jours qui suivirent immédiatement, la Révolution faillit périr. Oui, elle a failli périr, noyée dans l'alcool. [...]
Il est bien normal que les insurgés fêtent leur victoire, qu'ils se détendent les nerfs en buvant un bon coup. Seulement, tout le reste de la population suivit. Il y a toujours plus de badauds que de combattants, dans une révolution, mais lorsqu'il s'agit de triompher, tout le monde veut en être. Une orgie sauvage déferla sur Petrograd. [...]
Kerenski chassé, les derniers débris du tsarisme enfuis, toute la pauvreté de la ville se révéla. Tous les pauvres, tous les infirmes, tous les vagabonds, comme des cloportes, déboulèrent des ruines, se ruèrent vers les caves du palais d'Hiver, en tirèrent les bouteilles, se saoulèrent à mort sur place. Les soldats que Trotski envoya pour les déloger, leur arrachèrent les bouteilles des mains, mais au lieu de les détruire, ils crurent plus simple de se les vider dans le gosier. Ce fut le commencement de l'enivrement général qui gagna toute l'armée. Le régiment Préobrajenski, le plus discipliné, dépêché pour rétablir l'ordre, ne résista pas à la contagion. Les caves du palais d'Hiver accumulaient tant de vins et de spiritueux que les soldats n'arrivaient pas à l'éponger. Le régiment Pavloski, rempart révolutionnaire entre tous, vint à la rescousse et tomba lui aussi le nez dans le ruisseau. Que dis-je, le ruisseau ! De rivière, l'alcool devenait fleuve. Les gardes rouges eux-mêmes glissaient dans l'orgie. On lança les brigades blindées pour disperser la foule. Elles entrèrent dans le tas, cassèrent quelques jéroboams et, finalement, les blindés se mirent à zigzaguer et à défoncer les murs des celliers et des cafés aux volets clos. J'assistais, atterré, à cet effondrement de la Révolution. Si Kerenski avait alors osé revenir, si les généraux blancs avaient su dans quel état se trouvaient les insurgés dans les semaines qui suivirent la prise du palais d'Hiver, la Révolution était balayée en un tour de main. Mais eux aussi, peut-être, sans doutes, noyaient dans la vodka leur défaite. Nous étions seulement quelques camarades obstinément à jeun qui essayions de colmater les brèches. On clouait des barricades devant les bistrots et les caves. Les soldats escaladaient les maisons par les fenêtres. Markine, ancien matelot de la Baltique, entreprit de détruire à lui seul, sans boire une seule gorgée d'alcool, tous les dépôts du palais d'Hiver. Chaussé de hautes bottes, il s'enfonçait dans un flot de vin, jusqu'aux genoux. Des tonneaux qu'il éventrait, le vin giclait en ruisseaux qui s'écoulaient hors du palais, imprégnant la neige, vers la Neva. Les ivrognes se précipitaient vers ces traînées rouges, lampaient à même dans les rigoles. Non seulement la garnison de Petrograd, qui joua un rôle si déterminant dans les révolutions de février et d'octobre, se désintégra et disparut dans cette beuverie énorme, mais la contagion éthylique gagna ensuite la province. Des trains qui transportaient du vin et des liqueurs étaient pris d'assaut par les soldats. La vieille armée russe ne s'effondra pas sous la ruée des Autrichiens et des Prussiens, elle se délita dans les vapeurs d'alcool. Si Trotski s'acharna à vouloir signer la paix à Brest-Litovsk, c'est qu'il savait que l'armée russe n'existait plus. L'armée russe était saoule. L'armée russe s'était noyée dans une orgie inimaginable. Trotski a bluffé à Brest-Litovsk en proposant aux Allemands de démobiliser les troupes russes. Elles s'étaient démobilisées elles-mêmes.
Maintenant, tous les soirs, une fois Mariette couchée, Fred posait un cahier d'écolier sur un coin de la table de la cuisine et écrivait ; décrivait tout ce qu'il avait vécu en Russie, l'enthousiasme des premières années de la Révolution, le désenchantement qui suivit, la mise en place de l'appareillage habituel de l'État, la bureaucratisation, la militarisation, l'univers carcéral, les rivalités entre les chefs du Politburo, l'éviction de l'opposition. Il se souvenait que Vergniaud, le leader des Girondins, avait dit de la Révolution française lorsqu'elle devint Terreur : «Saturne dévorant ses enfants». Il voulait intituler ainsi son livre. La Révolution russe, c'était également Saturne dévorant ses fils. L'ogre bolchevik, après avoir avalé goulûment tous ses adversaires, dévorait maintenant ceux qui l'avaient fait ogre. L’ogre s'autodévorait.
Claudine, perplexe, regardait Fred qui écrivait. Il lui avait affirmé qu'il rédigeait une sorte de rapport qui servirait à prendre certaines décisions politiques. Claudine rétorqua qu’elle ne comprenait pas quel exposé il pouvait bien concevoir, lui qui ne frayait avec personne. Fred répliqua que, justement, il s'absenterait pendant quelques jours et qu'elle ne devrait pas s'inquiéter. Durruti et lui projetaient en effet de rencontrer en Allemagne Erich Mühsam.
Pourquoi cette Allemagne, qui devait être le pivot de la révolution mondiale ne bougeait-elle pas ? Durruti savait que Mühsam conservait la confiance des anarchistes allemands et il voulait établir une liaison avec eux. Comme Fred Barthélemy connaissait bien Mühsam, il était indispensable qu'il participe au voyage.
Durruti et Fred préparèrent leur escapade avec une grande exaltation. Fred trouvait en Durruti un camarade à peu près de son âge. Au contraire de Makhno, qu'ils admiraient d'ailleurs tous les deux, mais dont ils constataient l'inéluctable déclin, ils se sentaient sur un tremplin, prêts à bondir. Ni l'un ni l'autre ne savaient où, mais ils pressentaient qu'un jour ils feraient un grand saut.
Erich Mühsam jouissait en Allemagne d'un prestige exceptionnel dû à la fois à sa responsabilité de membre du Conseil central de la première République de Bavière, en 1919, et à son succès d'écrivain. Poète, essayiste, dramaturge, son style acerbe et son humour avaient rendu célèbre cet homme qui venait d'avoir cinquante ans, l'aîné donc de vingt ans de Barthélemy et de Durruti.
Mühsam comprenait bien que les bolcheviks l'avaient abusé. En même temps, il s'effrayait à l'idée de décrocher totalement du parti communiste allemand, demeuré très fort, qui lui paraissait le seul rempart sûr contre la montée d'une nouvelle Ligue prolétarienne qui l'inquiétait beaucoup plus que l'éviction, en Russie, de Trotski et de Zinoviev.
Ni Durruti, ni Alfred Barthélemy, n'avaient entendu parler de ce parti national-socialiste des ouvriers allemands, pas plus que de son chef, Adolf Hitler.
— Hitler, dit Mühsam, ne paye pas de mine avec son vieil imperméable et son chapeau cabossé. Mais qu'on ne s'y trompe pas, il porte l'uniforme des chômeurs. Hitler s'identifie à eux et eux croient qu'il les représente. Cet Hitler est un acteur et un metteur en scène qui ne laisse rien au hasard. Depuis dix ans, dans l'ombre, il prépare sa représentation. Il a déjà créé son drapeau (rouge, bien sûr) avec une croix gammée noire ; ses troupes de choc, les S.A., avec des chemises brunes qui singent les chemises noires de Mussolini.
— Trotski aussi était un grand metteur en scène et un prodigieux acteur, dit Fred. Il n'empêche que sa pièce a fait un four et que le rideau lui est tombé sur la tête.
— Mais non, sa pièce n'a pas fait un four, répliqua Mühsam. Staline la joue maintenant à bureaux fermés. Il récupère tout : l'armée rouge, la Tchéka devenue Guépéou, la bureaucratie, le parti unique. Staline couche avec ses bottes dans le lit que lui a borde Trotski.
— Staline, dit Durruti, c'est la victoire des bureaucrates sur les idéologues.
— Pas si simple, reprit Fred. Du temps de Lénine, Staline se moquait du bureaucrate Trotski. C'est Trotski et Zinoviev qui ont bureaucratisé le bolchevisme. Staline n'est qu'un héritier. Ton Hitler ne me paraît qu'une pâle imitation de Mussolini, lui-même pitoyable matamore. Le danger n'est pas là. Je suis bien placé pour savoir que la pieuvre Komintern étend ses tentacules sur toute l'Europe. Si nous ne réagissons pas, nous serons étranglés. Proclamons partout que l'avenir de la révolution n'est plus en Russie, que la Russie bafoue la révolution. L'avenir de la révolution se trouve en Espagne, avec Pestaña.
— Oui, appuya Durruti. Nous venons pour que tu comprennes bien ça, pour que tu abandonnes l'idée que la Russie représente encore un espoir. En Espagne, les anarchistes sont majoritaires et il n'y existe qu'un seul parti communiste important, adversaire de celui de Moscou et avec lequel nous pouvons donc travailler.
Cette foule recueillie , cette foule endeuillée , cette foule grave , venue rendre un dernier hommage à Kropotkine , ne savait pas qu'elle assistait aux obsèques de l'anarchie . Pas seulement aux obsèques du dernier des grands théoriciens libertaires , mais aux obsèques de l'anarchie elle-même . A partir du moment où Kropotkine fut enfoui dans la terre du cimetière Novodiévitchi , la répression contre les anarchistes , jusque-là non avouée en Russie , jusque-là presque clandestine , s'accéléra , devint pratiquement officielle . ( Les mêmes faits , avec la même analyse sont relatés par Emma Goldman dans " Épopée d'une anarchiste " ) . En réalité , l'anarchie fut tolérée par les bolchéviks tant qu'elle demeura théorique . Mais dès que le peuple russe , fatigué par les privations , déconcerté par la lenteur du processus révolutionnaire , exaspéré par une bureaucratie aussi corrompue et inefficace que celle de l'Ancien Régime , meurtri par la guerre civile , effrayé par l'omnipotence de la police politique , dès que ce peuple , que cette base , se mit en marche , derrière le cercueil de Kropotkine d'abord , puis dévala en flots menaçants dans les usines , dans les campagnes , décidant d'appliquer l'anarchie dans la vie quotidienne , la panique courut dans les bureaux du Kremlin . Le 1er mars 1921 , une nouvelle incroyable arriva sur la table de travail de Lénine : seize mille marins , soldats et ouvriers de Cronstadt déclaraient la guerre au gouvernement bolchevik et cela au nom de l'authenticité soviétique . Cronstadt , dont Trotski avait été le président du premier soviet en 1917 , Cronstadt dont les marins avaient bombardé le palais d'Hiver et assuré la victoire de l'insurrection d'Octobre , Cronstadt que Trotski appelait " l'honneur de la révolution " , voilà que cette île-forteresse du golfe de Finlande demandait des comptes à ceux qu'elle avait hissés au pouvoir ......
— A quoi ça sert, tous ces bouquins ? demanda Flora d'un air dégoûté.
— Regardez les enfants, dit Valet. A droite, vous avez les romans et la poésie. A gauche, le social, la politique. D'un côté le rêve, de l'autre côté l'action, Quand vous posséderez les deux, vous pourrez conquérir le monde.
— Allons Valet, ne t'emballe pas, dit le libraire, Les choses sont plus complexes, Les romans, c'est aussi de l'action sociale et la politique, c'est aussi du rêve. Quant à conquérir le monde, qu'en ferais-tu ? C'est la conquête de soi-même, qui importe.
Page 38, Livre de poche.
« On supprimera l’ Âme
Au nom de la Raison
Puis on supprimera la raison.
On supprimera la Charité
Au nom de la Justice
Puis on supprimera la justice.
On supprimera l’Esprit
Au nom de la Matière
Puis on supprimera la matière.
Au nom de rien on supprimera l’Homme ;
On supprimera le nom de l’ Homme ;
Il n’ aura plus de nom.
Nous y sommes. «
Armand ROBIN
Les Poèmes indésirables, 1945
- "Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes. Volume 1, 2 et 3", Michel Ragon, Points https://www.librest.com/livres/histoire-de-l-architecture-et-de-l-urbanisme-modernes--volume-1-ideologies-et-pionniers--1800-1910-michel-ragon_0-2712854_9782757814796.html?ctx=6131117a2919d5d1ed4c78e297996c36
- "La mémoire des vaincus", Michel Ragon, le livre de poche https://www.librest.com/livres/la-memoire-des-vaincus-michel-ragon_0-841261_9782253059509.html?ctx=c861d676e5f970f74a9de2ea7154ff7d
- "Les visionnaires - DVD", Julien Donada, Petit à Petit production
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