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EAN : 9782246351634
144 pages
Grasset (18/04/2002)
4.05/5   130 notes
Résumé :
L'amour qui se plaît à unir les contraires jette l'un vers l'autre Aline, la sage jeune fille, et Julien Damon, le coq du village.>

Elle vient d’une famille modeste, il est le fils de paysans riches. Elle vit une véritable idylle, il ne cherche qu’à apaiser sa faim. De l’histoire d’une jeune fille séduite par un coq de village et abandonnée lorsqu’elle est enceinte, Charles-Ferdinand Ramuz a réalisé un véritable petit chef-d’œuvre, où la présence de l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
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Je ne vais pas aller par quatre lacets de montagne, j'ai beaucoup aimé cette histoire.
Je ne suis pas forcément très objectif. Tout d'abord, Aline est un récit de Charles-Ferdinand Ramuz, auteur que j'affectionne depuis que je l'ai découvert il y a quelques mois. Ensuite il s'agit du premier roman de Charles-Ferdinand Ramuz. Enfin, c'est une belle et tragique histoire à faire pleurer dans les chaumières. Ça c'est pour le côté subjectif. Maintenant, oubliez ce que je viens de vous dire, approchez un peu que je vous dise d'autres choses encore...
Aline est un roman porté par un texte qui paraît simple à première vue. À bien des égards, il vous rappellera des histoires romanesques déjà lues. Et s'il faut puiser dans le registre classique, j'ai aussitôt pensé à certains récits d'Émile Zola dans l'oeuvre des Rougon-Macquart, notamment La joie de vivre, le rêve ou Une page d'amour, qui n'étaient pourtant pas des volumes majeurs de cette saga. Parfois même on ironisait en disant que Zola avait besoin de se reposer après des histoires fortes comme L'Assommoir ou La Terre ou avant d'aborder Germinal.
Aline, c'est une histoire d'amour qui commence bien et qui finit mal. Aline est belle et pauvre, sans expérience. Lui, il s'appelle Julien, c'est un jeune homme issu d'une famille riche et d'emblée il se présente comme un être médiocre, séducteur, entreprenant, peu respectueux de cette jeune fille naïve et sincère, Aline, qu'il courtise, comme un premier amour.
C'est une histoire secrète, une histoire clandestine, une histoire de jeunesse abîmée... Une histoire ordinaire et triste, hélas, comme tant d'autres dans la vraie vie et celle qui nous est racontée dans les romans.
C'est une histoire comme tant d'autres et on pourrait se dire à l'avance, allez ce n'est pas pour moi ou bien, je ne vais pas me faire avoir par cette romance sans intérêt...
D'une apparente simplicité, ce récit nous invite vers d'autres chemins bien plus vertigineux. J'ai senti déjà dans le style de ces premiers pas, de ces premiers mots, le frémissement d'une promesse accomplie bien plus tard dans les récits merveilleux de Charles-Ferdinand-Ramuz qui suivront et qui m'ont enchanté. Comme c'est magnifique lorsqu'une promesse est tenue !
C'est la beauté tragique des coeurs fragiles, épris d'espérance, ballotés par les désillusions qui viennent si vite, qui viennent trop vite, les rebuffades, la vie d'une jeune fille comme cela au printemps de sa vie, qui se heurte aux forces vitales de la nature, au silence et à la grandeur de la montagne...
Le récit est presque banal, mais la manière de poser les mots l'est moins. Il y a leur justesse, la manière de dire ce qui porte les illusions d'une jeune fille et broie dans l'instant d'après son petit coeur innocent, sans défense.
La manière d'écrire de Charles-Ferdinand Ramuz nous entraîne dans l'empathie de ce personnage d'Aline. le petit monde paysan et montagnard qui enrobe l'histoire a sans doute un rôle à jouer aussi.
Et puis, mine de rien, Aline finalement est un personnage de la transgression à son époque, ou à celle où est écrit le roman. Elle s'éloigne des conventions traditionnelles, elle est happée par cet amour rencontré. Elle est la femme pure qui tente de transgresser, face à la supériorité d'un homme arrogant et superficiel...
J'ai vu dans ce texte un ton moderne avant l'heure, féministe presque, une façon d'éclairer les pas d'une jeune femme qui se sentait libre, mais parce qu'elle l'était de manière innocente, intrinsèquement.
La construction du roman est même très ordinaire, l'argumentation sociale aussi... C'est une tranche de vie banale, une sorte de témoignage. Mais alors...
Alors, j'ai été touché par quelque chose qui déroge presque de manière imperceptible à ce qui aurait pu se limiter à une romance triste. Ce roman possède sous ses mots une force indicible. Je vous invite à y venir.
Et puis Aline est un personnage touchant qui mérite notre lumière et notre compassion... À jamais...
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Une histoire simple, presque un cliché : une jeune fille naïve, jolie- et pauvre - se laisse séduire par un beau gars malin, égoïste - et riche. Elle s'en éprend et lui s'en lasse. Elle tombe enceinte, et c'est le drame.

Mais, pour Aline et Julien, Ramuz a mis son habit de fête : sa langue à nulle autre pareille, ses images fortes, sensorielles, cueillies dans le livre secret de la nature, et surtout cette étrange focale qui prend les personnages de loin mais les sonde au plus profond.

Un détachement empathique, une froideur poétique.

Un roman de jeunesse, mais déjà tout y est: promesses stylistiques, tragédie discrète du destin et main du malheur qui broie les coeurs sans défense, méchanceté du monde, solitude infinie des êtres et beauté insensible de la nature qui en creuse encore le vertige.

Un petit livre d'une apparente simplicité dans la nudité d'un sujet rebattu, mais qui laisse pantois. Du grand art!
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Ce court roman raconte l'histoire d'une passion naissante entre Aline et Julien. Aline, jeune femme naïve et sincère est prête à braver les interdits pour l'être aimé. Julien est plus aguerrit en amour, séducteur, entreprenant il est d'un tempérament peu scrupuleux. Ils vont vivre leur histoire amoureuse chacun à leur manière jusqu'à ce que la flamme faiblisse dans le coeur de Julien. Peu à peu délaissée, elle finira par lui révéler le fruit de leur relation en espérant une réaction honorable de sa part.

Ramuz, avec une écriture simple et directe décrit admirablement les sentiments passionnels dans tous leurs états. L'écriture est efficace, chaque mot a son importance et aucun n'est de trop. Il y dénonce la place de la femme dans la société occidentale du début du XXème siècle qui pouvait subir outrage et déshonneur tout en étant montrée du doigt. Ce roman dont le thème est peu original reste captivant et d'une étonnante clarté.
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1905 : naît une oeuvre merveilleuse par sa concision et la qualité de son chant : une oeuvre qui défie le temps.

Emigré de Lausanne, installé à Paris depuis 1902, Charles Ferdinand RAMUZ (dit "C.F." car il détestait entendre prononcer ou lire son "prénom d'archevêque") fréquentait les milieux littéraires, dont le salon d'Edouard Rod : ce dernier l'aidera à publier son premier roman, "Aline", en 1905, aux éditions Perrin.

"Aline" fut le prototype de tous les "romans-poèmes" qui suivront : on peut apprécier cette dense et touchante "petite histoire" très linéaire (scindée en 17 courts chapitres) comme une tragédie des gens dits "ordinaires" (à l'instar de cette argile humaine des "romans durs" de Simenon).

Et puis ? le labeur acharné que représenta - jour après jour - la rédaction de son "Aline" (Pas moins de cinq moutures successives, de mémoire, et ce sur trois années) fut pour Ramuz un véritable combat "avec ou contre" la Langue française qu'il voulait étreindre puis - sic - la laisser "se coucher à ses pieds" (Cf. son "Journal" de ces années-là). Une mystique. Comme l'Appel d'une véritable vocation... Et la première pierre du grand Orry ramuzien.

Se souvenir, maintenant : c'était il y a 20 ans, et j'avais prêté ce livre à un couple d'amis : leur fille, alors âgée de 14 ans, l'avait lu d'une traite, et beaucoup aimé - à ma grande surprise... (Ainsi, le monde intérieur et le style de Ramuz n'étaient donc pas si "vieillots" ?).

Je me souviens aussi de ce petit mot émouvant reçu de Julien GRACQ, à son sujet. Nous avions correspondu (brièvement) en l'espace de plusieurs années et je n'avais pas encore rencontré alors notre "dernier Romantique" dans son étonnante maison haute des bords de Loire : c'était quelques années avant sa propre disparition et je venais de découvrir l'oeuvre de Ramuz, comme toujours impatient de faire partager mes "Grandes Découvertes" à la terre entière... Monsieur Poirier me répondait avoir bien reçu l'exemplaire d' "Aline" (Cahiers Rouges, Grasset : gravure d'un chêne mort "friedrichien" illustrant la couverture) que je venais de lui adresser, m'en remerciait et disait ne pas connaître encore cette "oeuvre de jeunesse" du grand écrivain vaudois ; il semblait apprécier vraiment toute l'oeuvre de Ramuz qui (et je cite là ses mots) "n'avait pas son pareil pour peindre le destin en marche".

Il nous faut lire et relire, et surtout faire lire - à tous - "Aline" !

Et peut-être même convaincre un artiste authentique (suisse ?) de l'adapter au cinéma : faire revivre pour nous tous ses mystères, son sens aigu du Tragique (c'est-à-dire du "Tragique quotidien")...

Ce qu'a décrit Aristote dans sa "Poétique" : "mimesis" et "catharsis" aux forces conjuguées...

Tel l'Atlantide qu'on croyait perdue, tout un monde ancien resurgit sous nos yeux (ou dans nos coeurs) - et sa résurrection se trouve curieusement en mesure de "purger nos passions" : d'émouvoir son lecteur...

1905 : toujours si loin, si proche...
HOMERE, HESIODE, ESCHYLE, SOPHOCLE, VIRGILE... les alentours du Lac, les hauteurs du Valais...
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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Il est des écritures simples mais puissantes qui arrivent par leur évocation à vous transporter au coeur du récit. C'est bien ce que j'ai ressenti ici. J'étais dans le livre à écouter, à regarder, à ressentir. Quel charme et quel envoûtement surgissent de cette histoire ! Pourtant ici, pas de trucage, ni d'effets spéciaux, pas de pirouette ni de rebondissement inattendu : on sait ce qu'il va advenir de l'héroïne. Mais finement ferré, le lecteur se laisse mener jusqu'au drame. L'écriture est précise, les mots arrivent par petites touches et dessinent caractères et paysages avec netteté et clairvoyance. Pas d'atermoiement, juste un constat : celui de la vie. La vie simple des petites gens qui triment toute leur vie et aperçoivent parfois quelques éclaircies dans leur quotidien, vite troublées par l'avancée du temps.

Début XXe siècle. Canton suisse. C'est l'été et l'heure des moissons a sonné. C'est aussi le moment où la jeune Aline rencontre Julien, un ami d'enfance. Un moment volé au temps rythmé du dur labeur des champs et autres travaux. Une saison entre parenthèses pour la jeune Aline dont le coeur et les sens se troublent...

« Aline était comme un oiseau qui s'est bâti un nid : le vent souffle, le nid tombe. Elle voyait qu'elle n'avait pas bien connu le monde et tous les empêchements qu'il vous fait de s'aimer. On va où le coeur vous pousse, mais le coeur n'est pas le maître ; à peine si on s'est donné un ou deux baisers que c'en est déjà fini des baisers. »

Cette lecture rafraîchissante et émouvante à la fois, je la dois à Dourvach que je remercie infiniment. Ramuz est un auteur que je découvre avec délectation et grande envie de connaître un peu plus.
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Aline et Julien écoutaient de loin la musique. Elle leur arrivait nette ou presque indistincte, selon que la brise hésitante la poussait jusqu'à eux ou la laissait retomber. Elle sortait de l'ombre et elle était triste. [...] Ils se turent. A la fin d'un air, la musique cessait ; elle reprenait presque aussitôt ; et, pendant les silences, on entendait des éclats de voix et de gros rires.
– Ils ne s'ennuient pas, recommença Julien.
– On est encore mieux ici.
– Oui, seulement adieu la danse.
– Ecoute, dit Aline, si on en dansait une ; on entend assez la musique.
– Oh ! allons-y, si tu veux.
Elle dit :
– Je n'osais pas te le demander.
– Pourquoi pas ?
– Comme ça.
– Comme ça, dit-il, on sera du bal, nous aussi.
Ils dansèrent sous le grand poirier. Leurs haleines confondues leur échauffaient le visage. Aline fermait les yeux, la tête appuyée sur l'épaule de Julien ; leurs jambes se mêlaient. Parfois la musique faiblissait et ils piétinaient sur place ; quand elle recommençait, ils tournaient plus rapidement pour rattraper la mesure. Et toute la nuit tournait autour d'eux, avec le poirier, les collines, le bois, le ciel et les étoiles, comme dans une grande danse du monde.
Ils tournèrent ainsi longtemps. Mais Julien glissa sur l'herbe. Il se dit tout à coup que les autres dansaient sur un plancher avec de la lumière et de quoi boire, -- eux dans un pré mouillé, sous un arbre, comme des fous. Une espèce de colère lui entra dans le coeur.
– J'en ai assez !
– Déjà ?
– Déjà ? il y a un bon quart d'heure qu'on tourne.
Ils se regardérent, ils se voyaient à peine. Des noyers noirs et compacts comme des blocs de rocher fermaient la prairie.
Aline dit :
– Tu es fâché ?
– Oh, dit-il, c'est la fatigue.
Elle soupira. L'orchestre commençait la dernière valse.
Le vrai amour ne dure pas longtemps.

[C. F. RAMUZ, "Aline", 1905 - finale du chapitre VI]
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Julien Damon rentrait de faucher. Il faisait une grande chaleur. Le ciel était comme de la tôle peinte, l’air ne bougeait pas. On voyait, l’un à côté de l’autre, les carrés blanchissants de l’avoine et les carrés blonds du froment ; plus loin, les vergers entouraient le village avec ses toits rouges et ses toits bruns ; et puis des bourdons passaient.

Il était midi. C’est l’heure où les petites grenouilles souffrent au creux des mottes, à cause du soleil qui a bu la rosée, et leur gorge lisse saute vite. Il y a sur les talus une odeur de corne brûlée.

Lorsque Julien passait près des buissons, les moineaux s’envolaient de dedans tous ensemble, comme une pierre qui éclate. Il allait tranquillement, ayant chaud, et aussi parce que son humeur était de ne pas se presser. Il fumait un bout de cigare et laissait sa tête pendre entre ses épaules carrées. Parfois, il s’arrêtait sous un arbre ; alors l’ombre entrait par sa chemise ouverte ; puis, relevant son chapeau, il s’essuyait le front avec son bras ; et, quand il ressortait au soleil, sa faux brillait tout à coup comme une flamme. Il reprenait son pas égal. Il ne regardait pas autour de lui, connaissant toute chose et jusqu’aux pierres du chemin dans cette campagne où rien ne change, sinon les saisons qui s’y marquent par les foins qui mûrissent ou les feuilles qui tombent. Et il songeait seulement que le dîner devait être prêt et qu’il avait faim.
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Ils riaient. Une fois, elle se mit à pleurer. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il dit:
- Qu'as-tu?
Elle répondit:
- Je ne sais pas
- Est-ce que je t'ai fait du chagrin.
- Ho! non.
- Alors quoi?
- C'est parce que je t'aime.
Mais l'idée de Julien était qu'on n'avait pas besoin de pleurer parce qu'on aime. On n'a qu'à se prendre et s'embrasser. Les femmes n'ont pas la tête bien solide. Elles pleurent pour le bonheur, elles pleurent pour le malheur. Il voyait qu'Aline n'était pas faite comme lui. Il eut un peu pitié d'elle.
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Quand Aline vit son malheur, elle n'y voulut pas croire. C'est ainsi que les petites filles qui ont peur de la nuit se cachent sous les couvertures. Elle s'était accrochée à tous les petits espoirs qu'il y avait sous sa main ; ils avaient cassé l'un après l'autre comme des branches sèches. On n'a pas même le temps de bien s'aimer ; le temps de s'aimer est comme un éclair...

 À la fontaine, les laveuses lavaient le linge. Elles frottaient des deux mains sur la planche lisse, le savon faisait sa mousse, et l'eau était bleue et douce d'odeur. On a beaucoup d'ouvrage le matin. Une femme s'en revenait de la boutique avec une livre de sucre. Une autre balayait devant sa porte. Une grande fille menait un bébé par la main. On entendait le menuisier raboter dans sa boutique. Il faisait un petit temps gris un peu frais, et il soufflait un rien de bise. Le ciel avait des nuages blancs tout ronds qui se touchaient comme les pavés devant les écuries. Les vaches dans les champs branlaient leurs sonnailles de tous les côtés.

   Et une des laveuses, dit en rinçant le linge :
   - C'est le treize aujourd'hui.
   - Non, dit une autre, c'est le quatorze.
   - Tant mieux
   - Moi, reprit une troisième, moi je vous dis que c'est le treize.
   À ce moment Aline passa. Elles s'arrêtèrent toutes de causer.
   Julien coupait du bois près de la porte de la grange, derrière la maison. Des pigeons roucoulaient sur le bord du toit. À gauche, le verger rejoignait la campagne. On voyait par le trou des branches les pommes rouges d'un pommier tardif. Les autres n'avaient plus de fruits et presque plus de feuilles. Julien travaillait sans se presser, étant chez lui. Il avait ôté son gilet, parce que le mouvement donne chaud. Sa hache montait et retombait ; à chaque coup, il fendait une bûche. Et, quand Aline arriva, il resta une bonne minute comme il était, sa hache à la main.
   Un pigeon s'envola au-dessus de leurs têtes. Julien ouvrit la bouche comme pour parler, mais il ne dit rien. Elle non plus ne dit rien au commencement, mais ensuite les paroles lui vinrent aux lèvres comme l'eau dans une pompe ; elles jaillirent toutes à la fois.
   Tu ne sais pas, dit-elle, je voudrais bien que non... seulement... oui, c'est la vérité. Je n'étais pas sûre... C'est la première fois... Et puis il a bien fallu, n'est-ce pas ? Et puisque c'est toi, il valait mieux que je te dise tout de suite...
   Elle parlait en tâtonnant avec ses mots comme une aveugle avec ses mains. Elle tordait entre ses doigts les attaches de son tablier. Elle avait les pommettes rouges comme deux petits feux allumés. Elle avait un corsage de toile bleue, une vieille jupe brune.
   Julien dit :
   - Quoi ?
   Elle montra son ventre.
   Un second pigeon s'envola, Julien dit :
   - Charrette !
   Son coup s'enfonça dans sa nuque ; il avança la tête, comme un bélier qui va corner ; il se retint pourtant, pensant qu'Aline mentait peut-être ; il dit encore :
   - Tu es folle !
   Elle ne répondit pas.
   Il dit :
   - En es-tu sûre ?
   - Oh !  oui.
   - Sûre ? Sûre ?
   - Oh ! oui.
   Alors, il avança de nouveau la tête, et dit : 
   - Eh bien, tu n'es qu'une grosse bête ; ça ne ma regarde plus.
   Et, jetant sa hache, il s'en alla...
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Bientôt les vents de mars s'élancèrent d'au-delà les montagnes, bondissant par-dessus le lac qu'ils ont remué en passant. Alourdis d'eau, ils vinrent heurter les nuages dans un grand choc qui fendit le ciel; le ciel croula avec un grand bruit. Le soleil éclata, les primevères fleurirent.
Il y a comme une voix qui encourage à vivre à cet endroit de l'année. Elle est dans l'oiseau qui crie, dans le jour, dans les bourgeons qui se gonflent. Le printemps saute sur un pied par les chemins. On voit les vieux qui viennent sur le pas de leur porte, ils hument l'air comme un qui a soif, ils font trois pas dans le jardin.
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Vidéo de Charles-Ferdinand Ramuz
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix autour du livre : Farinet ou la fausse monnaie de Charles Ferdinand Ramuz enregistré le 20 juillet 2023 en présence de Gérard Comby (membre de l'Office tourisme de Saillon & de la Commission du Patrimoine)
Résumé : Un généreux Robin des bois, roi de l'évasion, porté par la plume de C. F. Ramuz.
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombreuses reprises. Ce héros populaire à la vie romanesque et rocambolesque meurt à 35 ans, en 1880. Cinquante ans plus tard, Ramuz s'empare du personnage et en fait le héros d'un récit classique, haletant comme un roman d'aventure, mais porté par son style unique : irruption du présent au milieu d'une phrase, mélange des temps qui rend le présent dense et incandescent, langue vaudoise aux accents paysans transfigurée par une écriture singulière, moderniste, au confluent des révolutions artistiques du XXe siècle (il est passionné par Cézanne et Stravinsky). Farinet se serait caché un temps au fond de la vallée de Chamonix, dans une grotte au-dessus de Vallorcine. Un petit mémorial y est installé. Ce roman est paru pour la première fois en 1932.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.

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