Sur le front du nord de la France et des Flandres, la guerre fait rage en 1917. Paul Bäumer et ses camarades de lycée, Kropp, Müller, Kammerich, Leer, Behm ont cédé à l
a pression exercée par leur professeur Kantarek et se sont engagés.
Après une période d'instruction auprès du caporal Himmelstoss, facteur dans le civil, sadique et qui a tout du petit chef mesquin, ils se retrouvent affectés à la 2ème compagnie.
Paul, jeune homme gentil et empathique, se lie à d'autres soldats, Katczinsky, père de famille débrouillard d'une quarantaine d'années, Tjaden, à peine plus âgé que les lycéens, Detering, un agriculteur qui a le mal du pays ou encore Westhus, un grand costaud. Ensemble ils se trouvent plongés dans l'horreur des champs de bataille d'une guerre qui inaugure le XXème siècle comme celui de la brutalité de masse.
Entre les longs temps d'attente de l'offensive, épuisants physiquement et moralement, et le temps relativement bref de l'attaque d'une intensité inouïe qui marque durablement les corps et les esprits des soldats survivants, Paul Bäumer raconte la la guerre : quand il rentre du front
après une offensive particulièrement meurtrière pour profiter d'un peu de repos et d'une nourriture abondante car l'intendance n'avait pas prévu une telle hécatombe et que la mort d'un camarade de classe ne suscite guère autre chose que la préoccupation de savoir qui va hériter de ses bottes ; quand il retourne au front pour poser des barbelés et qu'il décrit les bombardements, les obus qui sifflent, les gaz qui se répandent insidieusement, les mitrailleuses qui sèment la mort et le chaos, les explosions dévastatrices, les rats, la vermine, la boue et le sang dans les tranchées, les jeunes recrues sans expérience qui sont massacrées et qu'il ne reste à la fin que 32 hommes sur 150 ; quand, lors d'une permission, il rentre chez lui pour trouver sa mère qui souffre d'un cancer et une population qui n'est pas en capacité de comprendre ce qui se passe vraiment au front et les horreurs indicibles qu'il a vécues et face à laquelle il se sent en complet décalage ; quand il éprouve de la compassion pour les prisonniers russes qu'il garde avant de retourner se battre en première ligne et la désolation profonde lors de la visite d'apparat du Kaiser ; quand au fond d'un trou d'obus, il poignarde un soldat ennemi et reste des heures entières à ses côtés alors qu'il agonise ; quand il est lui-même blessé et soigné dans un hôpital catholique ou certains médecins ne se privent pas de faire des expérimentations sur leur patients ; quand le temps devient relatif et ne se compte plus en jours, en semaines mais en saison et en fonction du temps passé au front, où il n'y a plus qu'une idée fixe : survivre ! Est-ce seulement souhaitable dans ce monde où la violence et la mort sont aussi communes qu'un cas cas de grippe ? Et dans lequel les survivants de cette génération perdue sont brisés, épuisés, sans racines et sans espoir ?
Erich Maria Remarque a publié "à l'ouest rien de nouveau" en 1929. Roman témoignage, autobiographique, initiatique et d'apprentissage, il a été brûlé lors des autodafés du régime nazi en 1933 et son auteur a été obligé de fuir son pays avant d'être déchu de la nationalité allemande.
Déjà quelques années auparavant, des écrivains français comme
Roland Dorgelès avec "
Les Croix de bois" ou
Henri Barbusse, auteur du roman intitulé "Le Feu" avaient évoqué la Grande Guerre et ses atrocités. Vue du côté allemand, elle ne parait pas plus belle ni plus romantique. Jusqu'
à présent, la vision idéalisée
de la guerre mettait en avant la gloire et l'héroïsme des soldats. Avec "à l'ouest rien de nouveau", l'auteur propose une vision non romantique
de la guerre, celle d'une génération sacrifiée sur l'autel du nationalisme, idéologie creuse et hypocrite qui s'est exacerbée tout au long du XIXème siècle et dont se servent ceux qui sont au pouvoir pour contrôler les populations. Il y souligne les horreurs vécues au front et dénonce les abominations et l'absurdité du conflit pour nous livrer un roman pacifiste, d'un réalisme cru et bouleversant, au style gouverné par un ton amer et désillusioné empli de fatalisme pessimiste. Il n'en fallait pas moins pour aborder les thèmes graves et sombres des atrocités et de l'absurdité
de la guerre et les traces indélébiles, cicatrices aussi bien physiques que mentales qui vont marquer à jamais les survivants de cette folle boucherie.
Cette vision nouvelle s'impose car ce conflit innove en matière d'avancées technologiques meurtrières, les tranchées, les mitrailleuses, les gaz, les tanks et les avions, et par les niveaux jamais atteints de carnage et de violence qui produisent sur les soldats non pas la crainte ou la peur mais bien de la terreur et une profonde angoissa qui engendre un état affectif d'appréhension psychologique et des troubles physiques que l'auteur dramatise parfaitement, durant les phases d'attente de l'attaque alors que celle-ci proprement dite transforme les hommes en bêtes et voit l'instinct de survie s'emparer des corps et des consciences, unissant les deux avec une force quasi animale. L'accalmie
après la bataille produit quant à elle un profond sentiment de vacuité chez les soldats épuisés et anéantis. Aucune lueur d'espoir pour ces hommes malgré la beauté, l'émotion et la poésie qui se dégagent de certains passages car ils sont la génération perdue et sacrifiée pour des idéaux et une cause qui ne sont pas les leurs. L'absurdité
de la guerre devient alors une évidence pour ces soldats, simple chair à canon, pleins d'incompréhension et de questionnements sur ce conflit qui les empêchent d'imaginer la vie d'
après et de croire en l'avenir car pour celui qui fait la guerre, aucune justification ne peut s'imposer. Les déclarations philosophiques sur la guerre, de
Clausewitz à Rousseau, de Machiavel à
Saint Thomas d'Aquin qui peuvent présenter la guerre comme juste si elle est nécessaire ou si sa cause poursuit le bien commun, ne sont jamais pertinentes pour ceux qui sont décimés et confrontés au feu, à la glace, à la faim, aux poux et aux rats,
mélangés dans le sang, l'urine et la boue. La guerre les rend simplement inaptes à l'amour, au travail, à la création artistique. Elle anéantit la raison, la foi et les valeurs sur lesquelles on pouvait s'appuyer pour bâtir sa vie. Pour l'auteur, de cette génération, celle qui n'a pas eu le temps de vivre avant et qui ne pourra pas vivre le temps d'
après, il sortira ceux qui diront "plus jamais ça", les pacifistes et les humanistes et ceux qui ne rêveront que de revanche. On sait malheureusement qui a imposé son point de vue.
Bien que ce roman atemporel présente la guerre comme inhumaine, force est pourtant de constater que seuls les hommes se livrent à de telles barbaries et la multiplicité des conflits suivants, la Seconde Guerre Mondiale, les guerres de décolonisation, les grands conflits actuels Russie Ukraine, Israël Hamas, montrent que l'espèce humaine a du mal à tirer les leçons de l'Histoire et que la citation de
Paul Valéry selon laquelle "la guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas" est toujours d'actualité.