Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action : voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l'objet qui frappe le premier. C'est pourquoi tous les peuples, abandonnant l'ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie des mots l'exigeaient ; et l'inversion a prévalu sur la terre, parce que l'homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la raison. Le français, par un privilège unique, est seul resté fidèle à l'ordre direct, comme s'il était tout raison, et on a beau par les mouvements les plus variés et toutes les ressources du style, déguiser cet ordre, il faut toujours qu'il existe ; et c'est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l'ordre des sensations : la syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas français ; ce qui n'est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin.
Les enfants, avant de connaître la signification des mots, leur trouvent à chacun une variété de physionomie qui les frappe et qui aide bien la mémoire. Cependant, à mesure que leur esprit plus formé sent mieux la valeur des mots, cette distinction de physionomie s'efface ; ils se familiarisent avec les sons et ne s'occupent guère que du sens. Tel est le commun des hommes. Mais l'homme né poète revient sur ces premières sensations dès que le talent se développe ; il fait une seconde digestion des mots ; il en recherche les premières saveurs, et c'est des effets sentis de leur diverse harmonie qu'il compose son dictionnaire poétique.
La belle-fille de Buffon déshonorait un époux fort épris et s'en moquait ouvertement. À un dîner de famille, elle demande à son beau-père : "Vous qui avez si bien observé, comment expliquez-vous que ceux qui nous aiment le plus soient ceux que nous aimons le moins ?
Le célèbre naturaliste se contenta de répondre : - Je n'en suis pas encore au chapitre des monstres.
Les hommes naissent nus et vivent habillés, comme ils naissent indépendants et vivent sous les lois. Les habits gênent un peu les mouvements du corps, mais ils le protègent contre les accidents du dehors : les lois gênent les passions, mais elles défendent l'honneur, la vie et les fortunes.
Celui dont les idées sortent des routes communes, qui joint l'extraordinaire à la rapidité ; celui qui en un mot déplace les idées de ceux qui l'écoutent et leur communique ses mouvements, celui-là passe pour avoir de l'esprit. Que ses idées soient justes ou non, exprimées avec goût ou sans goût, n'importe ; il a remué ses auditeurs, il a de l'esprit.