Il est des attirances qui ne s'expliquent pas… en tout cas, pas sans une sérieuse réflexion: pour les pays que l'on aimerait visiter, des cultures qu'on souhaiterait découvrir… La Russie, l'URSS, la Fédération de Russie, appelez-la comme vous voulez, m'a toujours fascinée.
Et quand une 4ème de couv' comme celle d'
Enfant 44 tombe sous mes yeux, je ne résiste pas.
Nous sommes dans l'URSS d'après guerre, avec un Staline qui porte le culte de la personnalité à son comble, propulse son pays vers les sommets de la scène internationale, mais au prix d'un climat social tissé de terreur et d'oppression: il n'existe qu'une pensée unique, le reste est cruellement condamné, de manière très expéditive, à peine ébauché ou simplement suspecté.
Nous suivons Leo Stepanovitch Demidov, agent du MGB, successeur du NKVD et ancêtre du KGB et du FSB, la police d'État.
Leo a un parcours exemplaire: entre ses prouesses militaires, décoré de l'Ordre de Souvorov, sa foi inébranlable en son pays et un mariage avec la belle Raïssa.
Leo est un pur produit soviétique, dopé aux amphétamines pour un maximum d'efficacité.
Inutile donc de dire que le personnage de Leo n'est guère engageant, voire peu sympathique tant il est enfermé dans la doctrine soviétique, formaté jusqu'au fin fond de son esprit. Il est au service de la patrie, le reste n'existe pas.
Malgré tout Leo va s'engouffrer dans la faille du doute, avec la mort d'un enfant qui ne peut être qu'un « accident » pour la police alors que tout porte à croire que c'est un assassinat. Et que cet enfant n'est pas le seul « accident » à travers le pays.
Et l'étoile montante du MGB est tout de suite plus attirante… Leo doute et le doute est inacceptable en URSS. de vengeance en disgrâce, Leo entraîne malgré lui toute sa famille dans une spirale de rétorsions. Malgré tout, il ne lâche rien, pas à pas sur les traces d'un tueur en série. Rares sont les aides dont il peut bénéficier mais qu'importe, Leo rejette sa carapace de bon soldat soviétique aveugle et lobotomisé pour obtenir une chose toute nouvelle: la justice.
J'ai adoré Leo. du parfait petit soldat, on assiste à sa déchéance, à la déstructuration de sa pensée, de son esprit qui ose juger, critiquer et se faire sa propre opinion. C'est un parcours initiatique vers la liberté dans un État où tout est contrôlé, un éveil à la vie individuelle et à la responsabilisation de ses choix. Leo synthétise cette prise de conscience et la difficulté, presque l'impossibilité, d'évoluer dans un régime totalitaire.
Le personnage de Raïssa, épouse de Leo, est réellement attachant. Avec elle, le lecteur est au plus profond de l'intimité de la terreur et de la peur instillée au sein même des familles. Aucun répit, aucune paix possible: la délation pour la survie est partout.
Ce roman est une plongée fascinante dans une société communiste d'après-guerre. Ultra documenté, l'auteur a su retranscrire avec justesse et une efficacité diabolique le climat de peur, de suspicion, de paranoïa et de terreur qui régnait à l'époque, jusque dans l'intimité des pensées des hommes.
Inimaginable et effroyable, ce régime stalinien, dur et impitoyable, qui déshumanise totalement l'individu, qui assassine dans l'oeuf toute subversion idéologique. L'ennemi est ailleurs mais il est surtout à l'intérieur.
Le postulat de départ de l'enquête de Leo est aberrant et absurde pour tout esprit objectif: pour l'idéologie russe officielle, les tueurs en série ne peuvent exister dans la société socialiste puisque le peuple est heureux alors que la mère patrie pourvoit à tous ses besoins.
L'intrigue policière est d'autant plus passionnante qu'elle est basée sur des faits réels: Andreï Romanovitch Tchikatilo ou le monstre de Rostov, un des plus grands tueurs en série du XXème siècle, ayant pu oeuvrer en toute impunité grâce à cette fameuse idéologie communiste.
Au-delà du thriller, c'est une remarquable réflexion sur la nature humaine, sur la société et son formatage, les pouvoirs politiques et leurs bras armés, sur la cruauté et le sadisme, sur le mal intrinsèque de certains individus.
Au-delà de l'ambiance sombre et pesante, c'est aussi la certitude que l'espoir est toujours de mise malgré la chape de violence et de répression, il y a toujours un être humain pour ouvrir les yeux, affronter l'innommable et faire preuve de courage pour s'élever contre la barbarie.
Enfant 44 est une lecture intense, lourde, glaciale et violente. La détresse et la souffrance flirtent avec la terreur insufflée par l'arrogance des petits chefs et l'impunité des gens de pouvoir.
Une lecture en apnée qui se termine avec de grands soupirs de soulagement… et une envie irrépressible de connaître la suite…
Kolyma, j'arrive…
Lien :
http://livrenvieblackkatsblo..