Je suis redevable de cette critique puisque c'est convenu ainsi, pour devenir l'heureux possesseur du livre de
Sébastien Roman et ses condisciples.
Dire que j'aurais pu me fendre d'une critique sur la cuisine des studios Ghibli! Ça aurait été plus simple pour moi de parler de brioches aux haricots rouges ou de Bentô du voisin Totoro plutôt que de l'herméneutique de Paul Ricoeur. Il n'y a pas de rapport évident entre les deux sujets, si ce n'est que les deux ouvrages figuraient dans ma sélection "masse critique".
Pourtant le merveilleux univers de Miyazaki pourrait tout à fait s'apparenter à une forme utopique, un meilleur des mondes, de ceux qui nous font rêver et redonner de l'espoir. J'ai donc choisi ce livre parce qu'il y figure le mot Utopie dans le titre et pas du tout parce que je connais Paul Ricoeur. En ouvrant "Penser
l'Utopie", j'ai immédiatement déploré l'absence d'illustrations, remplacées par de nombreuses notes de bas de page écrites en très petits caractères. Passé outre l'austérité de la forme, je me suis prêté au jeu, tant bien que mal.
J'ai vite mesuré l'ampleur de la tâche qui consistait à maîtriser une terminologie philosophique spécifique sans avoir fait science politique ni être agrégé à la Sorbonne. Ne connaissant pas Ricoeur, j'ai, au cours de ma lecture, réalisé à quel point il a été une figure influente de la pensée politique contemporaine. C'est toujours ça de gagné, j'ai maintenant envie d'en savoir plus, peut-être de lire "sois-même comme un autre", ou "l'idéologie et
l'Utopie". Dans le livre de
Sébastien Roman, six auteurs explorent l'oeuvre de Paul Ricoeur en essayant d'y dénicher le concept d'utopie afin de lui redonner son utilité voir sa nécessité dans notre histoire sociale et politique. C'est pour moi de la véritable "hard science humaine", parce que mon attirail conceptuel est bien léger et qu'il faut que j'approfondisse mes recherches terminologiques à chaque nouveau mot rencontré. Je suis par exemple tombé sur le terme "kérygme", la proclamation de la destinée du Christ comme manifestation du salut...Quand même! Là, c'est du champ sémantique religieux vous me direz. Oui, en effet Paul Ricoeur n'est pas qu'un philosophe de l'herméneutique, c'est aussi un théologien et un croyant. C'est pour cela qu'il est difficile à comprendre, il y a toujours une polysémie dans son langage, même s'il s'en explique la plupart du temps. Aussi, le terme utopie peut être interprété de plusieurs façons: littéraire, politique ou religieuse.
La première partie du livre part d'une critique marxiste des utopies socialistes, le dernier chapitre quant à lui, évoque
l'utopie ecclésiale, pour vous dire que
l'utopie ça n'est pas que l'invention d'un certain
Thomas More . Chez Ricoeur on finit quand même par discerner un sens privilégié au projet utopique comme étape essentielle, avec l'idéologie, à la dynamique de notre imaginaire social, nous permettant d'ouvrir le champ des possibles, de rompre avec l'ordre établi tout en proposant des alternatives pratiques réalistes, une nécessité pour les sociétés humaines en quête de sens et de perspectives neuves dans un monde dominé par la technique et l'idéologie libérale.
Personnellement, cette lecture m'a beaucoup fait réfléchir sur la manière de voir le monde contemporain, la complexité des forces en jeu dans l'organisation de la cité. C'est très dense. Je n'ai sans doute pas tout compris, mais c'est un exercice très stimulant.
Aussi, si vous êtes comme moi, des touristes en philo, armez vous de patience et collez vous au texte, le jeu en vaut la chandelle!