Un ouvrage passionnant et passionné, Arendt adorant visiblement l'écrire. Elle revient ici à la philosophie pure, et c'est plus intéressant que la vulgarisation de sa philosophie générale (se limitant souvent à la politique même si, c'est vrai, Arendt affirmait à ce propos que son travail n'était pas philosophique, en tant que le penseur s'éloigne des affaires humaines depuis les Grecs). Elle distingue la pensée de l'intelligence (cela me semble important, et à lier à la banalité du mal), ainsi que la pensée, la volonté et le jugement (qu'elle n'a pas eu le temps de développer) dans
la vie de l'esprit. La pensée contemplative, analogique et solitaire ne se confondant pas à la connaissance ; la volonté, qui semblait bien antagoniste de la contemplation du penseur, débordant tout aussi bien l'entendement mais relativement à l'action et la particularité, etc. Cette notion de "vie" est évidemment importante pour la phénoménologue, visiblement opposée à la psychologie scientifique (même
Husserl ne l'était pas). Beaucoup de notions sont abordées : le mal, le progrès dialectique, le temps et l'espace, le présent, etc. Elle ne cherche pas à réfuter ce qu'elle nomme "arguments spécieux de la métaphysique" mais au contraire à montrer leur fondement dans les "faits d'expérience du moi pensant", dans la phénoménalité de ce moi ("phénomène parmi les phénomènes" se tenant à l'écart des phénomènes dans la pensée, solitaire conscience dédoublante). Elle applique le même procédé à la volonté (plus pratique et libre). On retrouve aussi là l'influence d'Heidegger, qui est souvent cité avec
Kant (qui inspire beaucoup Arendt). Cet essai n'est pas une généalogie, ni une pure rétrospective historique, ni non plus un traité de type aristotélicien. Pour autant, il n'est pas exploratoire et il n'est pas non plus littéraire. Je trouve son écriture particulière.
Bien sûr, je suis personnellement sous l'objet de sa critique de la métaphysique idéaliste. Mais je sais faire la part des choses.