En vous donnant ce pourtraict mien
Dame, je ne vous donne rien
Car tout le bien qui estoit nostre
Amour dès le jour le fit vostre
Que vous me fistes prisonnier,
Mais tout ainsi qu’un jardinier
Envoye des presens au maistre
De son jardin loüé, pour estre
Toujours la grace desservant
De l’héritier, qu’il va servant
Ainsi tous mes presens j’adresse
A vous Cassandre ma maistresse,
Corne à mon tout, et maintenant
Mon portrait je vous vois donnant :
Car la chose est bien raisonnable
Que la peinture ressemblable,
Au cors qui languist en souci
Pour vostre amour, soit vostre aussi.
Mais voyez come elle me semble
Pensive, triste et pasle ensemble,
Portraite de mesme couleur
Qu’amour a portrait son seigneur.
Que pleust à Dieu que la Nature
M’eust fait au cœur une ouverture,
Afin que vous eussiez pouvoir
De me cognoistre et de me voir !
Car ce n’est rien de voir, Maistresse,
La face qui est tromperesse,
Et le front bien souvent moqueur,
C’est le tout que de voir le cœur.
Vous voyriés du mien la constance,
La foi, l’amour, l’obéissance,
Et les voyant, peut estre aussi
Qu’auriés de lui quelque merci,
Et des angoisses qu’il endure :
Voire quand vous seriés plus dure
Que les rochers Caucaseans
Ou les cruels flos Aegeans
Qui sourds n’entendent les prières
Des pauvres barques marinières.
SONET
Celuy qui boit, comme a chanté Nicandre,
De l’Aconite, il a l’esprit troublé,
Tout ce qu’il voit luy semble estre doublé,
Et sur ses yeux la nuit se vient espandre.
Celuy qui boit de l’amour de Cassandre
Qui par ses yeux au cœur est écoulé,
Il perd raison, il devient afolé,
Cent fois le jour la Parque le vient prendre.
Mais la chaux vive, ou la rouille, ou le vin,
Ou l’or fondu, peuvent bien mettre fin
Au mal cruel que l’Aconite donne :
La mort sans plus a pouvoir de guarir
Le cœur de ceux que madame empoisonne,
Mais bien heureux qui peut ainsi mourir.
Ode en dialogue des yeux et de son cœur
ODE XXXI.
J’avoy les yeux et le cœur
Malade d’une langueur
L’une à l’autre différente :
Tousjours une fièvre ardente
T-e pauvre cœur me brusloit.
Et tousjours l’œil distilloit
Une pluye catarreuse.
Qui s’escoulant dangereuse
Tout le cerveau m’espuisoit.
Lors mon cœur aux yeux disoit :
Le cœur.
C’est bien raison que sans cesse
L’ne pluye vangeresse
Lave le mal qu’avez fait :
Par vous seule entra le trait
Qui m’a la fièvre causée.
Lors mes yeux pleins de rosée,
En distillant mon souci
Au cœur respondoient ainsi.
Les yeux.
Mais c’est vous qui fustes cause
Du premier mal, qui nous cause
A vous l’ardente chaleur,
Et à nous l’humide pleur.
Il est bien vray que nous iusmes
Autheurs du mal, qui receusmes
Le trait qui nous a blessé :
Mais il fut si tost passé.
Qu’à peine tiré le vismes
Que ja dans nous le sentismes.
Vous deviez comme plus fort.
Contre son premier effort
Faire un peu de résistance :
Mais vous prinstes accointance
Tout soudain avecques luy
Pour nous donner tout l’ennuy.
O la belle emprise vaine !
Puis que vous souffrez la peine
Aussi bien que nous, d’avoir
Voulu seuls nous décevoir.
» La chose est bien raisonnable,
» Que le trompeur misérable
» Reçoive le mal sur luy
» Qu’il machinoit contre autruy,
» Et que pour sa fraude il meure.
Ainsi mes yeux à toute heure.
Et mon cœur contre mes yeux
Querelloient séditieux :
Quand vous, ma douce Maistresse,
Ayant soin de ma destresse
Et de mon tourment nouveau.
Me fistes présent d’une eau
Qui la lumière perdue
A mes deux yeux a rendue.
Reste plus à secourir
Le cœur qui s’en-va mourir.
S’il ne vous plaist qu’on luy face
Ainsi qu’aux yeux quelque grâce.
Or pour esteindre le chaut
Qui le consomme, il ne faut
Sinon qu’une fois je touche
De la mienne vostre bouche,
A fin que le doux baiser
Aille du tout appaiser
Par le vent de son haleine
La flame trop inhumaine.
Que de ses ailes Amour
M’esvente tout à l’entour.
Depuis l’heure que la flèche
De voz yeux luy fist la brèche
Si avant, qu’il ne pourroit
En guarir s’il ne mouroit.
Ou si vostre douce haleine
Ne le tiroit hors de peine.
HYMNE DE LA MORT,
a louis des masures
Masures, on ne peut desormais inventer
Un argument nouveau qui soit bon à chanter,
Ou haut sur la trompette, ou bas dessus la lyre :
Aux anciens la Muse a tout permis de dire,
Si bien que plus ne reste à nous autres derniers
Que le vain desespoir d’ensuivre les premiers,
Et sans plus de bien loin recognoistre leur trace
Faite au chemin frayé qui conduit sur Parnasse :
Lesquels jadis guidez de leur mere Vertu,
Ont tellement du pied ce grand chemin batu,
Qu’on ne voit aujourd’huy sur la docte poussiere
D’Helicon, que les pas d’Hesiode et d’Homere
Imprimez vivement, et de mille autres Grecs
Des vieux siecles passez qui beurent à longs traits
Toute l’eau jusqu’au fond des filles de Memoire,
N’en laissans une goute aux derniers pour en boire :
Qui maintenant confus à-foule à-foule vont
Chercher encor de l’eau dessus le double Mont :
Mais ils montent en vain : car plus ils y sejournent,
Et plus mourant de soif, au logis s’en retournent.
Moy donc qui de long temps par espreuve sçay bien
Qu’au sommet de Parnasse on ne trouve plus rien
Pour estancher la soif d’une gorge alterée,
Je veux aller chercher quelque source sacrée
D’un ruisseau non touché, qui murmurant s’enfuit
Dedans un beau vergier, loin de gens et de bruit :
Source, que le Soleil n’aura jamais cognue,
Que les oiseaux du ciel de leur bouche cornue
N’auront jamais souillée, et où les pastoureaux
N’auront jamais conduit les pieds de leurs taureaux.
Je boiray tout mon saoul de ceste onde pucelle,
Et puis je chanteray quelque chanson nouvelle,
Dont les accords seront, peut estre, si tresdous,
Que les siecles voudront les redire apres nous :
Et suivant ce conseil, à nul des vieux antiques
Larron, je ne dévray mes chansons poetiques :
Car il me plaist pour toy, de faire icy ramer
Mes propres avirons dessus ma propre mer,
Et de voler au ciel par une voye estrange,
Te chantant de la Mort la non-dite louange.
C’est une grand Déesse, et qui merite bien
Mes vers, puisqu’elle fait aux hommes tant de bien.
Ode à l’Aloüette
ODE XXX.
T’oseroit bien quelque Poëte
Nier des vers, douce Alouëte ?
Quant à moy, je ne l’oserois :
Je veux célébrer ton ramage
Sur tous oiseaux qui sont en cage.
Et sur tous ceux qui sont es bois.
Qu’il te fait bon ouyr ! à l’heure
Que le bouvier les champs labeure
Quand la terre le Printemps sent.
Oui plus de ta chanson est gaye.
Que courroucée de la playe.
Du soc, qui l’estomac luy fend.
Si tost que tu es arrosée
Au poinct du jour, de la rosée.
Tu fais en l’air mille discours :
En l’air des ailes tu frétilles,
Et pendue au ciel tu babilles,
Et contes aux vents tes amours.
Puis du ciel tu le laisses fondre
Sur un sillon verd, soit pour pondre,
Soit pour esclorre, ou pour couver.
Soit pour apporter la bêchée
A tes petits, ou d’une achée.
Ou d’une chenille, ou d’un ver.
Lors moy couché dessus l’herbette
D’une part j’oy ta chansonnette :
De l’autre, sus du poliot,
A l’abry de quelque fougère
J’escoute la jeune bergère
Qui desgoise son lerelot.
Lors je dy, tu es bien-heureuse
Gentille Alouette amoureuse,
Qui n’as peur ny soucy de riens.
Qui jamais au cœur n’as sentie
Les desdains d’une fîere amie,
Ny le soin d’amasser des biens :
Ou si quelque soucy te touche.
C’est, lors que le Soleil se couche,
De dormir, et de resveiller
De tes chansons avec l’Aurore
Et bergers et passans encore,
Pour les envoyer travailler.
Mais je vis tousjours en tristesse
Pour les fiertez d’une maistresse
Qui paye ma foy de travaux.
Et d’une plaisante mensonge.
Mensonge, qui tousjours allonge
La longue trame de mes maux.
Pierre de Ronsard – Anthologie des 'Amours' lue par Jacques Roubaud (1971)
Un cassette audio enregistrée par Jacques Roubaud après 1971 à l'attention de sa mère.