Le journaliste
Louis Roubaud (1884-1941) mena au début des années 1930 une enquête d'abord publiée en douze articles successifs dans la revue de faits divers Détective, puis proposée en un volume à la NRF. Quelques reproductions des pages du magazine en fin du présent ouvrage donnent une idée du caractère racoleur que l'on a voulu donner à ce reportage, par le biais des illustrations en particulier. Pourtant, dans le fond, Roubaud ne cède pas au sensationnalisme. Il entend présenter au grand public un tableau de la situation des asiles et de la recherche sur les maladies mentales dans la France de 1932-1933, ce qui fait bien entendu écho à celui dressé par
Albert Londres en 1925 (
Chez les fous), et manifeste les changements survenus.
L'enquête de Roubaud se veut scientifique et, de fait, elle est bien documentée. Toutefois, il est un champ lexical qui revient sans cesse : celui de l'enfer et des démons, du feu, de la possession. Ce choix n'est pas anodin, et nuit à l'objectivité du récit, comme le remarquait le docteur Desruelles dans la recension qu'il rédigea en 1933 pour L'Aliéniste français. Bulletin de l'association amicale des médecins des établissements publics d'aliénés.
Roubaud ouvre son enquête par des lettres d'aliénés, manifestant la chute d'un esprit dans la paranoïa, afin de faire entrer le lecteur, comme il l'écrit, dans « la stratosphère de l'esprit ». Puis il dresse les portraits de quelques-uns des 80 000 patients détenus autant que soignés dans les 67 asiles et autres « maisons religieuses » et « hospices ». Tel
Dante conduit aux enfers par
Virgile (pour reprendre la métaphore infernale), il rencontre et raconte « les types classiques du persécuté, du raisonneur, de l'halluciné, de l'asthénique, du maniaque, du délirant et de l'obsédé ». À Maison-Blanche, il rencontre les aliénées femmes, placées sous la conduite d'une femme médecin, le docteur Pascal, dont il évoque les expérimentations avec des drogues (cocaïne, peyotl, strychnine, éther…) pour suspendre la folie chez les « mortes » (comprenez : les patientes atteintes de démence précoce, qui, pour Roubaud, ont perdu leur « âme »). Il est intéressant de voir que, pour ces femmes, le journaliste comme le docteur Pascal font de l'amour blessé, de la sexualité, du sentiment du péché, l'origine du mal médical. Cela rappelle curieusement les idées romantiques du siècle passé, ainsi que les récits de la Salpêtrière (ce que renforcent les photos issues de cet hôpital à l'époque de Charcot choisies par les éditeurs pour la couverture et les premières et dernière pages du livre ; choix que je trouve contestable, étant donné que le texte de Roubaud se veut une photographie actuelle de la situation).
Le journaliste mentionne aussi le traitement des malades du tréponème pâle (bacille de la syphilis) par la « malariathérapie », autrement dit, l'inoculation de la malaria. Cette maladie, par les fortes fièvres qu'elle engendre, détruit le tréponème ! le contraste entre la prose parfois presque poétique de Roubaud et ce qu'il décrit (salles immaculées, éprouvettes, prélèvements divers, etc., suggérant la grande modernité de la médecine) est ici saisissant.
Cependant, parallèlement à cette recherche de pointe, si l'on peut dire, que valorise l'auteur, il demeure des mauvais traitements, des conditions de vie inhumaines dans certains établissements. Et si Roubaud dément d'abord l'existence de ces internements arbitraires qui ont tant fait parlé et fantasmé depuis le XIXe siècle (pensons à Un beau-frère, d'
Hector Malot), il admet la responsabilité des autorités administratives dans la perpétuation de problèmes graves, et cite même l'internement injuste d'un jeune artiste, victime de la rancoeur de sa logeuse, et l'enchaînement glaçant qui permet ce placement en asile d'un être tout à fait sain d'esprit… contredisant de la sorte son apaisante affirmation sur la fin des pratiques arbitraires.
L'enquête se clôt sur une note très romanesque, qui renforce l'impression générale laissée par cette étude journalistique décidément aussi littéraire que documentaire.
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