Rien n’échappe aujourd’hui à la relation utilitaire, mais pour les animaux cette emprise parvient à un point d’orgue. L’enfer que nous leur avons aménagé, bien avant la révolution industrielle, s’est simplement durci, radicalisé ; qu’ils soient sauvages ou domestiques, il n’est plus possible aux animaux d’y échapper d’aucune manière. Une détermination juridique sanctionne le statut que l’humanisme a forgé pour eux – car c’est bien lui le responsable : être des biens, la plupart du temps consomptibles, c’est-à-dire dont l’usage implique la destruction. L’utilité qui doit coûte que coûte leur être arrachée passe en effet le plus souvent par leur mort, qu’il s’agisse de les manger, de tuer leur petits pour détourner le lait, de prendre leur fourrure ou leur peau pour confectionner vêtements, sacs et chaussures, de tester sur eux jusqu’à ce que mort s’ensuive toutes les substances que nous absorbons sous une forme ou sous une autre. Les animaux inutiles sont éliminés, ceux qui sont utiles le sont aussi. Arrêtées par l’homme et dans son unique intérêt, cette utilité ou cette inutilité décident d’une même attitude : aucun animal s’adonnant à la vie pour rien ne sera admis, toute contingence doit disparaître.
Chacun sait que l'animal n'existe pas. Qui a déjà croisé un animal? Une belette, oui. Un chat, une mésange, un oiseau même, oui, mais un animal? On aura beau chercher, soulever les feuilles, guetter avec patience derrière un arbe ou un muret, on ne trouvera jamais, ni au sein de la nature, ni dans l'artefact biogénétique qui compose désormais notre environnement vivant, le moindre objet réel pour correspondre au mot "animal".
Pour qui en douterait encore, il n'y a qu'à consulter le dictionnaire. "Animal", le mot ne répond à aucune définition positive: "clasee d'êtres vivants qui s'oppose au règne végétal", "Par ellipse, les animaux autres que l'homme". La définition d'animal ne se fonde pas sur un quelconque point commun constitutif d'une catérgorie, aussi vague qu'on voudra. Elle ne se construit que par déterminations négatives. Est animal ce qui n'est ni végétal, ni homme.