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EAN : 9782917897133
351 pages
Editions Presque lune (15/02/2014)
3.07/5   7 notes
Résumé :
Née du désir du romancier tchèque Jaroslav Rudiš de raconter l’histoire de son grand-père cheminot, cette trilogie « ferroviaire » nous fait découvrir la vie d’un contrôleur de trafic bonhomme habitant les montagnes de Silésie.
Traumatisé par la dernière guerre, Alois Nebel est devenu la proie de ses hallucinations, sorties de ce brouillard épais, symptomatique et récurrent, d’où surgissent des nazis, l’Armée Rouge ou des trains pour Auschwitz... Jusque-là cl... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
"Le brouillard rampait et semblait se coller à la terre humide..."
(G. Sand, "La Mare au diable")

Une petite gare paumée quelque part dans les montagnes de la Silésie. Ses lumières et ses quais se perdent parfois dans un brouillard qui cache des choses vraiment étranges.
Un hôpital psychiatrique et ses couloirs, arpentés par des gens incapables de prendre seuls un train, mais qui peuvent, à leur façon, apercevoir la fin du quai au-delà du brouillard.
Gare centrale de Prague où tout peut arriver, pas seulement les trains.
Les forêts de la frontière tchéco-polonaise. Les nuages qui arrivent, chargés de pluie.
Et un cheminot du nom d'Alois Nebel.

Quand Jaroslav Rudiš a commencé à inventer avec ses amis les histoires de Nebel autour d'une bière dans un pub à Žižkov, vers le début des années 2000, ils ne se doutaient pas encore qu'ils allaient créer un phénomène.
Il est vrai que l'art de la BD était pratiquement inexistant en Tchécoslovaquie totalitaire, mais il est reparti de plus belle après 1989, et au bout de dix ans, la concurrence était déjà grande. Alors pourquoi, dans toute cette production, c'est justement "Alois Nebel" qui est devenu une "oeuvre culte" ?
"Nebel" veut dire "brouillard", en allemand. Si vous le lisez à l'envers, cela vous donne "leben" - la vie.
Le personnage de Nebel est excellent. Un vieux garçon solitaire, passionné de trains et de chemins de fer. Une bonne âme passive et sans exigence, car son travail lui apporte tout le bonheur dont il a besoin. Quoi de plus rassurant que la vie réglée comme une horloge, et la lecture répétitive des horaires des trains ?

Mais les nombreux trains qui ont traversé cette petite gare des Sudètes avaient des wagons chargés d'histoire, et parfois le passé revient à l'improviste pour surprendre Nebel. Il est difficile de voir les choses clairement, à travers le brouillard - il faut faire appel à la vue intérieure, pour distinguer le vrai du faux - alors ce convoi pour Auschwitz, ce train plein d'Allemands assoiffés, ces soldats russes... ? L'histoire des Sudètes était mouvementée et remplie d'atrocités, et bien après la fin de la guerre, ses fantômes sortent encore de la brume pour s'adresser à Nebel.
Cela n'échappe pas à ses supérieurs, et Nebel est envoyé dans un hôpital psychiatrique.
C'est là qu'il va rencontrer le Muet, un personnage énigmatique qui va devenir son confident. le Muet semble être à la recherche de quelque chose, ou de quelqu'un... a t-il un quelconque rapport avec les choses terribles et bizarres qui se sont passées en Pologne à la fin de guerre ?
Les destins de Nebel et du Muet sont comme connectés par les réminiscences du passé, qui laisse ses empreintes tant dans les êtres humains que dans certains endroits. Nebel voit des images vivantes de ce passé, tandis que le Muet est poursuivi par des souvenirs qui font toujours mal, même après un temps aussi long.
Nebel va sortir de l'hôpital après la chute du communisme, pour découvrir un autre monde. La Gare centrale de Prague, l'endroit qu'il a toujours rêvé de visiter, va devenir son abri de clochard. Des rencontres de toutes sortes, pas toujours agréables... Mais peut-être que cette gentille Mme Kveta, qui travaille aux toilettes, sera sa bouée de sauvetage ?
Les personnages vont se retrouver à la fin lors d'un épisode presque apocalyptique, mais je n'en dis pas plus.

Les dessins en noir et blanc de Jaromír Švejdík soulignent parfaitement le côté étrange du récit, qui peut paraître aussi brouillé que le pauvre cerveau de Nebel. Mais il contient tout un pan de l'histoire tchèque, des réminiscences et des détails réels sur le passé des Sudètes. L'atmosphère de ce roman graphique est assez oppressante, et les paysages monochromes de Švejdík contribuent à évoquer à la perfection ce qu'on appelle le "genius loci". Tout arrive par touches : le passé aurifère de la bourgade de Zuckmantel (Zlaté Hory), les procès avec les sorcières du 17ème, les convois nazis en route vers les lagers, et les autres convois remplis d'habitants des Sudètes dépossédés de leurs terres. Les malheurs des uns et l'opportunisme des autres, quel que soit le régime...
Certains vont peut-être trouver la trame décousue, d'autres feront des efforts pour avancer avec le héros dans son obscurité blanche et opaque, à vous de voir.

Le film tiré de la trilogie originale a reçu le 1er prix du film d'animation, aux European Film Awards. L'inhabituelle technique de la rotoscopie lui ajoute une touche esthétique qui pourrait donner la fausse impression que nous sommes devant une "oeuvre d'art", destinée surtout aux snobs cinéphiles. Mais le film est une réussite , tout comme son modèle littéraire.
Une histoire pour tous ceux qui aiment se promener dans le brouillard. 4,5/5
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Alois Nebel est un superbe roman graphique, une bande dessinée pour adultes, parmi les plus évocatrices de ces dernières années en République tchèque.
On doit cet ouvrage, traduit en français, à la maison d'édition « Presque Lune », basée à Rennes, qui est une ville que l'on peut qualifier de « tchécophile », car elle est jumelée avec la ville morave de Brno. Et Rennes est aussi la terre d'exil de Milan Kundera.

Ce roman graphique est constitué de trois tomes qui ont été compilés : « Bily Potok » (« le ruisseau blanc », c'est le nom d'une commune de Moravie) paru en 2003, « La gare centrale » (c'est la gare centrale de Prague) paru en 2004, et « Zlate Hory » (Les monts d'or) paru en 2005.

Le dessin en noir et blanc de Jaromir Svejdik (Jaromir 99) est très beau et très fort. Il attire l'oeil immédiatement, avec ses contours anguleux et ses contrastes très prononcés. Son style installe une atmosphère brumeuse et inquiétante. Son trait est de grande maîtrise, cru et brutal.
C'est intéressant, car non seulement le dessin donne une atmosphère noire, un peu étonnante, qu'on retrouve souvent dans les pays de l'Est, ou à Berlin, mais avec le texte, cela apporte encore davantage une dimension étrange.

Cette trilogie a été scénarisée par l'écrivain Jaroslav Rudis, qui s'est inspiré de son grand-père cheminot, Alois Rudis, pour écrire l'histoire d'Alois Nebel.
Alois Nebel est chef de gare à Bily Potok, une petite commune des Sudètes, une région montagneuse de Tchéquie à la frontière avec la Pologne.
On est à la fin des années 80, et le régime communiste s'effrite. Alois Nebel regarde passer les trains,
il ne peut se défaire des images du passé, de ses souvenirs de l'après-guerre, quand les décrets d'Edvard Benes (chef du gouvernement tchécoslovaque en exil) exproprièrent et expulsèrent les Allemands de la région des Sudètes.
Ces transferts massifs de populations dans cette région sont à ranger au nombre de ces mille blessures du 20e siècle, qui même près de 70 ans plus tard, peinent à cicatriser.
Alois Nebel raconte l'histoire de ces blessures, que certains essaient péniblement d'oublier, quand d'autres veulent venger le mal subi.
Alois Nebel est en quelque sorte le représentant des dépositaires impuissants du souvenir vivant des tragédies passées.

Alois est représenté rondouillard, moustachu et binoclard. Il est né dans cette région des Sudètes, cette partie du nord de la Tchécoslovaquie annexée par le 3e Reich en 1939.
(Nebel signifie « brouillard » en allemand)
Etant enfant, Alois a été témoin de spoliations et d'évacuations forcées.
Il vit seul, au rythme des horaires ferroviaires, soucieux de ponctualité. Il ne vit que pour son métier.
Il dort mal. Il a très souvent des hallucinations, des sortes de flashes qui le renvoient dans le passé, où se mêlent des drogués, un meurtrier, l'Armée Rouge et des trains de déportés.

Alois Nebel est un homme ordinaire au destin extraordinaire.
Il a vu passer les trains remplis de soldats allemands et de juifs en route vers Auschwitz.
Puis après la guerre, il a vu passer des trains remplis d'Allemands forcés à l'exil, obligés de quitter la Tchécoslovaquie, alors qu'ils n'étaient pas tous nazis et vivaient dans la région depuis toujours.
Alois devient fou quand il prend conscience de qui remplit les trains. Il devient obsédé par les trains, les horaires, l'Histoire. Il répète que seuls les gens deviennent fous, pas les trains !

Alois fait quelques jours d'hôpital psychiatrique avant de se retrouver comme un clochard à la Gare Centrale de Prague. Cette gare, cela faisait longtemps qu'il rêvait de la visiter. Heureusement il y connaîtra l'amour…
Il y a aussi Vasek (Wachek), qui travaille également à la gare et profite de la mise à pied d'Alois.
Il y a le père de Vasek et tous ses amis qui font de la contrebande avec les Russes et les Polonais (pour distinguer la nationalité des personnages, dans les bulles, deux typos sont utilisées, dont une imite les caractères cyrilliques).
Ces contrebandiers sont pourris, corrompus, et bien plus nocifs que ce que l'on pourrait croire…
Enfin, il y a le surgissement du passé, sous plusieurs formes. C'est notamment un muet, qui arrive d'on ne sait où, que tout le monde rejette, que les policiers interrogent, et qui va assumer une vieille vengeance, à laquelle tous les autres personnages sont plus ou moins liés…

Cet ouvrage est très bien documenté. Il est très riche de références historiques et culturelles de bout en bout. On en sort enrichi.
L'histoire de la Gare Centrale de Prague, avec son hall de verre unique dans l'Empire austro-hongrois est très intéressante, les montagnes à Zlate Hory, qui attiraient les Prussiens, car elles contenaient de l'or, la Légion tchécoslovaque après la 1re Guerre mondiale, légion dont le grand-père d'Alois faisait partie, etc. Des astérisques dans les textes des bulles renvoient en annexes vers des explications concernant des personnages historiques et politiques, des faits historiques, des personnages du milieu artistique (écrivains, chanteurs, groupes), etc.

Ce roman graphique est de superbe qualité avec ses dessins très expressifs et épurés, qui vont à l'essentiel et sont très appropriés pour nous conter cette histoire chaotique, longtemps refoulée d'un pays et les répercussions sur sa population.
A la fois polar cruel et histoire d'amour, bande dessinée politique, réflexion historique, cette trilogie ferroviaire est captivante.
Alois Nebel peut être lu comme une chronique du siècle dernier.
Il propose une réflexion pertinente sur la difficulté à s'affranchir des traumatismes du passé.

Tous les thèmes évoqués, sont des thèmes chers à Jaroslav Rudis : les frontières, les traces de l'Histoire, la présence du passé, un monde qui n'a plus de présent et qui n'a pas encore de futur, un personnage qui doit trouver sa place dans un monde qui n'existe plus…
Jaroslav Rudis est notamment l'auteur de deux romans traduits en français : « Avenue Nationale » (2016) et « La fin des punks à Helsinki » (2012).
Le roman graphique Alois Nebel est paru en France en 2014, après son adaptation cinématographique qui a été nommée « Film d'Animation Européen de l'année » en 2012.
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critiques presse (1)
BoDoi
29 mai 2014
On est donc tour à tour fasciné par un scénario comme une balade poétique dans une société en mutation et en plein doute, et paumé dans une histoire dilatée à l’excès et sans véritable ressort dramaturgique
Lire la critique sur le site : BoDoi
Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Cet or a rendu beaucoup de gens dingues, surtout des femmes. Mais d’autres le leur enviaient peut-être. Donc elles ont fini au bûcher comme sorcières. Il y en a eu 85 – deux autorails bien pleins. C’était un certain Boblig, célèbre natif d’ici, qui s’en chargeait. Le bûcher, il en avait fait son métier, comme quand on coupe du bois en forêt avec les Ukrainiens ou qu’on trafique avec les Polonais comme Wachek.

(p.252)
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