Ruppert et Mulot sont surtout connus du grand public pour leur collaboration avec Bastien Vivès pour La Grande Odalisque et sa suite Olympia.
En duo, Ruppert et Mulot sont auteurs d’œuvres dans lesquelles la technique de narration est aussi importante que l'histoire racontée - voir Un cadeau. C'est le cas avec Le tricheur qui doit son titre à un tableau exposé au Louvre de Georges de la Tour, le tricheur à l'as de carreau.
Dans cette longue aventure, Ruppert et Mulot relatent les tentatives d'une équipe de pieds nickelés (type Petits meurtres entre amis) pour voler une reproduction du tableau de Georges de la Tour. Pour raconter ces tentatives, les deux compères alternent de longues séquences dynamiques et muettes d'action avec un dispositif minimaliste et statique d'interrogatoires entre un officier de police judiciaire et les différents protagonistes de l'action. Les deux types de séquence se complètent habillement pour constituer un tout (un peu à la manière d'Usual Suspects).
Dans Le tricheur, la forme joue un rôle important - ainsi l'ouvrage a un format à la française mais peu habituel par la forme allongée des pages qui permet d'avoir les dialogues sur une seule page - mais le tout ne constitue pas qu'un simple exercice de style. En effet, les dialogues sont teintés d'ironie et d'absurde et Ruppert et Mulot en prenant l'art comme toile de fond proposent également une réflexion sur l'art, le faux et le simulacre.
Au final, Le tricheur est un ouvrage atypique où le fond et la forme se rejoignent élégamment pour donner une belle œuvre d'art.
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On pourrait dire qu'une forme de triche consiste précisément à contourner les règles existantes pour mieux tirer les bénéfices d'un jeu, que ce dernier soit sérieux ou non. A ce titre, Ruppert et Mulot semblent bien contourner les règles narratives et formelles de la bande-dessinée pour mieux en livrer l'essence, c'est-à-dire livrer un récit séquentiel, où les images comme l'histoire ne prennent sens qu'en se succédant les unes aux autres.
On a ici affaire à une bande-dessinée en grande majorité silencieuse, ce qui est déroutant en soi, puisque cela oblige à prêter d'autant plus d'attention aux dessins. Ceux-ci, ironiquement, ne disent pas forcément tous quelque chose d'unique, ou plutôt, certaines cases se répètent, comme pour signaler justement le caractère visuel d'une bande-dessinée, et non son caractère narratif. Si l'on se perd dans le récit, de grandes cases, dont la forme et l'importance jouent là encore avec la symétrie habituelle du média bande-dessinée, recueillent l'ensemble des paroles des personnages : il s'agit des interrogatoires que passent tous les personnages avec un officier de police. Les personnages, eux, ne sont nommés que par l'une de leurs caractéristiques dessinées : l'un est Cravate, l'autre Batman (il porte un pull sur lequel on reconnaît le signe du super-héros), d'autres Bonnet et Cravate, une autre encore Mademoiselle Sac à Main.
Tout est ainsi en décalage : le récit se construit avec les paroles des personnages, qui relatent après coup ce qu'ils ont vécu. de la même façon, de ces entretiens avec la police, il ressort une certaine ironie, un décalage, donc, entre la gravité des faits et la qualité voire le grotesque des échanges entre les personnages et l'officier de police. Cela étant, les événements font écho entre eux : les entretiens des personnages renvoient à des situations dessinées et les tableaux présentés dans la galerie sont des métaphores de la situation des personnages.
A force de traquer la forme, on en oublie l'histoire : c'est celle d'un galeriste qui, sous couvert d'amour de l'art, convie l'un de ses amis dans un guet-apens. Au menu : filatures hasardeuses, vraies scènes violentes (meurtres, viol) et Georges de la Tour, convié pour donner son titre à l'album et pour décrire la relation entre certains personnages. Et, dans ce fouilli de références, de trouvailles et de situations pas tout à fait normales, on trouve une réelle cohérence : celle de l'audace artistique.
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- Mais vous saviez qui c'était cette fille.
- Oui. C'était la nièce de cravate.
- À bon ?
- Il nous l'avait fait suivre quelque temps auparavant. À l'époque elle se prostituait.
- Elle se prostituait ?
- Oui. Mais pas comme une vraie prostituée c'était plutôt pour attirer l'attention de ses parents. Elle se prostituait comme d'autres ses droguent à l'adolescence si vous préférez, c'était plutôt un truc comme ça.