On pressent l’éclosion d’un assez large mouvement de néo-messianisme juif, aux ramifications idéologiques complexes, que la réforme religieuse et disciplinaire de Qumran a su canaliser, mais qui a secoué le monde juif, cherchant à se mobiliser devant les malheurs du temps : la dévastation du Temple par Pompée et le passage sous une nouvelle tutelle, non plus celle des Grecs séleucides ou des Perses, mais des Kittim, désignant les Romains.
Le Rouleau de la guerre (vers -50) programme en détails un combat eschatologique conduit par un Messie guerrier, pour vaincre définitivement les Kittim, l’ennemi romain et tous leurs associés mêmes juifs, incarnant l’« empire de Bélial » (Satan). Les Esséniens de Judée envisageaient la nécessité de la Guerre sainte des « Fils de la lumière » pour que triomphe Yahvé Sabaoth, l’Éternel des armées, sous la bannière de l’archange Michel, malgré leur réputation de modération et de pacifisme. Mais que penser alors de l’Apocalypse chrétienne, avec le combat de l’Agneau contre la « Babylone » romaine et la Bête de l’antéchrist ? Ou même des propos de Jésus déclarant : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive ! » (Mt 10, 34) ; ou de ses malédictions contre les impies voués à la damnation éternelle, pour avoir refusé d’écouter la Parole de Dieu, méprisé les pauvres et persécuté les justes ?
C’est dans un climat de conflit, au milieu d’un peuple politiquement et culturellement déchiré, accablé de maux, assujetti à la puissance et l’administration romaine que se dresse la figure à la fois humble et grandiose du messie de Nazareth, accusant sa génération d’avoir « répandu le sang innocent d’Abel jusqu’au sang de Zacharie assassiné entre le sanctuaire et l’autel » (Mt 23, 34). La tension entre justice et miséricorde, châtiment des impies et récompense des justes, anime aussi bien les textes de Qumran que le Nouveau Testament, car elle est inhérente à l’éthique biblique. (pp. 32-33)
A qui voulait le suivre, le Christ recommandait la pauvreté volontaire, le renoncement à ses biens (Lc 12, 33 ; 14, 33 etc.) Il faut avoir les mains libres pour porter la croix du Messie. La richesse est un grave obstacle à la liberté spirituelle, et elle bloque l’accès au Royaume de Dieu (Mc 10, 23 ; Mt 6, 25-34). Tout cela rappelle l’éthique rigoureuse des Esséniens. Les membres qui rejoignaient leur Communauté finissaient par remettre volontairement leurs biens entre les mains des « Inspecteurs », chargés d’instruire et de gouverner les Nombreux (Règle 9, 22 ; 6, 18-23). C’est ce que faisaient les disciples de l’Église qui mettaient toutes leurs ressources en commun et déposaient le produit de leurs biens aux pieds des apôtres (voir Ac 2, 42s et 4, 32-36). C’est ce que confirme la Didaché (l’Instruction des Apôtres).
Les préceptes fondamentaux de la morale évangélique sont rappelés avec insistance dans la Règle essénienne : la charité, l’humilité, la justice, l’entraide mutuelle (1, 9 ; 2, 24 ; 5, 8 ; 10, 18). Le commandement d’« aimer chacun son prochain comme soi-même », que prescrit Jésus dans l’Évangile (Mt 22, 37-39) est spécifié dans l’Écrit de Damas (6, 20), ainsi que dans les Testaments des Patriarches (T. de Dan 5, 3). Voir également Jubilés 36, 4, et en parallèle Jean 13, 34s. De telles ressemblances ne sauraient être fortuites.
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L’étude comparative des Manuscrits de la mer Morte et du Nouveau Testament confirme, pensons-nous, l’origine essénienne du christianisme. En s’ouvrant largement au monde païen, celui-ci s’est rapidement transformé, il s’est romanisé en dépit des persécutions, et cela dès l’époque de Néron (la Bête, l’antéchrist de l’Apocalypse). Puisque le but était de convertir les nations au Dieu d’Israël, par la foi en Jésus Christ. « Les cieux et la terre écouteront la voix de son Messie », disaient les docteurs esséniens. (pp. 115-116 & 139-140)
C’est en Haute-Égypte, à Nag Hammadi près de Chénoboskion, qu’ont été découverts les premiers écrits gnostico-chrétiens traduits du grec en langue copte, et que le monachisme chrétien a pris son essor avec la création du cénobitisme institué par saint Pacôme (IIIe siècle). Les chrétiens d’Égypte et de Syrie ont ainsi imité la « retraite » au désert des anciens Thérapeutes. (p. 37)