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Si je me contente de vous dire que c'est un bon livre et que je vous conseille de le lire vous allez trouver ça trop juste, bien entendu, mais ce roman fait partie de ces livres ou l'auteur nous immerge dans la réalité du quotidien avec à la fois toute sa simplicité mais aussi avec la complexité des sentiments et des rapports humains à tel point qu'on ne sait plus par quel bout en faire un résumé. Dans une petite ville sinistrée par les crises économiques Miles Roby essaie de maintenir à flot L'Empire Grill une des deux seules gargotes encore ouverte et dont il est le gérant . Promis à des études universitaires loin de sa ville natale il a tout abandonné pour revenir au chevet de sa mère malade et il n'en est jamais reparti . C'est un type sympa et parfois même trop sympa. Sa femme Janine demande le divorce pour se remarier avec le propriétaire du club de gym du coin , un sacré abruti . Leur fille Tick est en pleine crise d'adolescence. Il y'a aussi le père de Miles, Max un personnage haut en couleur et le frère David qui a perdu l'usage d'un bras à la suite d'un accident de voiture . Toute la ville, tout au moins ce qui en reste appartient à une femme Francine Whiting, veuve et mère de Cindy handicapée. Malgré le manque de rentabilité manifeste de L'Empire Grill la riche femme d'affaire épargne Miles Roby mais tout en étouffant toute initiative pouvant permettre de redonner du lustre à l'affaire . Pourquoi un tel comportement ? Quel est le lien entre ces deux personnages ? J'ai découvert très récemment Richard Russo à travers un article qu'il a écrit dans le dernier numéro de la revue América . Il porte un jugement sur l'état de l'Amérique à travers le destin de ses grands-parents, de ses parents et du sien . Un texte émouvant . J'ai hâte de lire d'autres ouvrages de cet auteur. Bonne lecture
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Le fond : la famille Whiting règne en monarque absolu sur la cité ouvrière d'Empire Falls. Miles Roby est à l'image de sa ville : en décrépitude entre sa future ex-femme et les griffes acérées de la matriarche du clan Whiting.
Au fil des pages, la tension s'installe et les secrets du passé de Miles ressurgissent.

Le style ; fluide, classique. le roman est bien construit avec de savants rappels au passé.


Pour conclure, la plume de l'auteur a magnifié un sujet (d'apparence) banal.
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Il y a, il me semble, une condition préalable et indispensable pour pouvoir apprécier pleinement LE DECLIN DE L'EMPIRE WHITING : la temporalité dans laquelle on se situe soi-même en tant que lecteur. Car on peut dire, sans trop forcer le trait, que pendant pratiquement trois quarts de ce livre de 600 et quelques pages, il ne se passe pas grand-chose ! Richard Russo semble illustrer ici à merveille ce qu'un de ses confrères anglo-saxon, Graham Swift, avait si bien exprimé en ces termes : «La réalité est non-événementielle, elle est vacance, elle est platitude. La réalité c'est que rien n'arrive».
La question serait donc : sommes-nous prêts à nous laisser immerger dans cette « platitude » que constitue la vie à Empire Falls et, en tant que lecteurs, à accepter de ressentir parfois nous-mêmes ce que les habitants de cette petite ville déclinante de la Nouvelle Angleterre éprouvent face à cette existence «plate», à cette réalité «non-événementielle»? Je ne pense pas que les lecteurs amateurs d'émotions fortes et de récits à rebondissements pourraient véritablement y trouver leur compte. Personnellement, en tout cas, je ne leur suggérerais pas cette lecture...
LE DECLIN DE L'EMPIRE WHITING est, dans un sens plus large, un roman qui me paraît se situer esthétiquement à contre-courant du «présentisme» qui triomphe en ce moment dans nos sociétés développées et qui, d'un point de vue littéraire aussi, séduirait apparemment un nombre croissant de lecteurs, à une époque donc où tout doit aller vite, où il faut pouvoir tenir en haleine une concentration devenue «à court terme», innover sans relâche, et où notre capacité d'attention au détail et à l'infra-réel peut être très rapidement mise à l'épreuve.
Dans ce roman, l'observation détaillée est un élément essentiel au récit. On n'a que ça d'ailleurs à faire à Empire Falls : scruter les infimes altérations du train quotidien. Les moindres pensées, mots et gestes, même les plus courants sont disséqués, leur genèse probable et leurs variantes possibles sont considérées, leur impact sur l'entourage constamment évalué. Car ici le temps s'est en quelque sorte figé, et les perspectives d'avenir sévèrement rétrécies. Inféodée à la famille et à l'empire industriel des Whiting, ce dernier ayant été touché irrémédiablement par la mondialisation et par les délocalisations, cette petite ville provinciale du Maine, comme tant d'autres petites villes américaines à l'aube des années 2000, aura laissé une très grande majorité de ses habitants sur le carreau. On ne se révolte pas pour autant. Une stricte hiérarchie sociale continue à être scrupuleusement respectée. Les moyens en moins, la comédie sociale à l'américaine se joue toujours à guichets fermés : the winner takes it all !
D'une écriture fluide et élégante, somme toute assez «classique », Richard Russo réalise l'exploit de dresser sur trois quarts de son récit, avec une finesse d'observation absolument époustouflante, une galerie de portraits de «losers», anti-héros évoluant dans un quotidien d'une banalité absolue, pourtant souvent drôles et refusant malgré tout de céder à la tentation de la victimisation. Il les rend proches, humainement palpables, si bien que, alors qu'«at least» quand il se passe véritablement quelque chose dans le récit, voire beaucoup des choses, et qu'il y a enfin des actions, des rebondissements, intenses et surprenants...comment dire, j'ai eu, personnellement (comme certains des personnages du livre d'ailleurs !), le sentiment que tout cela était arrivé trop vite, que c'était irréel ou plutôt, depuis mon angle à moi de lecteur, « moins crédible »...
Oui, bien sûr, je comprends l'auteur: pour qu'il y ait véritablement une «histoire», il faut de vraies actions, des événements importants, des révélations, des catastrophes...Ceux-ci sont en même temps strictement nécessaires pour pouvoir clore convenablement un récit : une fois passés le traumatisme et la douleur, c'est ce qui permet par ailleurs de tourner la (dernière) page, de réparer ce qu'il faut réparer et de s'ouvrir enfin à autre chose..
Oui, certainement, mais pour tout vous dire, moi j'ai préféré dans ce livre le non-événementiel à l'événementiel.
Et je continue encore à réfléchir sur ces mots riches d'enseignement d'un de ses personnages :
«Ce n'est pas parce que les choses arrivent progressivement qu'on est prêts à les vivre. Quand ça urge, l'esprit s'attend à toutes sortes de mouvements brusques, et on sait que la vitesse est un atout. La « lenteur » qui fonctionne sur un mode totalement différent, donne à tort l'impression d'avoir le temps de se préparer, ce qui occulte une réalité fondamentale, à savoir que même si les choses peuvent sembler particulièrement lentes, on sera toujours plus lent soi-même».

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Ça ne manque pas de qualités, mais ça ne m'a pas fait décoller - un peu à l'image du personnage principal, Miles, très sympa, intelligent, quelqu'un de bien vraiment, mais ça n'empêche, sa femme veut le quitter parce que la vie avec lui n'est pas bien folichonne, surtout au lit.
Alors oui, bien sûr, je l'ai appréciée, elle ne manque pas d'intérêt, cette atmosphère désenchantée d'une ville déchue, en crise, après la vente de l'usine à papier, de la chemiserie, de l'usine textile des Whiting à des multinationales qui les ont pillées puis fermées. Et puis il y a autour de Miles beaucoup de bons personnages aux caractéristiques plus saillantes que lui, son bouffon de père, Max, crado, alcoolo, sans-gêne; la terrible veuve Whiting, redoutable manipulatrice; John Voss, l'ado souffre-douleur, désespéré, dépenaillé, qui suscite en nous autant de pitié que d'inquiétude... Et c'est bien ficelé, avec des flash-backs bien sentis, souvenirs d'enfance de Miles qu'il met bien longtemps à comprendre ou éclairages sur cette famille Whiting dont les hommes semblent, génération après génération, tous voués à épouser la femme dont la mission sur terre est de leur pourrir la vie.
Mais quand cette peinture d'une banalité fertile en sourdes désillusions laisse place à une scène d'un registre bien plus violent, on peine à y croire, on a l'impression que dans cette ville endormie, ça ne peut être qu'un mauvais rêve, ça ne fonctionne pas très bien.
Bref, un assez bon roman, mais n'en attendez pas le grand frisson.
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Quatrième lecture de Richard Russo depuis le premier confinement, c'est incontestablement l'auteur de l'année chez moi. Et toujours le même bonheur de me lancer dans un pavé en souhaitant le faire durer le plus longtemps possible tellement j'aime son univers.

Nous sommes à Empire Falls, petite ville du Maine, dominée par la famille Whiting depuis plusieurs générations. Autrefois florissante, l'entreprise de la famille a périclité et Empire Falls avec elle. Dans cette famille, les hommes ont la fâcheuse habitude d'abréger eux-mêmes leur vie, laissant les femmes au gouvernail. Francine en est la dernière représentante. Elle est aussi la propriétaire du bar miteux tenu par Miles Roby.

Ce dernier est le personnage central du roman. Sa femme vient de le quitter pour un vantard insupportable qui vient lui casser les pieds tous les jours au bar. Sa fille ado ne lui adresse presque pas la parole. Sa servante, Marlène, dont il est amoureux depuis longtemps, sans le lui dire, n'a pas d'attirance pour lui. Comme si ce n'était pas suffisant, le père de Miles, un incapable indécrottable et alcoolique, lui soutire de l'argent sans aucun scrupule.

Beaucoup de personnages dans ce roman dont on se demande ce qui les lie subtilement tout au long du roman. Par des retours en arrière réguliers à l'époque où la mère de Miles était encore vivante, nous comprenons peu à peu ce qui a retenu Miles à Empire Falls, et ce qui fait que, sous couvert de l'aider, la vieille Francine Whiting le maintient dans un statut minable, qui aurait horrifié sa mère.

Ce n'est pas un roman trépidant où l'action domine, loin de là, il est pourtant captivant, tellement les personnages sont bien vus et approfondis. Au fil des retours en arrière, on pressent ce qui a pu se jouer autrefois pour Miles, gamin de 9 ans, parti en vacances tout seul avec sa mère.

Miles est un homme attachant, souvent bien trop gentil avec son entourage. L'histoire s'accélère dans les derniers chapitres, avec un dénouement époustouflant. le tout raconté avec humour et tellement de tendresse. Ce roman a reçu le prix Pulitzer de la fiction en 2002.
Lien : http://legoutdeslivres.canal..
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Empire Grill un boui-boui graillonnant à Empire Falls, petite ville du Maine désertée par les industries.
La délocalisation au Mexique de ses activités par la puissante dynastie Whiting a entraîné une décrépitude généralisée et l'absence de perspective. Un bourg comme tant d'autres...
Et pourtant c'est dans ce grill miteux que l'on se sent bien. Miles, le gérant, est le brave type par excellence. Sa simplicité irradie autour de lui comme s'il y avait un lien d'identité entre le lieu et la personne qui l'occupe. Et justement, voilà que la restauration décolle grâce à l'inventivité culinaire du frère de Miles et qu'elle attire bien au-delà du cercle des habitués.
Empire Grill est au centre du roman, c'est aussi là que les scènes les plus réussies prennent place parmi les flemmards du comptoir. de Janine, la future ex-épouse de Miles, à sa fille Tick en pleine crise d'adolescence, de Max le grand-père exaspérant à Walt, le Silver Fox, l'amant qui a séduit la femme de Miles. Lieu de rencontre, de travail, de loisirs ou simple passe-temps on y passe quand on ne sait plus où traîner ses guêtres. Une galerie de losers au caractère bien trempé anime les lieux et, paradoxe, on aimerait les connaître et être avec eux.
Le roman oscille entre la peinture bienveillante d'une communauté oubliée du rêve américain et la recherche personnelle de Miles sur son passé et sa mère, véritable fil rouge du roman.
L'auteur évite soigneusement le piège du misérabilisme. Les personnages sont malins et font face grâce à une carapace forgée par des années d'infortune. le sens de la répartie semble être la chose la mieux partagée à l'exception notable des deux ex-époux, Miles doté de l'esprit d'escalier et de Janine "pas le genre de femmes qui tirait avantage d'une exégèse constante du sarcasme ". Une communauté engluée dans ses difficultés où il ne se passe pas grand-chose mais où le drame n'est jamais très loin. On est loin du roman feel-good et une bonne dose d'humour et de décalage permet d'emporter l'adhésion et de donner au texte du brio quand parfois il tire un peu en longueur.
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On me dit que Musso est plus lu que Russo ?

Okidoki

2ème livre de cet auteur que je m'envoie ; une partie de l'histoire se déroule dans un grill/dîner et pourtant,ce livre, encore une fois, c'est de la grande cuisine : personnages, descriptions, histoire, dialogues tout est bon.

Et cette fin...

Voilà vous avez 1 bouquin pour vos vacances et pour le prix en plus : un pullitzer et une adaptation par HBO, ça a quand même plus de gueule que le prix du cercle de Scrabble Des lecteurs de Télé Z et une adaptation par TF1, non ?

Ce Russo commence tranquillement à titiller mes chouchous écrivains américains.
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Empire Falls dans le Maine. Grandeur et décadence de la riche et puissante famille Whiting et du même coup de leur fief … Les hommes y subissent une terrible destinée : ils se marient systématiquement avec une femme qui ne leur convient pas du tout. Charles Beaumont Whiting (CB pour les intimes) n'y échappera pas, tout comme Honus son père et Elijah, son grand-père …
Miles Roby, gérant de l'Empire Grill, appartenant à Francine Whiting (qui a promis de le lui léguer à sa mort) tente de garder la tête hors de l'eau. Janine, sa “future ex femme” l'a quitté il y a moins d'un an pour le propriétaire de la salle de sport, Walt, qui vient régulièrement le narguer au grill et que déteste également Tick, leur fille adolescente. Max, le père de Miles, est un voyou, manipulateur égoïste et sans scrupules.
Régulièrement, Miles voit son passé revenir lui sauter à la face (notamment les fameuses vacances à Martha's Vineyard avec sa mère, lorsqu'il avait neuf ans, la jolie Grace sur qui tous les hommes se retournaient … et cette idylle impossible avec un certain Charlie pendant que son père purgeait une peine de prison …)
Richard Russo est passé maitre dans l'analyse pointue de la nature humaine - c'est incontestable - et son écriture est indéniablement sublime (ce roman a obtenu le prix Pulitzer 2002) Toutefois, la longueur de certains passages m'a - je dois bien le reconnaitre - un peu lassée …
Avis relativement mitigé, donc, en ce qui concerne mon intérêt pour l'intrigue à proprement parler, ce qui ne m'empêche nullement d'admirer le talent de ce grand écrivain !
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J'ai récemment évoqué, dans un de mes billets, le "Fusil de Tchekhov", principe dramaturgique selon lequel chaque détail mémorable d'un récit de fiction doit être nécessaire et irremplaçable. Si, au début d'un récit, vous évoquez de manière insistante un fusil, vous êtes ainsi tenu de lui faire jouer, à un moment, un rôle significatif.

Lorsque, dans une des scènes du "Déclin de l'empire Whiting", l'une des héroïnes dissimule un cutter dans son sac de classe, j'y ai aussitôt repensé. Richard Russo allait-il respecter le principe de Tchékov ?

Avant de le savoir, il vous faudra être patient. Car ce cutter, comme l'épisode qui le met en scène pour la première fois et les personnages qui y sont associés, ne sont que quelques éléments parmi beaucoup d'autres de ce roman suffisamment foisonnant pour vous le faire oublier jusqu'à son éventuelle réapparition...

Depuis que ses florissantes usines de textile ont fermé, laissant les résidus de leurs solvants teinter les berges de la rivière Knox, Empire Falls semble vouée à une irrémédiable déréliction. Ses commerces végètent, quand ils n'ont pas baissé le rideau, ses jeunes s'exilent dès qu'ils sont en âge de le faire. Même l'équipe de football de son lycée a depuis longtemps fait le deuil de son heure de gloire.

La famille Whiting elle-même, propriétaire des usines défuntes, mais aussi d'une bonne partie de la ville, est dorénavant réduite à son strict minimum, représentée par Francine, veuve depuis le suicide du dernier mâle de la lignée, sa fille Cindy, une quadragénaire invalide, et Timmy, leur chatte psychopathe. Drôle de dynastie que ces Whiting, dont les hommes semblaient vouer à une malédiction les condamnant à épouser des femmes insupportables au point de vouloir les trucider, certains ayant même franchi le pas d'une tentative ratée. Pour l'heure, et malgré la progressive extinction de son clan, la cynique et imperturbable Francine Whiting continue d'exercer sur Empire Falls le pouvoir que lui confère sa richesse, et l'autorité que lui vaut son caractère bien trempé.

Miles Roby pourrait en témoigner. Ce natif d'Empire Falls a laissé deux décennies plus tôt ses études en plan pour accourir au chevet de sa mère gravement malade, qui lui en a voulu jusqu'à sa mort, prétendant que c'est ce retour qui la tuait, elle dont le principal but dans l'existence était d'éloigner définitivement son fils aîné de leur bourgade natale où il était condamné à une vie médiocre. Miles avait alors conclu un arrangement secret avec Mrs Whiting, reprenant l'Empire Grill, restaurant dont Francine est la propriétaire, qu'elle a promis de lui léguer à sa mort. Les craintes de Grace Roby étaient visiblement justifiées : son fils vivote, végète, n'ayant pour lui que sa réputation d'individu le plus gentil d'Empire Falls, d'homme soigneux et réfléchi mais triste et sans ambition, qui semble se laisser porter par les événements. Il vient de se séparer de sa femme Janine, lassée de cet homme morne et passif. Un bellâtre un peu plus âgé qu'elle, entretenant son apparence en pratiquant la musculation à outrance lui a fait découvrir l'orgasme, l'a convertie au culte d'une minceur dont elle n'avait jamais osé rêver, et la fait se sentir jeune, ce qu'elle n'a jamais réussi à faire quand elle l'était vraiment. Elle a décidé de jouir de l'existence, de penser enfin à elle ; son mariage avec Walt -le bellâtre en question- est déjà planifié, et même si l'idée l'effleure parfois qu'épouser un homme qui se fait appeler THE SILVER FOX n'est pas forcément un choix judicieux, elle est décidée à l'assumer jusqu'au bout. Ce qui n'est pas du goût de Tick, la fille de seize ans qu'elle a eue avec Miles, une maigrichonne intelligente et sensible, pétrie d'angoisses irrationnelles, avec laquelle les rapports sont devenus particulièrement conflictuels.

Autour de ce trio orbitent de nombreux autres personnages, touchants ou détestables, désenchantés ou truculents, chacun trouvant naturellement sa place au coeur de cette chronique, et contribuant ainsi à sa densité. On retiendra notamment Max, père de Miles, parasite notoire, parangon de mauvaise foi et de roublardise à l'hygiène douteuse, infatigable et enthousiaste... son fils cadet David, frère de Miles donc, aussi énergique et nerveux que ce dernier est calme et réfléchi... Minty, le policier louche et collant, hâbleur et misogyne... le jeune John Voss, souffre-douleur du lycée, affichant une asociabilité inquiétante...

On s'installe, aux côtés de toutes ces figures dont l'auteur orchestre avec maîtrise les interactions, dans une routine jamais ennuyeuse, l'anecdotique et le quotidien se mêlant à l'analyse sans complaisance -bien que parfois empreinte d'une certaine tendresse- des manquements, des lâchetés, et des limites des personnages, et ce regard pénétrant porté sur ses héros contribue en grande partie à leur tangibilité, et à créer une réelle proximité avec le lecteur. On est ne même temps porté par la mélancolie qui émane de ces destins plombés de tragédies ordinaires et conscient d'une certaine tension qui laisse soupçonner que le basculement vers le drame n'est jamais vraiment loin. Enfin, et ce n'est pas la moindre des qualités de ce texte, la langue de Richard Russo est drôle et féroce, mise au service de dialogues vifs et ironiques, exprimant avec dérision et intelligence à la fois ce qui freine et ce qui fait avancer ses personnages : les espoirs envolés, la culpabilité, le découragement, mais aussi l'amour et la générosité, la résilience et le pardon.

Aussi, malgré une fin à mon avis un peu bâclée, car expéditive et trop providentielle, j'ai vraiment été emballée par cette lecture, par sa richesse narrative et son ton, juste équilibre entre énergie et profondeur.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Formidable ! Allons à l'essentiel. Dans l'Empire Whiting, déclin ou pas, ce sont les femmes qui portent la culotte. De terribles viragos capables de pousser les inconscients ayant osé un jour leur dire « Oui, ma chérie » à les poursuivre pour les trucider à coup de pelle ou bien à se supprimer eux-mêmes comme le regretté (sauf par sa veuve) Charlie. C'est aussi drôle pour le lecteur que tragique pour les infortunés mâles de cette famille fortunée qui possède l'essentiel de la ville d'Empire Falls.
" J'ai dit..., avait commencé une troisième fois sa future épouse.
_ Oui, ma chérie. Excellente idée", avait convenu Charles Beaumont Whiting, qui, en cet instant fatidique, était devenu Charlie Whiting. Plus tard, bien plus tard dans sa vie, il allait s'amuser de cette remarque, plutôt désabusée, qu'il avait toujours eu le dernier mot lorsque son épouse et lui s'étaient trouvé des opinions divergentes, et que ce dernier mot - il y en avait en fait trois - était : "Oui, ma chérie." S'il avait dû savoir combien de fois il allait répéter cette locution à cette femme, savoir que ces trois mots allaient devenir le mantra de leur mariage, il se serait peut-être rappelé l'invitation du fleuve, s'y serait jeté hic et nunc pour suivre en aval l'orignal, en s'épargnant ainsi un monde de souffrances et le prix du revolver qu'il achèterait trente ans plus tard pour mettre fin à ses jours.
" Et voudrais-tu éteindre cet immonde cigare, je te prie ?"
La veuve possède et régente la petite ville comme la petite vie de beaucoup de ses habitants, en particulier celle de Miles, le gérant du grill qu'elle laisse vivoter avec la plus extrême mesquinerie. Pauvre Miles. Sa femme le quitte pour un bellâtre qui vient faire le fier à bras au grill en se moquant de lui. Sa fille, qu'il adore, ne lui adresse la parole que par onomatopées. Son père indigne ne vient le voir que pour lui soutirer ou lui voler le peu d'argent qu'il détient et Charlène, la jolie serveuse dont il est amoureux depuis vingt ans, enchaîne les mariages ratés à peu près au même rythme qu'il retourne ses burgers sur son grill pendant que le flic local ne songe qu'à lui chercher noise. Un loser, un raté ? Non, un homme bien, doté d'une trop mauvaise main pour pouvoir gagner au poker de la vie, mais un personnage finalement très attachant.
La tension monte lentement jusqu'à ce que la colère finisse par rattraper certains des personnages en surprenant le lecteur qui ne l'a pas bien vu venir. C'est tellement bien raconté que la vie quotidienne se suffirait à elle-même. On y prend un plaisir étonnant avec une empathie croissante pour les occupants, Walt le frimeur excepté, de l'Empire grill. Amours déçus, occasions ratées, déclin industriel, jeunesse envolée et gâchée. Drôle, tragique, amusant, ironique ou cruel, c'est un récit passionnant où tout est remarquablement dépeint. La lutte déséquilibrée de quelques personnages dignes et courageux par moments, contre la méchanceté, la bêtise et la cruauté qui les cernent. J'ai adoré. Alors, pour convaincre les hésitant(e)s, de découvrir eux-aussi la petite ville d'Empire Falls, à l'opposé des paradis inaccessibles à Miles de Camden ou de Martha's Vineyard, laissons opérer le talent de l'auteur.
« La mi-temps terminée, les équipes de Fairhaven et d'Empire Falls reprenaient place sur le terrain. Janine s'efforça de paraître intéressée, optimiste. Pourtant, voyant les cheerleadeers pirouetter en rythme, elle ne put s'empêcher de penser que, plus tôt qu'à leur heure, elles seraient aussi mariées, enceintes de ces garçons casqués ou de ceux d'une ville voisine. Que cette vie, aussi vite, s'abattrait sur eux. La panique, d'abord, d'y être confrontée seule, puis un mariage précoce pour déjouer ce lugubre destin, suivi par les innombrables mensualités de la voiture et de la maison, et les notes du médecin, et le reste. le plaisir qu'ils prenaient à ce sport brutal s'éclipserait lentement. Ils graviteraient dans des bars semblables à celui de Bea pour échapper aux mêmes filles, celles-là sur le terrain, puis aux enfants que, ni eux, ni elles, ne seraient assez intelligents, ou indépendants, pour éviter. Il y aurait la chaîne sportive sur le grand écran TV de la taverne, de la bière en abondance, et ils parleraient encore quelque temps d'aller jouer, mais s'ils le faisaient, ils se blesseraient, et rapidement leurs blessures deviendraient synonymes de leur « état physique » et ça serait terminé. Leurs jobs, leur mariage, leur vie, tout ça, une corvée. Une fois par an, pris d'un coup de folie, ils grimeraient leurs visages, s'entasseraient dans les minivans de leurs femmes, et, s'ils en avaient les moyens, ils prendraient la route pour voir un match des Patriots. le match terminé, à moitié saouls, ils rentreraient chez eux, personne n'ayant assez d'argent pour dormir sur place. C'est-à-dire chez eux à Empire Falls, si cela existait encore.
Les plus aventureuses ou les plus désespérées de leurs épouses profiteraient de leur brève absence pour engager une baby-sitter et chercher au Lamplighter Motor Court un autre de ces hommes-enfants, tous plus ou moins bourrés en permanence, au détriment de leurs érections. Elles voudraient trouver un petit aperçu de la route qu'elles n'avaient pas prise, pour découvrir que c'était en fait les mêmes deux voies bitumées et minables qu'elles suivaient depuis le début, excepté ce tronçon-là, méconnu, qui de toute façon menait à une destination semblable. »
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