Nous disposons enfin, avec ce livre d'Amable Sablon du Corail, d'une synthèse sur
la guerre de Cent Ans, qui tient compte des facteurs politiques, militaires, économiques, sociaux, culturels, religieux qui ont pu conduire et donner une explication à ce conflit qui allait durer de 1337 à 1453 selon certains (alors qu'en réalité ces limites trop bien définies peuvent paraître quelque peu floues ou incertaines) et trouver son dénouement avec le traité de Picquigny signé en 1475 selon d'autres. Sans doute n'a-t-on pas vu que cette longue période d'hostilités ouvertes entre royaumes de France et d'Angleterre, entrecoupées de trêves, méritait d'être réinterprétée, en oubliant l'idée qu'elle serait avant tout annonciatrice de l'émergence de deux nations qui se seraient reconnues telles au sortir de l'affrontement (thèse défendue par
Georges Minois) ou celle qu'elle serait le signe que son issue favorable aux armes françaises aurait été due à une centralisation arrivée à son terme sous
Charles VII et
Louis XI (idée défendue par Boris Bove) , car en réalité ce phénomène était en cours depuis le XIII ème siècle.
Amable Sablon du Corail, à coups d'arguments convaincants, de formules choc et percutantes, de paragraphes qui résument les choses en peu de mots et vont droit aux conclusions qui s'imposent, nous place devant des réalités où l'état d'esprit et les mentalités de l'époque prennent le pas sur tout ce que nous pensons que les gens d'alors auraient dû faire selon notre vision actuelle. La victoire finale des Valois apparaît ainsi comme le résultat d'une action concertée avec la noblesse, élément indispensable et incontournable, puisque détentrice traditionnelle du pouvoir militaire, dans l'effort entrepris pour obtenir le succès, alors que les Anglais procédaient autrement en se fondant avant tout sur la force d'une archerie roturière pour briser l'élan de la chevalerie française.
Amable Sablon du Corail démontre que
Charles V ne peut être tenu pour responsable de la lenteur prise dans notre pays à créer un corps d'archers comparable et opposable à celui de l'ennemi : il faudra attendre
Charles VII et la création des Francs-Archers en 1448 pour cela. La thèse défendue par
Amable Sablon du Corail est qu'en faisant avec les éléments moteurs avec lesquels on avait toujours agi, qu'en tenant bon et qu'en se servant en permanence des leviers nécessaires au résultat escompté dans la synergie d'efforts continus associant moyens fiscaux, financiers, militaires, moraux, etc. soutenus afin de créer une armée "permanente" grâce à des impôts régulièrement reconduits sans que l'on eût besoin de l'accord des États (généraux) jusque-là obligatoire, ce qui devait permettre à la monarchie de s'affranchir des règles et des devoirs qu'elle respectait auparavant et de préparer les voies à l'absolutisme, l'armée du roi de France finit par réussir lâ où elle avait d'abord échoué. Mis à part quelques points de divergence avec l'auteur et dont le second volet de mon travail sur
Charles V portera trace, je dis ici que l'ouvrage d'Amable Sablon du Corail, comme "vue d'ensemble détaillée et argumentée" me paraît être le travail le plus solide de tous produit sur
la guerre de Cent Ans : il est plus profond, plus riche dans ses analyses et dans ses conclusions, et donc finalement supérieur aux livres d'Édouard Perroy, de
Jean Favier, de
Georges Minois, de Boris Bove, et je pèse mes mots.
La guerre de Cent Ans. Apprendre à vaincre, qui tient compte des travaux les plus récents (notamment ceux de l'historien britannique Jonathan Sumption) est incontestablement le digne produit du meilleur spécialiste des questions militaires et politiques que nous nous trouvons avoir en France actuellement pour la fin du Moyen Âge et du début de la période suivante.
François Sarindar, auteur de
Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (2019) ; rédige actuellement un ouvrage sur le règne du Sage roi.