Il ne suffit pas d'être assuré qu'un historien n'avait pas de raisons de nous tromper. Il faut encore vérifier l'exactitude de ses diverses affirmations. Lorsqu'un témoin nous rapporte sincèrement un fait, il peut cependant nous induire en erreur s'il a été victime d'une imposture ou d'une apparence. Cette possibilité de fraude ou d'illusion semble d'ailleurs s'accroître lorsqu'il s'agit du miracle. Nous sommes, par suite, conduit à nous poser une question préliminaire. Les faits miraculeux qui nous ont été rapportés sont-ils recevables, si tous ceux que nous pouvons étudier de près s'expliquent par une crédulité que l'on a abusée, lorsqu'elle ne s'est point elle-même abusée?
Le fait miraculeux, pour recevoir une complète appréciation, devra être soumis successivement a l'historien, au savant, au philosophe et au théologien. Au premier l'on demandera de nous attester la vérité du fait et de nous en donner une description complète. Le second nous dira s'il peut être reproduit à volonté ou si la science permet d'en fournir une explication, et sinon il nous indiquera tout au moins ses analogues plus ou moins lointains. Au troisième, qui spécule aussi bien sur les choses invisibles que sur les choses visibles, sur les causes premières que sur le causes secondes, on pourra demander si un fait attesté par l'histoire, inexpliqué par la science requiert l'intervention de la cause première ou de quelques cause invisibles. Au quatrième, qui prétend être juge de causes spirituelles et posséder le discernement des esprits, on laissera le soin définitif de reconnaître la griffe du diable ou le doigt de Dieu.
Si le texte biblique appartient à une époque où l'on admettait facilement le miracle, il n'est pas étonnant qu'il en rapporte. Au reste, le rationaliste part également d'un principe a priori que l'on peut énoncer ainsi : Tout ce qui apparaît comme impossible ou invraisemblable ne saurait être historique. Ce principe s'oppose à sa manière à celui du croyant qui affirme : Tout ce que rapporte un texte inspiré est vrai et par suite vraisemblable : « Pindare racontera très gravement l'histoire de Persée et de la tête de la Gorgone, en ajoutant, à peu près dans les mêmes termes que Bacchylide, qu'il n'est chose qui le surprenne ni qui lui paraisse incroyable, quand ce sont
les dieux qui l'accomplissent; pour les dieux, les miracles sont un jeu. » Les deux principes sont inadmissibles comme principes de critique textuelle.
J'appellerai fait miraculeux un fait rare ou même unique, considéré par celui qui le rapporte comme surpassant les forces de la nature sensible, animée ou inanimée, impliquant par suite l'intervention d'un être surnaturel : diabolique, angélique ou divin et attestant de plus la valeur religieuse d'un personnage, d'une doctrine ou d'une révélation.