Ce serait faire preuve d'une grande présomption d'affirmer que la littérature populaire est une spécificité française. Certes, beaucoup d'auteurs-phares de ce type de littérature ont vu le jour dans notre pays, mais nous avons vu qu'en Angleterre et aux Etats-Unis, une littérature d'aventure, de fantastique, de science-fiction s'est installée durablement. On en parle moins, mais en Allemagne, un auteur comme Karl May (le créateur de Winetou) est un héros national. En Italie, c'est
Emilio Salgari qui tient la vedette.
Emilio Salgari (1862-1911), était en 1952 l'italien le plus lu dans le monde, après
Dante et sa « Divine Comédie ». Successeur d'
Alexandre Dumas,
Jules Verne, Fenimore Cooper ou
Eugène Sue, contemporain de Karl May, tous auteurs qu'il a adulés (et parfois copiés),
Emilio Salgari est le plus productif et le plus populaire des romanciers italiens. Il est assez peu connu en France, et c'est bien dommage, car son oeuvre, immense et échevelée, mérite qu'on s'y arrête.
Sa spécialité, c'est l'exotisme : Salgari est un grand voyageur. Un peu avec ses pieds et avec les moyens de locomotion de son époque ; mais surtout avec son imagination, qu'il a grande et fertile. Il est l'auteur de trois grands cycles : « Les pirates de Malaisie » (où l'on trouve deux de ses héros Tremal-Naïk, le chasseur de tigres, et Sandokan, le pirate ; « Les Pirates des Antilles » (dont le héros n'est autre que «
le Corsaire noir ») ; et enfin « Les Pirates des Bermudes ».
« Les mystères de la jungle noire » est le premier volume du cycle des « Pirates de Malaisie ». On y retrouve tous les éléments qui ont fait le charme des oeuvres de
Kipling : l'Inde éternelle des maharadjahs et des réprouvés et l'impérialisme britannique. Ici pas de réalisme, pas de descriptions documentées à la
Jules Verne, si Salgari s'est inspiré des comptes rendus de voyageurs, ou d'aventuriers, il les a transcendés par une imagination complètement échevelée, qui n'est pas pour rien dans l'imaginaire collectif, lié à cette période particulière de l'Inde sous domination anglaise.
Nous sommes en 1865, dans les contrées sauvages du Bengale, à l'embouchure du Gange. C'est le pays des serpents, des tigres et des Thugs (la secte redoutable des hindous étrangleurs, les mêmes que chez Rocambole). Tremal-Naïk, un jeune chasseur de tigres est obsédé par la vision d'une jeune fille nommée Ada (en fait Ada est la fille du capitaine MacPherson, farouche opposant aux Thugs). Ada est enlevée par les Thugs qui en font leur déesse, prêtresse de Kâli. Tremal-Naïk, accompagné de son tigre Dharma, et de son ami Kammamuri aura fort à faire pour soustraire sa bien-aimée à l'influence malfaisante des Etrangleurs menés par leur chef, l'impitoyable Suyodhana.
« Salgari reste avant tout le grand maître de l'exotisme et du suspens, celui qui ne cesse de captiver l'enfant qui sommeille en chacun de nous » (
Robert Kopp)
Après tout, c'est-ce pas le meilleur titre de gloire de cette littérature dite « populaire » : s'adresser à ce qui reste en nous de plus innocent, de plus pur, de moins perverti par toutes les tentations externes, bref s'adresser à notre esprit d'enfance ?