Ah Dominique, je t'ai trouvé au hasard d'une brocante en ville belge, avec
Les encombrants et tu m'as offert une de mes plus belles lectures, à la lisière d'un autre monde où les mots forment des colliers de perles qui tintent sous la mélodie du beau.
Trois tranches de pain perdu, tu me l'as gentiment offert un jour. J'ai attendu longtemps avant de te relire. Je t'ai retrouvé hier soir et je n'ai pu te poser avant que ton pain perdu ait ma peau.
Trois courtes nouvelles dans ce petit livre :
- À quoi rêve l'ombre qui te ressemble.
Une émouvante histoire d'un petit fils qui contemple sa grand-mère statufiée dans le silence. Elle semble attendre, à sa fenêtre.
« La femme assise à la fenêtre ressemble à une madone sculptée dans le fruitier de ses désirs, une vierge noire rongée par la lumière couchée sans fracas à ses pieds. On n'embrasse pas les saintes, on ne leur parle pas, on attend qu'elle s'évanouissent dans le lieu miraculeux de leur apparition, retourne en catimini à leurs affaires ».
C'est beau, tellement beau que ça m'a donnée des frissons. J'ai senti mon âme trembloter comme une enfant devant son premier spectacle des merveilles.
Deuxième nouvelle :
- Dieu aime les frites fraîches.
On change de registre avec cette nouvelle à la fois poétique et terriblement drôle. Ce Dieu est épatant :
« Il s'amuse à faire des croche-pied au ciel quand son bleu azur fait la tête ».
« Dieu a les yeux bleus, bleu trempé, des beaux yeux des enfants de chaton gris, et il mate, il mate, regard infatigable, oeil géant, il zieute les fesses de la minette moulée, le félin qui guette l'oiseau sur la branche, un nuage sur le point de rompre, un reflet, rien et trois fois rien, mais lui ne voit que ça, le détail qui cloche ou qui fait rêver, ah oui, parce que j'ai oublié de le préciser, Dieu est artiste peintre, c'est pas rien. »
C'est d'une mignonnerie incroyable cette nouvelle sur ce Dieu qui boit, mate les jolies filles, Dieu un sale gamin, un drôle de loubard.
Troisième nouvelle :
- Entre arbre et arabe il n'y a qu'une lettre à bouger.
Histoire d'une immigration difficile, d'un gamin du Maroc déraciné et qui trébuchera plusieurs fois en France. L'histoire d'un gars qui pense qu'on a besoin d'être amoureux, non, plutôt qu'on a besoin d'aimer, même quelqu'un qui n'existe pas.
Toutes ces nouvelles ont un point commun, vous l'aurez deviné, c'est le pain perdu. Ce miracle du pauvre, recette de sorcière, de grand mère, d'amis, ce pain trempé dans l'oeuf et le lait détient le pouvoir de l'amour, du pardon, de la redemption, des espoirs de demain.
Sous le charme de ces trois petites histoires si douces, si précieuses, de ces mots qu'on a envie de caresser avec délicatesse et d'en refiler quelques uns dans les poches tant il serait dommage de les perdre. C'est magique ces écrivains qui savent en peu de pages dessiner des paradis perdus.
Une pause enchantée à la lueur d'une bougie qui me rappelle combien notre langue française est magnifique.