Une vie avec les chevaux
Après avoir recueilli les confidences de Sonia, qui a passé sa vie auprès des chevaux dans le Midwest,
Kathryn Scanlan a construit un roman sans concessions. Avec la volonté farouche se battre contre la violence et le sexisme.
Dès les premières lignes, le ton est donné: «Je suis née le 1er octobre 1962. Je suis née à Dixon, Iowa. Je suis née avec une luxation de la hanche. le médecin a dit que je ne marcherais jamais. Il doit forcément y avoir une solution, a répondu ma mère. On m'a donc plâtrée des pieds jusqu'au torse en laissant juste l'espace nécessaire pour me langer. J'ai passé cinq mois comme ça. Ensuite, on m'a mis les jambes dans deux plâtres reliés par une barre de fer, et des souliers spéciaux. Au final, j'ai pu marcher.» On comprend d'emblée que la vie de Sonia sera un combat permanent. Si sa famille s'en sort tant bien que mal, elle promène sa solitude jusqu'au jour où elle croise un cheval et sait d'instinct que c'est avec lui qu'elle fera sa vie. Après avoir pu trouver de quoi payer une heure pour le monter, elle va chercher le moyen de rester près de lui et va finir par se faire embaucher par les patrons d'écuries. Là elle fait le dur apprentissage du métier de lad, se levant à quatre heures du matin pour soigner les chevaux, les nourrir, les laver, les entraîner. En la suivant, le lecteur va découvrir comment se pratique l'élevage, comment on sélectionne les chevaux et les jockeys, combien on évalue la valeur d'un cheval et quelles combines se cachent derrière tel ou tel traitement, comment on peut échapper aux contrôles antidopage.
L'univers de Sonia, voyageant d'un hippodrome à l'autre, est dur, violent, macho. Mais c'est celui qu'elle a choisi et où elle se sent bien. Souvent elle préfère ne pas quitter le champ de courses et ne sait rien de ce qui se passe à l'extérieur. Une abnégation qui va faire sa réputation, mais ne va pas la préserver de la violence ambiante.
À 17 ans, elle est violée par un jockey qui s'est introduit dans sa caravane, mais se tait pour ne pas perdre son travail. Et se coupe alors les cheveux très courts.
S'appuyant sur des entretiens enregistrés avec la «vraie» Sonia en 2018, 2020 et 2021, ce roman est construit sur de courtes séquences qui disent avec une langue simple, proche de l'oralité, la dureté de cette existence. Proche du journalisme, le roman présente les faits dans toute leur vérité, souvent brutale. Quand une amie se retrouve paralysée, par exemple, le sort qui lui est réservé tient en deux phrases : «Le mari l'a larguée, bien sûr. Il l'a larguée tout de suite». À cette banalité du machisme ordinaire répond un humour froid qui nait de la juxtaposition des scènes, sur le comportement excentrique des personnages, sur le recul de Sonia face aux événements. Et sur des formules qui claquent comme autant de slogans salvateurs : «Quand vos parents ne s'entendent pas, quand ils se disputent, quand il y a des abus, il vous reste toujours votre cheval. Les jours où rien n'allait, j'allais voir mon cheval et il arrangeait tout. C'est pour ça que je dis toujours que c'est mon cheval qui m'a élevée.»
Sans anthropomorphisme,
Kathryn Scanlan explore aussi dans son livre ce lien tout particulier entre l'homme et l'animal, un lien dont Sonia se nourrit, mais qui est aussi l'occasion de colères froides, notamment face à la souffrance qui peut être infligée par les humains, soi-disant supérieurs.
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