J'ai véritablement pris beaucoup de plaisir à ce
Todo Modo de
Leonardo Sciascia, un auteur que je découvrais, sur les conseils d'une très ancienne amie italienne, et vers lequel je retournerai très volontiers un de ces jours.
Un style, une légèreté, beaucoup de finesse et d'ironie en font un grand esthète, quant à la forme ; seulement quand j'utilise le terme esthète, il ne faut pas s'imaginer une quelconque tendance lyrique mais plutôt une élégance dans les dialogues et dans la façon de dévoiler les pensées et la psychologie de ses personnages, qui confine à de l'art sculptural, dans l'acception la plus haute et cristalline. Il faut dire que le personnage de Don Gaetano, qui est le pilier sur lequel repose l'édifice de la narration, se prête admirablement bien à cette élévation tant stylistique que mystique.
Peut-être, avant toute chose, est-il bon de soulever un peu le voile qui drape cet étrange titre,
Todo Modo, que le traducteur n'a pas pris le risque de traduire, et pour cause, puisque ce n'est pas de l'italien, et que déjà en italien, il est intrigant.
D'après les recherches que j'ai pu effectuer, car le roman, dans la version dont je dispose ne donne pas les clefs de l'énigme, ces deux mots seraient en fait de l'espagnol et représenterait le début d'une maxime d'Ignace de
Loyola, fondateur de l'ordre des Jésuites et formulée ainsi : «
Todo modo para buscar la voluntad divina. », ce qui signifie à peu près mot à mot et dans mon espagnol approximatif : « Tous les moyens pour trouver la volonté divine. »
Je suis un peu plus en peine pour vous évoquer le fond de l'ouvrage, notamment par cette fin surprenante, qui m'empêche d'affirmer avec certitude le sens qu'a souhaité lui donner l'auteur. D'aucuns diront que c'est plutôt bon signe quand un livre n'a pas une signification univoque et qu'il s'avère résistant tout en étant intéressant — et d'une certaine façon c'est mon cas.
Certes, mais c'est terriblement déroutant de demeurer dans cette incertitude, au risque même d'être passée à côté du morceau de choix, à côté du message qui a véritablement guidé l'auteur dans la composition de son roman. Je vais donc vous livrer, sous toutes réserves, ce que j'en ai compris ainsi qu'un petit synopsis.
Pour moi,
Todo Modo traite de la causalité, du pourquoi les choses adviennent telles qu'elles sont et de la futilité de toute recherche de la compréhension de ces causes. Les choses adviennent, point. Il faut en prendre acte, ni plus ni moins. Certains y voient des points communs avec le destin et le parcours de l'éminent personnage de la politique italienne
Aldo Moro. (Je ne suis pas assez calée sur l'histoire récente de l'Italie pour me prononcer là-dessus.)
Car la vie, si j'ai bien compris le message de
Leonardo Sciascia, toute la vie est dénuée de signification, absurde, au sens qu'elle n'a pas de direction, elle est seulement douée d'un début et d'une fin. Espace limité au sein duquel elle est le théâtre d'un certain nombre d'événements sur lesquels elle a plus ou moins de prise, mais dans tous les cas, c'est sans importance car la vie en elle-même ne signifie rien, sauf à la définir par la négative, qu'elle est le contraire de la mort, laquelle mort ne signifie rien non plus, sauf à borner la vie. Bref, que la vie est une suite de causalités dont le sens nous échappe.
Je suis bien d'accord avec vous que mon explication semble très confuse, mais c'est la seule qui me soit venue pour exprimer ce que je ressens de l'oeuvre. Peut-être est-il grand temps que je ne vous parle plus que du synopsis.
Un peintre célèbre (dont il n'est jamais fait mention du nom) est notre narrateur et nous guide en un étrange endroit, dans l'Italie contemporaine (le roman fut publié en 1974). Errant à l'aventure, ce peintre arrive dans un ermitage isolé (oui, c'est un peu pléonastique) qui est également, et c'est plus surprenant, un gros hôtel très moderne muni d'un parking d'une taille considérable qui atteste que le lieu et parfois pris d'assaut par d'importants groupes.
Que fait-on dans ce lieu ? Des stages de spiritualité. À qui sont-ils destinés ? À de très grosses légumes, du genre ministres, directeurs de banque, etc. Pourquoi cet isolement périodique ? Parce que justement, à l'abri des regards indiscrets, se trament des conspirations machiavéliques, des arnaques majeures, des complots inavouables, mais aussi et surtout, que ces messieurs haut perchés viennent trouver ici-bas quelques pulpeuses jouvencelles dont il ne serait pas trop bon de faire la publicité.
Le grand ordonnateur de l'établissement, celui par qui tous les réseaux d'informations passent mais duquel aucun de ressort car il est muet comme une tombe, le sombre et mystique Don Gaetano. Personnage d'une intelligence et d'une culture fulgurante, doublées d'une sagacité et d'une vivacité à percer à jour ses interlocuteurs qui en font un redoutable orateur, qui sait magnifiquement diriger son monde vers ses volontés.
L'homme en sait toujours beaucoup plus qu'il n'en dit et nimbe de mystère tant ses dires que ses attitudes.
Notre peintre s'amuse de cette mascarade où les gros ministres font mumuse à faire les bons samaritains tout en rejoignant, dans la foulée des
exercices spirituels, leurs maîtresses dans les alcôves situés aux étages de l'hôtel. Tout va pour le mieux jusqu'à ce que l'un de ses personnages soit froidement abattu lors d'une de ses cérémonies nocturnes. Stupeur dans l'établissement, tout le monde est potentiellement coupable et l'histoire prend un tour de huis clos à la
Agatha Christie.
Quand tout à coup, BING ! un autre meurtre, puis BANG ! un autre encore. Tout cela a un parfum de Brigades Rouges à plein nez, mais je crois vous en avoir beaucoup dit, à vous maintenant de dénouer tout cela...
Somme toute, un très bon petit roman, bien écrit, avec une fin surprenante et indécise, cependant, comme de coutume, il me reste à vous rappeler que tout ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.