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Critique de Antyryia



Bon, faut que j'essaie de faire une belle critique pour rendre hommage à l'un de mes auteurs fétiches.
Mais tout ce que j'ai écrit pour l'instant c'est plate.
Le chien de mon voisin n'arrête pas d'aboyer alors pour se concentrer c'est pas facile.
J'ai découvert Patrick Senécal en 2006 avec son roman fantastique "Sur le seuil", expérience réitérée l'année suivante avec trois de ses thrillers : les sept jours du talion, le passager ...
Il est vraiment en train d'utiliser sa câlisse de perceuse en pleine soirée ? Ostie d'enfoiré qui se gare toujours devant ma sortie de garage ...
... et 5150, rue des Ormes. Mais ce sont "Aliss" et "Le vide" qui l'ont propulsé au rang d'auteur préféré, dans mon subjectif classement intérieur.
Bon là c'est plus possible. Musique techno à fond qui accompagne en ryhme mon début de migraine.
Il me semble avoir une hachette dans la remise. Je reviens tout de suite.

* * *

Le calme est enfin revenu. Je suis à peine éclaboussé.
Où en étais - je ?
Ah oui, L'autre reflet. le roman 2016 de Senécal a pour thème l'inspiration littéraire par le meurtre et la torture.

Michaël Walec ( MW ) est écrivain amateur. Il a un certain talent mais il lui manque le petit quelque chose qui fera de ses thrillers noirs des romans à succès.
Ce petit quelque chose il le trouvera par hasard en la personne de Wanda Moreau ( WM ), emprisonnée pour meurtre. Professeur de français, il dispense son savoir dans l'établissement pénitencier pour femmes de Joliette. Son activité consiste principalement à corriger les fautes de grammaire et d'orthographe des courtes et maladroites nouvelles rédigées par les détenues participant à son cours.
L'histoire de Wanda a beau être dépourvue de style, elle y décrit son propre meurtre avec tant de force et d'éléments concrets que Michaël va s'en inspirer pour parfaire une scène de meurtre de son propre roman. Plagiat ? Il se refuse à raisonner ainsi. Après tout c'est sa propre écriture qui insuffle à cette scène charnière l'énergie transformant son petit polar en chef d'oeuvre du genre.
Après d'autres modifications toujours inspirées par les confidences de Wanda, son roman "Sous pression" verra le jour sous sa forme quasiment définitive. Et il est tellement bon qu'il a toutes les chances de trouver un éditeur.

Très court résumé de la première partie ( MW et WM ) dans lequel le lecteur fait donc rapidement connaissance avec un homme marié, futur papa, heureux en ménage et sur le point de concrétiser son rêve. Un homme qui serait presque attachant s'il n'y avait pas ce côté irritable aussi prononcé. C'est quelqu'un qui est facilement agacé, toujours sur la défensive quand on lui parle de son roman en cours, qui est énervé tant par le vélo du voisin traînant sur sa propriété que par l'auteur de fantasy déguisé en chevalier lors de son dernier salon du livre en tant que lecteur.
Wanda voudra-t-elle se venger ou le faire chanter pour le vol de ses histoires ? Tiendra-t-elle à l'inverse à devenir la muse de cet écrivain quitte à commettre d'autres atrocités ? Michaël constera-t-il que pour confirmer son talent naissant il devra se salir les mains afin de décrire à la perfection ce que ses personnages, victimes et bourreaux, ressentent ? Ce sont les différentes questions qu'on se pose après les premiers chapitres. N'importe comment, on sait que ça va dérailler.

Lire un Senécal, c'est embarquer dans un TGV en sachant que dès les premières pages il va y avoir quelques secousses et que le train va accélérer de plus en plus, que les heurts seront de plus en plus violents, jusqu'à ce qu'on se prenne un mur à 400 km/h. On a beau anticiper une partie des évènements, on ignore qui, quand , comment et on ressort de ces derniers de plus en plus abasourdis, chancelants, en attendant un final qui nous laissera KO.

On retrouve des thèmes chers à l'auteur à nouveau : le pouvoir, la famille, le quotidien. Il fait même une allusion rapide à Faims, son précédent livre ( lors d'un entretien, un auteur doit dire ce qu'il pense des meurtres ayant eu lieu à Kadpidi ).
Et surtout le vide - cette notion si chère à l'écrivain - est de nouveau présent. C'est lui qui caractérise le plus Wanda. A la recherche d'émotions, elle ne ressent rien la majorité du temps.
( "Mais non, je ne suis pas un monstre ! Si je ressentais du plaisir ou de la satisfaction, ou n'importe quoi, oui, je serais un monstre sadique ! Mais je ressens rien !" )

Quant au thème du double / du reflet / du miroir, il est omniprésent.
"Pis, à un moment donné, on va se rencontrer au centre, comme si on arrivait devant un miroir. Devant un reflet, très proche de nous, à la portée de la main."
Les initiales WM et MW qui se confondent sautent évidemment aux yeux. L'écriture à quatre mains est cependant ici incomparable à celle de Nicci French, Camut / Hug ou Preston / Child.
"Deux mains féminines, douces, mais maculées de sang, se posent sur les siennes et guident ses doigts sur le clavier."
On a également le pseudonyme. Michaël devient Mike, c'est plus accrocheur comme nom d'auteur. Alors on pense évidemment à La part des ténèbres de Stephen King et à son duo Thad Beaumont / Georges Stark. Mike représente-t-il une sorte de double maléfique ? Mais il ne faut surtout pas s'arrêter au héros écrivain et à ses différentes identités. Ca ne paraît pas très original et pourtant jamais je n'avais lu d'histoire présentée sous cet angle là.

En tant que lecteur, la sensation est même assez vertigineuse. En effet, L'autre reflet est construit exactement comme le serait un polar noir de Mike Walec, avec des passages clés de plus en plus atroces et révoltants qui sont les principaux supports de toute l'histoire. Cet effet miroir est tellement bien construit que le lecteur ne sait plus forcément s'il est en train de lire du Senécal ou du Walec.

Parce que pour couronner le tout, il y a beaucoup de Senécal dans le personnage de Walec. L'auteur de Hell.com s'est indubitablement projeté dans son héros romancier. Et ça ne s'arrête pas à l'ancien professeur de littérature né à Drummondville devenu écrivain de thrillers ( aux scènes particulièrement horribles ) puisque tous les deux participent également à des conférences, des interviews radiophoniques ou télévisuelles, et à des salons du polar. Et fréquentent les mêmes auteurs dans leur entourage professionnel.
J'ai mis beaucoup de temps avant de réaliser qu'en toile de fond, derrière le clavier sur la couverture, il s'agissait d'un salon du livre. Sans doute parce qu'on ne les assimile pas souvent à des lieux effrayants.
Vous changerez peut être d'avis.
En 2013 Senécal participait à un projet intitulé "L'Orphéon" avec son conte allégorique Quinze minutes. Avec quatre autres auteurs ils ont écrit cinq histoires différentes se déroulant dans le même immeuble, dans lequel les différents protagonistes de chaque récit se croisent, dialoguent, interfèrent. Les cinq livres pouvant ainsi se lire indépendamment et formant pourtant un tout cohérent. Je l'évoque parce que les quatre auteurs qu'a côtoyés Senécal notamment à cette période sont présents dans L'autre reflet : Roxanne Bouchard, Geneviève Jannelle, Véronique Marcotte et Stéphane Dompierre.
Stéphane Dompierre qui propose d'ailleurs à Mike Walec de participer à son second recueil de nouvelles érotiques. J'ignore s'il est réellement question d'un second recueil à venir mais Senécal a en tout cas participé au premier, Nu, avec sa nouvelle "Baise fondatrice".
("Pendant une quinzaine de minutes, les deux collègues discutent de choses et d'autres jusqu'à ce que Dompierre demande à Michaël s'il a envie de se joindre au second collectif de nouvelles érotiques qu'il est en train de préparer" )
On croise aussi d'autres auteurs québécois édités par A lire ( François Levesque, Jean-Jacques Pelletier ), la même maison d'édition que Senécal.
Ou encore India Desjardins, qui est à l'origine du recueil "Cherchez la femme" dans lequel Senécal a également publié une nouvelle.
Premier livre du challenge littérature québécoise, il s'avère être aussi une vraie mine d'or pour faire connaître les auteurs canadiens francophones.

Senécal, s'il égratigne par moments l'industrie du livre, s'efforce aussi de rendre à la littérature d'horreur et de thriller ses lettres de noblesse ( "On ajoute que le tout est écrit dans un style soigné, littéraire, et c'est justement cette adéquation entre l'horreur crue et la prose très travaillée qui fait de ce bouquin une oeuvre unique" ).
Mais l'autre reflet est surtout un roman qui aborde ce qu'on est prêt à faire pour connaître le succès, la notoriété, et pour la conserver.
Puissance et folie peuvent elles cohabiter ?

Livre amoral difficile à lâcher, terriblement malin, vaguement plus sage cependant que certains de ses prédécesseurs, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce nouveau Senécal avec mon objectivité très relative. En tout cas j'en suis ressorti lessivé, mal à l'aise ... et j'ai adoré ça !
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