La petite fille du passage Ronce, c'est
Esther Senot, aujourd'hui âgée de 94 ans, est l'une des rescapés de la rafle du Vel'd'Hiv et du camp d'Auschwitz-Birkenau. Enfant d'une famille de Juifs polonais émigrée en France en 1928,
Esther Senot échappe le 16 juillet 1942 à la rafle parisienne du Vel'd'Hiv (13 152 arrestations dont 4 115 enfants) avant d'être déportée quelques mois plus tard à Auschwitz-Birkenau. Elle a à peine quatorze ans.
L'adolescente affronte alors seule la tourmente effroyable de la seconde guerre mondiale. le passage de la ligne de démarcation, le camp de Drancy, le convoi 59 dans un wagon à bestiaux, la découverte de l'enfer d'Auschwitz-Birkenau, la marche de la mort... Elle passera 16 mois dans les camps, avant d'être libérée et de retrouver Paris, seule, désormais privée d'une famille dont les autres membres n'ont pas survécu. Sa soeur aînée, Fanny, elle aussi déportée, n'est jamais revenue des camps. Elle est décédée à l'âge de 16 ans à Auschwitz-Birkenau et a fait promettre à Esther de raconter l'horreur du génocide des Juifs.
Aujourd'hui, Esther tient sa promesse. Quatre-vingts ans après la libération des camps, Esther continue de faire vivre la mémoire des siens et d'honorer la promesse faite à sa soeur avant qu'elle ne fût assassinée : "Promets-moi de dire au monde ce que des hommes ont été capables de faire à d'autres."
La Petite fille du passage ronce est ce récit, mais aussi un projet historique et littéraire différent. Avec la complicité d'
Isabelle Ernot, historienne à l'Union des Déportés d'Auschwitz, cette dernière tient la plume et écoute la vieille dame afin de retranscrire sur le papier les souvenirs d'Esther.
Dans ce récit, une première partie rassemble ce qu'
Esther Senot partage avec les lycéens quand elle se déplace pour témoigner, la narration est en fait la retranscription d'une conférence très factuelle : la déportation, le numéro matricule 58 319 tatoué sur le bras, les privations, les souffrances, la cruauté des Kapos « On nous avait martelé qu'il n'y avait aucune possibilité de survie, qu'on en rentrerait par la porte et qu'on ne pouvait en sortir que par la cheminée », et la peur quotidienne « d'aller à la douche », de finir gazé au nom de la haine érigée en Solution finale…
La seconde partie du récit, rassemble des lettres issues de souvenirs fragmentaires, qu'Esther aurait pu écrire aux membres de sa famille disparue.
L'écriture est simple et factuelle sans jouer avec les sentiments, tout est dit avec simplicité, les faits, rien que les faits et le retour difficile à la liberté. J'ai été particulièrement intéressée par l'évocation du rôle de la police française faite sur les Juifs, notamment pendant la rafle du Vel'd'Hiv.
Puis j'ai particulièrement été touché par son retour en France, ce retour de captivité, dont on hésite à parler à ses proches, son entourage, de peur de ne pas être cru, car « comment croire l'inimaginable ? » , d'exprimer ce qui a été vécu en déportation tant personne n'était désireux d'entendre "ça".
Comme pour beaucoup, le récit a provoqué l'incrédulité chez certaines personnes. Double peine donc pour ces quelques survivants qui avaient tout perdu et n'ont pas été reconnus comme les victimes qu'ils étaient. L'impossibilité d'en parler a installé dans leur âme, une crypte muette puisque qu'ils ne pouvaient dire que ce que l'entourage acceptait d'entendre.
" « Ah ! Alors vous êtes revenue ! Et que vous est-il donc arrivé ? Et vos parents, ils vont revenir ? » « On a entendu parler des déportés ! »
J'allais à l'essentiel, haletante : l'assassinat, les gazages, le travail forcé, le camp, la Koya, le Revier...
J'expliquai que personne ne reviendrait, qu'ils étaient tous morts, mes deux frères Marcel et Achille, ma soeur Fanny, ma tante Bella et puis mes oncles, mes cousins... et des centaines de milliers et milliers de Juifs comme nous. Que nous étions dans un lieu nommé « Auschwitz » et qu'il existait d'autres lieux du même type, créés par les nazis...
J'ai vu l'incrédulité sur les visages. On ne me croyait pas. J'étais une gamine. Peut-être un peu dérangée par les événements ? Sans doute que j'exagérais. Peut-être cherchait-elle, celle-là, à se donner de l'importance ? Et d'ailleurs, quelle était son histoire puisqu'elle était revenue ? "
À lire et propager sans modération, pour cultiver le devoir de mémoire et ne jamais oublier.