ÉPIDÉMIOLOGIE
Mai 1919. La fameuse "grande boucherie" est tout juste achevée qu'un nouveau malheur s'abat sur notre petite planète bleue. Mais cette fois, pas de char Renault, pas de casque à pointe, pas de Maschinengewehr 08 ni de tranchées ou de chemin des Dames : la guerre se déroule à l'intérieur du corps des futures victimes et elle s'est donnée pour nom : Grippe espagnole.
George A. Soper, brillant épidémiologiste et ingénieur sanitaire américain en avance de plusieurs décennies sur son temps, nous livre, dans ce rapide et très efficace essai, sa vision - empreinte de plusieurs riches années d'expérience au service de la santé publique de son pays - de ce que l'on savait alors de cette fameuse pandémie qui marqua tant les esprits que, à l'aune de celle qui se déclencha dans la ville chinoise de Wuhan en fin d'année 2019, on s'en souvenait encore. D'elle et de ses vingt à cent millions de victimes (selon une réévaluation récente).
Bien entendu, comparaison n'est pas raison et l'histoire de cette grippe espagnole ne peut, évidemment, servir de point de référence exact à la pandémie de covid que la planète connaît depuis bientôt deux ans. Il n'empêche que les réflexions, hypothèses et conclusions de ce scientifique étasunien n'est pas sans écho avec ce que nous subissons actuellement, à des niveaux parfois troublants lorsque l'on prend le temps de bien soupeser chaque avancée de son analyse qui est d'une clarté et d'une précision qui ne se paie pas de mot. On ne pourra s'empêcher de remarquer la finesse de ce qu'il avance, tant sur la manière que la maladie - une infection respiratoire, comme dans l'actuel cas de covid - a de se propager, que sur une certaine insouciance naïve et compréhensible à la fois des populations, sur la crainte des récidives, sur les principaux leviers d'action pour l'enrayer (où l'on comprends que c'est toujours d'actualité !). Mais il n'y a aucun fatalisme chez ce chercheur que l'on sent "élevé" à l'aune du positivisme scientifique de ces années-là. Pas plus qu'il ne se nourrit d'illusion quant à la guerre sans fin de l'homme contre la maladie. Mais ce n'est en rien pour lui une raison quelconque pour baisser les bras, et le prouve en proposant une liste plus que futée - quoi que certaines propositions puissent aujourd'hui paraître superflues - afin de lutter au quotidien, tant individuellement que collectivement, contre les progrès mortifères de la pandémie.
Le petit opuscule proposé par les excellentes - nous ne nous lasserons jamais de le rappeler - Éditions Allia et intitulé
Leçons d'une pandémie s'achève sur un rapide portrait de ce visionnaire méconnu. Il fut, entre autres, le "découvreur", pour ne pas dire l'enquêteur d'une série de morts liés à de petits foyers de typhoïde - maladie pourtant presque entièrement disparue dans le New-York de cette année 1906 où débuta sa très minutieuse investigation. C'est par ses soins que l'on découvrit, par exemple, cette cuisinière, qui sera bientôt surnommée "Thyphoïd Mary", porteuse saine mais - involontairement - assassin de plusieurs personnes, celle-ci changeant sans cesse de lieu de travail.
Une vie riche, toute entière consacrée au mieux être de l'humanité. On voit pire comme modèle d'humain !
Un ouvrage éclairant, tant sur ce passé douloureux que sur notre présent si sensible.