"Pim est la bête.Il change de règne,bascule à la faveur d'une connexion de chaleur aux intensités ajustées."
Ecrit d'une façon magistrale, mi façon cours de CAP pour apprentis bouchers (analyse scientifique d' actes précis chirurgicaux éloignés de tout affect) mi exploration intime de la bascule d'un adolescent hypersensible dans la folie pure ,
Comme une bête attire et dérange à la fois.
Pim, pam, poum! ai-je envie de résumer de façon simpliste ce drame en 3 actes hautement sanguinolent, qui part de l'adolescent Pim "au sourire juvénile" et habile de ses mains qui (bien que n'ayant pas la vocation et pleurant sans raison)veut devenir le meilleur des bouchers; à un boucher hautement qualifié complètement obsédé par la chair animale dans sa vie,ses rêves et ses lectures; à un fou qui "habite dans l'animal" et "boucher-chasseur" part, lasso au poing, comme un cow-boy ou même un descendant de Noé accomplir sa battue.
Débiter, déjointer,couper,racler,torturer,décalotter,jeter...Par quel tour de magie
Joy Sorman transforme-t-elle la violence ambiante et notre vision du boucher sadique en une "chorégraphie" où le "hachoir danse"?
Est-ce l'humour mordant de formules telles que "chevalier viandard", "humaniste de la viande", le cochon "Steve Mc Queen, le héros de la grande évasion...? Est-ce le cocasse de certaines anecdotes glanées dans les lectures de Pim comme l'histoire d'
Eddy Merckx aux fesses scotchées de viande moelleuse pour oublier ses escarres? Est-ce le côté farfelu, introduit à doses homéopathique, comme ce "duel" sur billots interposés pour un différent diffamatoire? Est-ce la "nicotine rouge" diffusée ça et là qui nous fait prendre pour un doux rêveur celui qui devient fou? Non c'est sans doute sa plume, qui telle un scalpel, égratigne, dissèque et ... sculpte les mots comme un artiste. Point de boucherie ici, point de morbide à la Bacon, mais un art primitif qui déstabilise le lecteur.
Un grand bravo à
Joy Sorman pour sa fine analyse psychologique, l'intensité dramatique de ce roman aux allures de tragédie et pour avoir su traiter ce sujet difficile tout en maintenant constante l'attention du lecteur.Rien à voir avec le couteau tueur de
Viviane Elisabeth Fauville, l'héroïne folle de
Julia Deck. Dans
Comme une bête, le malaise monte crescendo d'un banal tatouage en forme de côte de boeuf à une intrusion sans habits dans une usine d'abattage à la convocation d'esprits...à la viande qui "tient le premier rôle".
Joy Sorman, telle un chaman, ressuscite-telle, en imagination, le côté bestial de l'homme avec tendances cannibales héritées de l'époque des cavernes, à moins qu'elle ne fasse toucher du doigt à son naïf délirant les cultes païens primitifs comme celui du dieu Mythra évoqué dans
Les Bestiaires de Henry de
Montherlant? Je pencherais pour cette deuxième hypothèse, d'où le talent de l'auteur qui part d'un Pim, somme toute banal, et le monte aux nues de son propre imaginaire.
Un grand merci pour tous les renseignements glanés (visites de ferme, de halles de Rungis et d'abattoir incluses) fort enrichissants, même si, après lecture, je ne mangerai plus de cochon de peur qu'il ne soit "transgénique", de vache de crainte qu'elle ne soit folle, ni de "kebab reconstitué", ni de criquet qui craque sous la dent....Et puis la "vache Culotte" était bien trop sympa!
Petit rappel,
Joy Sorman a reçu le prix de Flore en 2005 pour son livre
Boys, boys, boys.
Que va donc obtenir
Comme une bête?