J'ai découvert la prose élégante et poétique de
Natsume Sôseki avec «
Oreiller d'herbes ». Ce curieux roman contemplatif est parsemé de
haïkus composés par l'auteur. En apprenant que
Natsume Sôseki, surtout connu comme prosateur, a aussi excellé dans l'art du kanshi, « poème en chinois classique », je me suis procuré ce magnifique recueil édité par « le Bruit du Temps ». Deux-cent-sept poèmes du genre kanshi composent cet élégant ouvrage associant les poèmes originaux en chinois à leur traduction en japonais et en français.
Plus qu'une simple succession chronologique de vers, il s'agit là du déroulé de la vie d'un homme et de l'évolution d'une conscience. Particulièrement habile à cristalliser en idéogrammes le regard qu'il porte sur le monde aux différentes étapes de son existence, Sôseki matérialise une pensée ascétique d'un esthétisme puissant. Imprégné de bouddhisme chan/zen, et donc de taoïsme, Sôseki interroge sa relation à la nature, à la beauté et à la maladie, à l'isolement et à l'autre, à la vieillesse et au corps qui fatigue, à la vanité intellectuelle et à l'humilité face à une vie mortelle. Ses poèmes sont l'expression distillée d'une quête spirituelle, le miroir de ses fascinations et de ses peines, de l'inquiétude mélancolique à la réconciliation avec soi. Il existe maintes façons de trouver la Voie. Nul doute que ces poèmes contribuèrent à celle que Sôseki emprunta.
Vous pouvez lire ces poèmes d'une traite ou en butinant, vous en imprégner sans chercher à les intellectualiser. Vous pouvez aussi essayer d'en comprendre le contexte et la substantifique moëlle en vous plongeant dans les notes et commentaires, particulièrement touffus mais instructifs, qui composent la seconde partie de l'ouvrage.
Extrait, mars 1898
« Assis, seul, sans prononcer la moindre parole,
En moi, je perçois comme une faible lueur.
Les humains seraient-ils à ce point affairés
Qu'ils négligent d'avoir un tel état d'esprit ?
Dans l'apaisement connu pendant un seul jour
S'aperçoit l'agitation de toute une vie.
La pensée dégagée, sur quoi la reporter ?
Vers les lointains flous, le Séjour des blancs nuages. »