La lente et sépulcrale colonne de ceux qui ne quitteront jamais l'enfer avance sous les coups alors que le IIIe Reich s'effondre dans la terreur qu'il a lui-même fait naître. le cortège d'images qui surgissent dès les premières pages du roman de
Sébastien Spitzer ne cesse de hanter la lecture toute entière. Un rouleau de cuir qui enferme la mémoire des camps se transmet d'un survivant éphémère à un autre comme le symbole dérisoire et héroïque d'une fragile victoire sur les bourreaux.
Dans le bunker berlinois, les derniers dignitaires du régime se terrent autour de Hitler. Parmi eux, Magda Goebbels et ses enfants. Hautaine, arrogante, glaciale, forgée de haine et d'ambition, elle ressasse son ascension et sa conviction de laisser une trace dans
L Histoire, moins par l'influence qu'elle a pu avoir sur la politique des nazis que par le geste suprême qui - croit-elle - lui apportera la dimension mythique de Médée : le meurtre de ses propres enfants.
J'ai commencé à lire ce roman avec une certaine appréhension. Magda Goebbels ? Pas vraiment envie de lire une biographie de cette femme. Et comment traiter un tel sujet par le biais de la fiction ? L'auteur résout cette question en mêlant faits réels et reconstruction romanesque. Mais, du coup, une autre question apparaît, malgré la postface explicative : où est le réel ? Où est la fiction ? Pour tout autre sujet cela ne m'aurait guère gênée, mais pour celui-ci je garde une réticence quant à ce mélange.
Factuelle, l'écriture refuse le pathos et m'a mise dans une situation assez inconfortable finalement car cette froideur, cette absence d'émotion sont aussi celles qui caractérisent Magda Goebbels face au sort des victimes du nazisme. La mise en perspective entre la situation dans le bunker et celle d'Aimé, Judah, Richard, Ava... m'a semblé, par ailleurs, extrêmement perturbante.
Pour moi c'est de toutes les questions qu'il soulève que le roman de
Sébastien Spitzer tire une grande partie de sa force. Questions avec lesquelles le lecteur doit ensuite se débattre en acceptant de se laisser troubler, de laisser de côté ses préjugés et de s'aventurer dans les méandres ignobles d'une personnalité odieuse. La haine, la rancoeur, l'ambition, l'égocentrisme semblent être les uniques principes qui guident les choix de Magda. La qualifier de "monstre" comme on le fait usuellement ne résout rien mais apporte une sorte de soulagement qui dédouane de toute autre investigation. le roman de
Sébastien Spitzer nous enjoint à aller au-delà de cette détermination et à fouiller davantage : que cache cette "monstruosité" ? Quelle en est l'origine ? Faut-il la chercher dans la spécificité d'une époque, d'un moment dans
L Histoire, dans un contexte familial et social ? Quelles convictions, quels principes, quel cheminement de la pensée, quelle folie, peuvent-ils conduire au meurtre impassible de ses propres enfants et à l'envisager comme accomplissement d'un choix idéologique alors même que l'adhésion à cette idéologie est vacillante ? C'est peut-être le fanatisme qui est aussi interrogé par la manière dont l'auteur traite cette biographie fragmentaire et romancée d'une femme maudite.
Je me rends compte en écrivant ces mots à quel point ce roman continue de me déranger autant par son thème que par la façon dont ce dernier est traité. Une telle déstabilisation est pourtant ce que j'attends, entre autres, de mes lectures. Malgré cela je ne peux affirmer que "
Ces rêves qu'on piétine" est un coup de coeur pour moi. Mais je ne saurais démêler les causes de ma minuscule réserve.