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EAN : 9782356393142
192 pages
Elytis (03/06/2021)
4.25/5   2 notes
Résumé :
« J’ai perdu la photo. La seule photo que j’aie jamais faite que je trouvais vraiment belle. Perdu. Mais je m’en souviens très bien. Je suis derrière Shirin, elle marche au devant d’un paysage immense. La poussière voile les reliefs, la lumière est pourtant intense, la montagne erodée, et le foulard de Shirin tombé sur ses épaules, elle a les bras légèrement ouverts, les paumes aussi, la tête renversée.
Elle avance contre le vent.

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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
J'ai pris mon temps pour lire cet ouvrage, tout comme j'ai pris mon temps pour écrire cette chronique. Car ce livre est un opus qu'on savoure, doucement, comme la fin d'un gâteau délicieux. Emilie Talon nous emmène ici en Iran, dans sa famille iranienne, pour un été de rencontre entre deux cultures, celle dans laquelle elle a grandit, l'Occident, et celle dont elle hérite, l'Orient. On découvre ici le parcours d'une jeune femme qui tente de comprendre et concilier cette altérité qui fait partie d'elle et à la fois la déroute. Cet été, elle le passe chez sa cousine Shirin, qui a son âge, et est elle aussi confrontée à la familiarité de sa cousine européenne et cette différence de culture, même si cette dernière semble de moins en moins prégnante chez les jeunes générations iraniennes actuelles.
D'habitude, je dévore les ouvrages que je lis. Là, dès la première page, j'ai ressenti une certaine tranquillité, voire même une quiétude, et dans un monde du tout tout de suite, c'est rafraîchissant et bienvenu. L'histoire se lit sans encombre. le vocabulaire est riche, varié, explicité lorsque l'autrice recourt à des mots ou des concepts qui ne nous sont que peu voire pas familiers, l'autrice nous livre un texte au style maîtrisé, très sûr. Ses descriptions des paysages et des coutumes, voire des personnes, fondent la richesse de cet ouvrage. On traverse cette aventure depuis le point de vue de la narratrice, et le récit, mené depuis un Jiminy Cricket intérieur, fait de ce périple un voyage intime, sensible, fabuleux.
Je tiens à souligner le travail de l'éditeur, qui a produit un objet de grande qualité : la reliure est propre et la couverture magnifique, tout comme la mise en page. Vous l'aurez compris, j'ai été conquise, charmée par cet ouvrage qui m'a apporté réflexion et sérénité. Je le recommande sans aucune hésitation.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Nous sommes encore en juillet et nous prenons la route d’Ispahan, nesf-e jahân : « la moitié du monde », l’autre !
Sur la route d’Ispahan*, la terre fait des plis, des monticules fondants, des synclinaux comme des jupettes, des brisures dans le paysage. Le sol est nu, les hommes y ont parfois tracé de longues lettres blanches, des versets coraniques. Nous descendons vers le sud aride. J’imagine les monts Zagros qui moutonnent à l’horizon sur notre droite, à moins que les nuages ne roulent sur la terre et ne me trompent.
Le décor ne cesse de changer, les roches se tordent. Rien de tel qu’un paysage désertique pour percevoir l’in nie variété, l’arabesque troublée du relief, un dôme ici, un minaret là, l’ombre d’une bête, une forme humaine. Seule la route semble banale, droite, d’autant plus longue que nous roulons à vitesse réduite.
Le prudent Mansour a conduit beaucoup de voitures capricieuses dans sa jeunesse, aussi se mé e-t-il de la mécanique et préfère-t-il ne jamais dépasser les quatre- vingts kilomètres à l’heure. Personne ne bronche, nous
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ispahan et kish
. Iran La paupière du jour .
admettons que nous évoluons sous une épée de Damoclès, dans le légitime écho de Cassandre. Un pot d’échappement, un morceau de pare-chocs pourraient nous lâcher. Les freins, les vitesses et autres tuyaux provoqueraient un roulé-boulé. La frayeur de Mansour me gagne, j’imagine le pire, pourtant improbable, qu’une chèvre ou un serpent aveugle traverse et nous fasse zipper !
Ce serpent-là, l’aveugle, également nommé boa des sables, j’ai appris qu’avant de ramper en travers des routes, il servait d’armes de jet aux Grecs de l’Antiquité ! Je me gure avec horreur l’ennemi sous ces projectiles vivants, capables de s’entortiller, de mordre, de tuer peut-être... L’ombre d’Alexandre le Grand descend sur la terre d’Ispahan, qu’il a effectivement visitée. Surtout, le roi Alexandre de Macédoine représente le degré zéro du Grec, celui que tout le monde connaît, plus à l’est et plus à l’ouest, c’est à lui que je pense immédiatement, ce qui ne signi e pas qu’il fût à l’origine du stratagème du serpent aveugle. Tout ce que l’on sait, c’est que l’inventeur herpétophile était grec, et l’on peut supposer qu’il avait fait partie des petits garçons qui s’amusent à glisser des lézards dans le col des lles, un penseur de la panique.
Mais pas de ça avec Mansour, pas de serpent, pas d’accident. Shirin explique que comme il était le ls aîné, il a beaucoup trimballé sa famille à droite à gauche, quand il était jeune. Il a de l’expérience et désormais, ici ou ailleurs, il roule à la vitesse des sages, au rythme d’une pensée raisonnable. Jamais d’excès, pas un lézard. En contrepartie, la vigilance du pilote ne connaît pas de repos. Il ronge son frein.
Comme nous mettons un temps fou à rallier Ispahan, nous nous arrêtons régulièrement. On sort de la voiture, on s’étire, les lles s’éloignent de quelques dizaines de mètres
« N’allez pas si loin ! » Mansour n’y voit plus complètement clair, ce qui, au-delà de l’argument of ciel, explique à la fois son attention redoublée quand il est au volant et son incompréhension lorsque nous tentons de nous éloigner
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de la route. Nous cherchons le caillou ou le creux qui nous permettrait d’être légèrement moins visibles, mais Mansour ne nous voit déjà plus et s’exclame de façon systématique :
« Non mais qu’est-ce que vous croyez ? ! C’est ridicule ! Vous pensez que les gens vont s’arrêter et venir vous voir : “Ah ! Madame, vous faites pipi ? Vraiment, c’est ça ? C’est incroyable !” Non mais Faby, c’est pas la peine d’aller je ne sais où... »
Il semblerait que nous nous croyions plus intéressantes que nous ne le sommes, rien de plus que des pisseuses. Et puis sous les pierres, les serpents, toujours eux ! Même hors saison, l’appréhension ne disparaît jamais totalement. La vipère à queue d’araignée utilise le leurre placé au bout de son corps de sable pour attirer les oiseaux et les souris, une sorte de tubercule landreux. Nous-mêmes, nous pourrions confondre son extrémité avec une pelote d’herbe sèche, marcher dessus, nous faire croquer la frange du loupouch ou le talon d’Achille... ce piège dans la poussière m’effraie davantage encore que le serpent d’eau. Pourtant, je suis ma tante et ma cousine, nous n’obéissons pas aveuglément à nos peurs et à nos pères, nous prenons un peu de recul, nous bravons les reptiles. Nous avançons, encore.
Quand nous nous retournons, il est certain que nous nous détachons toujours sur l’écran minéral et presque vierge du désert, on nous verra, nous avons seulement échappé au plan rapproché.
Après, on se déculotte. On devient des silhouettes accroupies pour les conducteurs – quant aux invisibles nomades qui viendraient à passer derrière nous, marchant sur les serpents comme sur des œufs, nous espérons que la discrétion de leur regard sera égale à celle de leurs pas. Le paradoxe nous fait glousser : face à la route, sous le foulard, sous le loupouch, et la fesse à l’air. Ça ne nous arrive jamais en France, pays pudiquement couvert de végétation, ou ponctuée d’aires d’autoroute idoines. Mais
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. Iran La paupière du jour .
dans le pays des mollahs, nous faisons pipi devant tout le monde. Et si nous étions américaines ? Comment nous y prendrions-nous ? Le trou qui fait peur a été remplacé par une terre sèche et hermétique sur laquelle tout rebondit joyeusement ! Ça se met à souf er, je pense au lm de sa majesté Kiarostami Le vent se lève, Shirin rigole d’une façon adorable, et nous nous sentons incroyablement libres !
Quand nous revenons près de mon oncle, il fait son yoga pour étirer ses muscles de pilote, Ibn Sina dit qu’il faut mobiliser son corps pour que circulent les uides. On se déhanche tous autour du quatre-quatre, encerclés par les ruines massives de la montagne, et nous recevons avec magnitude sa victorieuse conclusion :
« Alors, vous voyez bien, personne ne s’est arrêté ! »
Nous reprenons notre route, dans une ambiance légère : « Qu’est-ce que tu aimes le plus, Shirin, à Ispahan ?
– Le pont, le Sia Seh Pol. »
Les Iraniens adorent l’eau. Ils sautent en parachute dans les
lacs, les babis révèrent secrètement les trous d’eau, les plus contemporains creusent des piscines, ils peignent des cascades aux eaux régulières et douces comme des chevelures sur leurs miniatures. L’eau inspire le penseur persan, et ma cousine. Le mystique Hafez, qui préférait pourtant le vin, écrit : « Assieds- toi sur les bords d’un ruisseau, et vois le passage de la vie,/ Que cet indice d’un monde passager nous suf t.4 »
On bâtit Ispahan au cœur d’un plateau aride et on se hâte d’en faire une oasis.
Mansour semble sourire derrière sa moustache :
« Tu sais, Émilie, il ne faut pas rigoler dans la voiture d’amou sibilou : c’est une Peykan, ça veut dire “la èche” ! » Amou sibilou, « oncle moustachu », Mansour, je préfère
ne pas te répondre.
Je regarde la circulation qui parfois disparaît ici, qui nous
noyait à Téhéran. Ce qui est particulièrement excédant, c’est
4. Le Divân.
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qu’amou sibilou est l’unique Iranien à rouler comme il le fait. Tous les autres cascadent sur la route, tous meurent dans des accidents et des carambolages... Nous ne faucherons personne, c’est sûr et certain, notre Peykan ronronne. Elle me berce, je reprends le l de ma contemplation.
Au bout d’un temps, une caravane atomisée : un chameau, plus loin deux, un homme, une autre bête qui boite. Ils n’ont pas de lien, pas de charge, ils nomadisent sans but. Le berger doit les mener aux pâturages arides de derrière la brume de poussière. On se rapproche imperceptiblement de la montagne, des créneaux glissent dans le travelling, des squelettes qui résistent mal à l’effondrement, au temps. Nous lons. Ils sont piqués de crêtes, creusés de combes, toujours nus. Pas une herbe, pas même un voile de rocaille, c’est l’éden aride, juste des courbes parme et brunes. Des ruisseaux de graviers descendent sur leurs ancs, leur dessinent des pieds d’éléphants, sous les strates qui se relèvent. Et puis des successions de pyramides, de dents, de vieilles épaules, de croupes.
La ligne ne d’une ville : une mâchoire plus carrée, plus entretenue, plus jeune, déployée. Une molaire arrondie : le dôme de la mosquée. Très vite, la petite ville n’est déjà plus en vue, remplacée par des coulées de pierre, comme des laves, des morses avachis, géants charnus fossilisés, la peau tannée, dégoulinante de lumière. Mes yeux lent le long d’un mur. Puis un autre village, quelques touches vertes de végétaux héroïques, l’ogive d’entrée de maisons troglodytes, le pic bleu d’un mausolée carrelé : un avant- g
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Vidéo de Émilie Talon
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix autour du livre : Vertiges persan de Emilie Talon enregistré le 21 janvier 2023
Résumé : Une jeune autrice part sur les traces de son père dans les montagnes d'Iran.
Une femme s'en va sur les traces de son père, disparu alors qu'elle avait 10 ans. Il était alpiniste et, bien avant cela, dans les années 1950, il était parti gravir le Trône de Salomon et le volcan Damovand en Iran. Elle arpente ces montagnes, fouille ses souvenirs, où survivent les traces les plus pro¬fondes de cet homme qu'elle a aimé. Sur place, une autre histoire s'écrit avec Zohre, formidable guide iranienne, belle, libre en ses hautes altitudes, audacieuse, qui devient son amie et l'accompagne pour apprivoiser sa peur et son histoire.
Bio de l'auteur :
Ancrée au pied des Alpes, Émilie Talon entretient une connivence avec l'Iran où vit une partie de sa famille franco-iranienne. Son goût de l'ailleurs et de l'interculturalité l'ont aussi amenée à vivre au Portugal et en Tunisie. Elle a publié un premier récit en 2021 : Iran, la paupière du jour (édition Élytis, 2021).

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